...

Si son nom suffit à évoquer la France de province, son prénom résonne aujourd'hui comme un improbable pseudonyme aux accents grecs antiques: Théophraste. Celui qui explique Dieu (à en croire l'étymologie) nait pourtant à Loudun en 1586 dans une famille de la bourgeoisie modeste et protestante. La vie que connaît cette petite ville de la Vienne, au sud de Chinon, a tout pour offrir une vie calme, sinon que la période connaît quelques troubles opposant catholiques et protestants, voire des catholiques entre eux, comme en témoigne l'affaire des " possédées de Loudun " (voir l'encadré). La ville connaît également, comme d'autres, une épidémie de peste qui frappe durement la population en 1532, même si d'autres maladies contagieuses ne l'épargnent pas non plus. Le jeune Théophraste contracte d'ailleurs à l'âge de 18 ans les " écrouelles1 " qui valent à ce jeune scrofuleux de garder toute sa vie de vilaines cicatrices sur le bas du visage. Est-ce ce qui force son choix professionnel? Peut-être: il opte au cours de la même année - nous sommes en 1602 - pour la carrière médicale, ce qui le mène en première intention à Paris où il vient côtoyer quelques chirurgiens de renom. Il se lasse toutefois vite d'une formation qu'il juge trop classique et part finaliser sa formation à Montpellier qui donne priorité à des traitements innovants, basés sur des molécules chimiques. Il y décroche son diplôme de médecin à l'âge de 20 ans et, nanti de ce sésame, part pour un tour d'Europe qui lui fait visiter l'Italie, l'Espagne, la Suisse et enfin l'Angleterre. Puis il rentre en France et s'installe d'abord en Ardèche où il se marie en 1609, avant de regagner sa ville natale. S'il ouvre une consultation qui lui permet d'avoir une existence de notable modeste, il s'intéresse avec insistance aux médicaments, domaine dans lequel il aimerait innover. Il fréquente les intellectuels locaux et notamment Gaucher de Sainte-Marthe, médecin ordinaire de François Ier. C'est chez ce dernier que Renaudot fait la connaissance de deux personnages qui vont changer l'orientation de sa carrière et de sa vie: Armand du Plessis de Richelieu, mais aussi François Joseph Le Clerc du Tremblay, souvent dénommé " l'éminence grise " du précédent ou plus communément, le Père Joseph. L'importance que prennent ces deux personnages dans la vie politique du pays (ou dans ses coulisses), va permettre à Théophraste Renaudot de mener à bien ses projets, au moins aussi longtemps que ce double patronage lui sera favorable. Après la publication d'un premier ouvrage, le " Traité des pauvres " bien en phase avec sa perception d'une médecine dévouée, Renaudot se voit attribuer entre 1612 et 1618, la responsabilité d'un " bureau d'adresses ", le titre de conseiller et médecin ordinaire du roi (Louis XIII), puis celui de " Commissaire général des pauvres valides et invalides ". Le jeune médecin n'a, à ce moment, encore que 32 ans. Ces faveurs ne lui font pas que des amis, d'autant qu'il continue à recevoir des indigents qu'il fait rarement payer. Une concurrence que les médecins de la Faculté, ses pairs pourtant, ne lui passeront jamais, lui faisant une guerre permanente. Les fonctions qu'il a à assumer amènent Renaudot à Paris où, par prudence, il se convertit au catholicisme. Et il ouvre donc un, puis rapidement plusieurs bureaux d'adresses. De quoi s'agit-il? De rien d'autre que ce qui deviendra ensuite des agences de placement. Y convergent en effet des propositions et des demandes d'emploi aussi bien que d'achat et de vente. Le nombre d'informations à gérer est tel que le responsable envisage rapidement de les imprimer pour en augmenter la diffusion. Cette " feuille du bureau d'adresses " est la première publication de Renaudot et son impact est tel que, dès 1633, les demandeurs d'emploi sont tenus de s'y inscrire. Un succès en appelle un autre. À l'image d'un précédent vénitien, Richelieu suggère à Renaudot d'éditer un journal pour diffuser des informations gouvernementales et entretenir la gloire de la monarchie. C'est la Gazette, premier journal d'information dont la diffusion dépasse rapidement un niveau confidentiel et qui vaut à son éditeur d'entrer définitivement dans l'histoire. Les succès divers ne faiblissent pas et gagnent même en visibilité et en extension... jusqu'en 1643, date du décès de ses protecteurs, Richelieu et Louis XIII. C'est à ce moment que commencent les vrais ennuis pour Renaudot. Ils ne le lâcheront plus. L'homme de l'art a en effet profité de ses bureaux parisiens pour en faire des dispensaires où il reçoit ceux qui requièrent ses soins mais ne peuvent le payer. Il crée aussi une école de médecine; c'est l'Hôtel des consultations charitables, en réalité une clinique où des étudiants peuvent venir se former au chevet des malades. Les chirurgiens et les apothicaires aussi. Renaudot n'a par ailleurs pas renoncé à son désir d'innover en matière de traitement. Il est à l'origine du vin émétique à base d'antimoine, dont il est notamment question - sous le sceau de l'ironie, il est vrai - dans le Don Juan de Molière. Est-ce tout? Pas encore; Renaudot est aussi le fondateur du Mont-de-piété, où des biens peuvent être mis en gage en attendant des jours meilleurs. Le succès une fois de plus est au rendez-vous. Ce qui apparaît comme de la philanthropie est toutefois mal vu par ceux qui ont l'appât du gain. Quelques médecins de l'époque - ceux que la Faculté de médecine représente - obtiennent la fermeture des bureaux et font perdre à celui qui est pourtant un confrère, toutes ses fonctions. Richelieu n'est plus là, et Mazarin qui prend le relais compense quelque peu en nommant celui qui est devenu journaliste malgré lui, historiographe du roi. L'opposition aurait pu s'arrêter là, mais les jaloux savent trouver des trésors de ressources. Non contents d'attaquer Théophraste Renaudot, ils s'en prennent aussi à ses fils dont ils obtiennent que les diplômes ne soient pas reconnus. L'ainé deviendra toutefois le successeur du père à la direction de la Gazette. Les luttes d'influence qui s'éternisent finissent pas avoir raison de la santé du médecin-philanthrope qui a tant créé. L'avènement de la fronde (1648-1653) qui met en péril le règne du tout jeune Louis XIV n'arrange rien et c'est le 25 octobre 1653 que Renaudot rend son dernier souffle, usé par les attaques dont il est l'objet et affaibli par plusieurs accidents vasculaires cérébraux. Il meurt miséreux à 67 ans. Notes1. Les écrouelles, encore appelée scrofule, est le nom donné à l'époque à l'adénopathie cervicale tuberculeuse chronique. Celle-ci se manifestait par l'apparition progressive de fistules purulentes au niveau du cou, consécutives à une infection à Mycobacterium tuberculosum, le bacille de Koch. L'affection était transitoire, mais laissait des cicatrices indélébiles. Dans sa phase aiguë, les écoulements purulents dégageaient une odeur forte avant de s'indurer; d'où le nom de scrofule donné à la maladie; un nom qui tire son étymologie de scrofa, truie, cochon. On a compris le lien.