C'est fourbu mais de nouvelles images plein la tête que le Dr Jean-François André, 62 ans, nous reçoit chez lui, à Liège, 24 heures après la clôture de l'édition 2023 des Francofolies de Spa. C'était sa 28e année, les Francos fêteront leurs 30 ans l'an prochain, faites le compte.

Il connaît le festival comme sa poche. Il y est chez lui, de la Grande scène où il est régisseur, aux coulisses, à l'arrière du site foulé par le public, où logent des containers dont celui qui abrite le cabinet médical de Médiscène. Une ASBL qu'il a fondée en 2007, composée d'une poignée d'autres fervents disciples de la scène : les Drs Marie-Ève Janssen, Xavier Froidcoeur et Jocelyn Ban, avec l'ostéopathe Fanny Godde et le kiné Denis Sadzot. Une initiative unique en Belgique de la part de médecins, tous généralistes, qui exercent cette activité en parallèle de leur patientèle.

" Il existe des structures en France, mais de médecins qui ne font que de l'événementiel à 100 % ", entame le Dr André. " L'activité n'est guère rentable, elle assure juste le renouvellement du matériel. Mais en contrepartie, on a le plaisir. Les rencontres sont notre ''bénéfice secondaire'' ". Médiscène lui permet de fusionner son besoin viscéral de la scène à la médecine. Et à la photo, son boîtier toujours à portée de main pour saisir des instants de complicité lors des montages entre deux artistes. " Des moments humains, ce qui nous ramène à la médecine ", sourit le généraliste.

© Baudouin Litt

Des Francos à... Genesis

Mais comment est-il arrivé là ? " Je suis tombé dedans à 18 ans, je voulais être éclairagiste ", rembobine-t-il. Sauf que la vie en décide autrement : son papa, victime d'un AVC, demeure hémiplégique. Il a quatre soeurs, il faut assurer. Hors de question de partir étudier à Paris où se trouve la seule école d'éclairage. " Je terminais difficilement mes humanités. Mon grand-père (le Dr Fortemps à Fouron-le-Comte, NdlR) était l'image même de la médecine générale. Alors j'ai fait médecine. Et je ne regrette nullement l'ordre des choses. " Il hésite un moment à faire l'anesthésiologie, mais un stage en médecine générale l'en dissuade rapidement, à la stupéfaction de son professeur, Maurice Lamy. " Il ne m'en a pas voulu et moi, je ne l'ai jamais regretté ", débriefe Jean-François André en riant.

Désormais médecin, il reste 'stagehand', ces petites mains qui s'activent sur la scène comme des fourmis et sans lesquelles, pas de concert. Sa profession médicale finit par se savoir dans le milieu et, de proche en proche, il est appelé en cas de bobos. D'abord pour ses camarades de jeu, puis pour les artistes. " Je travaillais par ailleurs déjà au département de médecine générale de l'université de Liège quand est arrivée l'obligation de TFE. On m'a demandé des idées pour alimenter la boîte à sujets pour les étudiants, j'ai proposé ''Les pathologies/troubles du comportement dans le monde du spectacle''. Une étudiante m'a contacté, je l'ai emmenée sur la tournée Goldman et aux Francos... Où elle est devenue technicienne après avoir réussi son TFE. C'était Marie-Ève Janssen, dans l'équipe aujourd'hui. "

Parmi les amis, un régisseur travaille pour le Palais 12. Entre autres pour Genesis, qui y fait les réglages de sa tournée : accident lors du démontage, un blessé grave... Une présence médicale permanente ne serait pas du luxe. Ainsi naît Médiscène, les deux sacs de premiers secours se transforment en flight cases pour déplacer un " vrai " cabinet médical. L'équipe travaille sur The Scorpions, Muse, Johnny Hallyday... Mais aussi " à domicile ", à Liège, à la demande des salles de spectacles locales. " Il nous arrive d'intégrer des artistes de passage à Liège dans notre consultation, c'est plus simple et confortable au cabinet. "

Sang-froid

Parmi les pathologies rencontrées, des entorses, des plaies accidentelles. " Ainsi Arno, qui s'était accroché et saignait... Et avec lequel j'ai finalement discuté pendant une bonne demi-heure, un de mes meilleurs souvenirs ! " De gros coups de blues parfois, ou des états grippaux, notamment parmi les techniciens des sociétés de location de matériel qui sont constamment sur la route, loin de leur médecin traitant.

Les émotions fortes ne sont jamais très loin. Quand le vent, par exemple, s'invite en plein concert de Kendji (cet été) et que le rideau de scène balaie les instruments du chanteur Cali à l'arrière. Ou qu'il fait dangereusement tanguer l'écran géant (1,5 tonne) de Soprano... " Au-delà de mon expérience médicale, je connais aussi, par mon travail en régie, les contraintes de la scène ", poursuit le Dr André. " S'il faut prendre une décision compliquée, comme une annulation, mieux vaut savoir qu'un assureur va téléphoner dans la minute qui suit... " C'est arrivé avec Indochine, dont l'un des musiciens, malade, avait dû être hospitalisé.

Le Dr Damien Janssen lors du démontage d'un concert de Johnny au Palais 12.

" Quand c'est un souci un peu sérieux, je fais toujours un mot pour leur médecin, dans un esprit de continuité des soins. J'essaie aussi de leur expliquer les choses : en cas de perte de voix, tous les chanteurs savent que la cortisone peut les aider. Mais une corde vocale distendue le reste et peut amener des complications à terme... Faut-il forcer pour ne pas mettre la production en péril ? On essaie de trouver des solutions. On a ainsi été appelé pour Pascal Obispo qui enregistrait à Forest ", se souvient le Dr André. " Un avantage, je pense, est que je n'ai pas les yeux qui brillent : l'artiste devant moi est d'abord un patient, je ne suis pas en extase, je suis médecin et je veille donc à ne pas nuire en termes de traitement. "

Père de quatre enfants dont une pédiatre et une (bientôt) généraliste, et époux d'une généraliste, Jean-François André décline l'instant présent. " Chaque matin, je m'éveille en me disant que j'ai de la chance. Et avec la conscience qu'un jour, ça s'arrêtera. " Un rêve ultime ? " Voir Sting en concert. " Voilà qui ne devrait pas être trop compliqué : le chanteur sera à Forest le 25 novembre. En coulisses ou en frontstage, Dr André ?

C'est fourbu mais de nouvelles images plein la tête que le Dr Jean-François André, 62 ans, nous reçoit chez lui, à Liège, 24 heures après la clôture de l'édition 2023 des Francofolies de Spa. C'était sa 28e année, les Francos fêteront leurs 30 ans l'an prochain, faites le compte.Il connaît le festival comme sa poche. Il y est chez lui, de la Grande scène où il est régisseur, aux coulisses, à l'arrière du site foulé par le public, où logent des containers dont celui qui abrite le cabinet médical de Médiscène. Une ASBL qu'il a fondée en 2007, composée d'une poignée d'autres fervents disciples de la scène : les Drs Marie-Ève Janssen, Xavier Froidcoeur et Jocelyn Ban, avec l'ostéopathe Fanny Godde et le kiné Denis Sadzot. Une initiative unique en Belgique de la part de médecins, tous généralistes, qui exercent cette activité en parallèle de leur patientèle." Il existe des structures en France, mais de médecins qui ne font que de l'événementiel à 100 % ", entame le Dr André. " L'activité n'est guère rentable, elle assure juste le renouvellement du matériel. Mais en contrepartie, on a le plaisir. Les rencontres sont notre ''bénéfice secondaire'' ". Médiscène lui permet de fusionner son besoin viscéral de la scène à la médecine. Et à la photo, son boîtier toujours à portée de main pour saisir des instants de complicité lors des montages entre deux artistes. " Des moments humains, ce qui nous ramène à la médecine ", sourit le généraliste.Mais comment est-il arrivé là ? " Je suis tombé dedans à 18 ans, je voulais être éclairagiste ", rembobine-t-il. Sauf que la vie en décide autrement : son papa, victime d'un AVC, demeure hémiplégique. Il a quatre soeurs, il faut assurer. Hors de question de partir étudier à Paris où se trouve la seule école d'éclairage. " Je terminais difficilement mes humanités. Mon grand-père (le Dr Fortemps à Fouron-le-Comte, NdlR) était l'image même de la médecine générale. Alors j'ai fait médecine. Et je ne regrette nullement l'ordre des choses. " Il hésite un moment à faire l'anesthésiologie, mais un stage en médecine générale l'en dissuade rapidement, à la stupéfaction de son professeur, Maurice Lamy. " Il ne m'en a pas voulu et moi, je ne l'ai jamais regretté ", débriefe Jean-François André en riant.Désormais médecin, il reste 'stagehand', ces petites mains qui s'activent sur la scène comme des fourmis et sans lesquelles, pas de concert. Sa profession médicale finit par se savoir dans le milieu et, de proche en proche, il est appelé en cas de bobos. D'abord pour ses camarades de jeu, puis pour les artistes. " Je travaillais par ailleurs déjà au département de médecine générale de l'université de Liège quand est arrivée l'obligation de TFE. On m'a demandé des idées pour alimenter la boîte à sujets pour les étudiants, j'ai proposé ''Les pathologies/troubles du comportement dans le monde du spectacle''. Une étudiante m'a contacté, je l'ai emmenée sur la tournée Goldman et aux Francos... Où elle est devenue technicienne après avoir réussi son TFE. C'était Marie-Ève Janssen, dans l'équipe aujourd'hui. "Parmi les amis, un régisseur travaille pour le Palais 12. Entre autres pour Genesis, qui y fait les réglages de sa tournée : accident lors du démontage, un blessé grave... Une présence médicale permanente ne serait pas du luxe. Ainsi naît Médiscène, les deux sacs de premiers secours se transforment en flight cases pour déplacer un " vrai " cabinet médical. L'équipe travaille sur The Scorpions, Muse, Johnny Hallyday... Mais aussi " à domicile ", à Liège, à la demande des salles de spectacles locales. " Il nous arrive d'intégrer des artistes de passage à Liège dans notre consultation, c'est plus simple et confortable au cabinet. "Parmi les pathologies rencontrées, des entorses, des plaies accidentelles. " Ainsi Arno, qui s'était accroché et saignait... Et avec lequel j'ai finalement discuté pendant une bonne demi-heure, un de mes meilleurs souvenirs ! " De gros coups de blues parfois, ou des états grippaux, notamment parmi les techniciens des sociétés de location de matériel qui sont constamment sur la route, loin de leur médecin traitant.Les émotions fortes ne sont jamais très loin. Quand le vent, par exemple, s'invite en plein concert de Kendji (cet été) et que le rideau de scène balaie les instruments du chanteur Cali à l'arrière. Ou qu'il fait dangereusement tanguer l'écran géant (1,5 tonne) de Soprano... " Au-delà de mon expérience médicale, je connais aussi, par mon travail en régie, les contraintes de la scène ", poursuit le Dr André. " S'il faut prendre une décision compliquée, comme une annulation, mieux vaut savoir qu'un assureur va téléphoner dans la minute qui suit... " C'est arrivé avec Indochine, dont l'un des musiciens, malade, avait dû être hospitalisé." Quand c'est un souci un peu sérieux, je fais toujours un mot pour leur médecin, dans un esprit de continuité des soins. J'essaie aussi de leur expliquer les choses : en cas de perte de voix, tous les chanteurs savent que la cortisone peut les aider. Mais une corde vocale distendue le reste et peut amener des complications à terme... Faut-il forcer pour ne pas mettre la production en péril ? On essaie de trouver des solutions. On a ainsi été appelé pour Pascal Obispo qui enregistrait à Forest ", se souvient le Dr André. " Un avantage, je pense, est que je n'ai pas les yeux qui brillent : l'artiste devant moi est d'abord un patient, je ne suis pas en extase, je suis médecin et je veille donc à ne pas nuire en termes de traitement. "Père de quatre enfants dont une pédiatre et une (bientôt) généraliste, et époux d'une généraliste, Jean-François André décline l'instant présent. " Chaque matin, je m'éveille en me disant que j'ai de la chance. Et avec la conscience qu'un jour, ça s'arrêtera. " Un rêve ultime ? " Voir Sting en concert. " Voilà qui ne devrait pas être trop compliqué : le chanteur sera à Forest le 25 novembre. En coulisses ou en frontstage, Dr André ?