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La thématique des soins intégrés regroupe de nombreuses notions à l'instar de la territorialisation des soins, de la gestion de la population, des données et de la continuité des soins. Ces problématiques se retrouvent bien au-delà de nos frontières. Les soins intégrés constituent un changement de cap pour les soignants, mais aussi pour les politiques. Si la prise de conscience est là en Belgique, avec des projets pilotes mis sur pied depuis cinq ans, la France est encore au stade expérimental. Il n'empêche que des leçons peuvent être tirées du modèle français axé sur la "responsabilité populationnelle". Quel est le concept? "L'idée est assez simple: seul, aucun acteur de santé ne peut parvenir à garder une population en bonne santé", répond Antoine Malonne, responsable du pôle prospective au sein de la Fédération hospitalière de France. En pratique, le modèle consiste en une succession de programmes d'actions qui vont de la prévention jusqu'à la prise en charge des patients les plus complexes, tout en visant l'excellence clinique pour chaque patient en fonction de ses besoins de santé. Le modèle est actuellement en expérimentation dans cinq territoires français. Les problématiques rencontrées pour la mise en place de ce modèle de soins intégrés sont peu ou prou les mêmes que ceux rencontrés en Belgique, notamment les difficultés de définir le territoire et la population (notamment celle à risque, difficile à identifier). La France a opté pour une solution originale avec la mise en place d'un système pyramidal par strate de patients, allant du patient en bonne santé au patient le plus complexe pour le cas, par exemple, du diabète. "L'objectif est tout simplement d'éviter que les patients montent dans la pyramide. Ce modèle permet d'éviter qu'une personne à risque de diabète ne devienne diabétique, ce qui se traduit par une économie pour la société que l'on peut quantifier", détaille Antoine Malonne. En Allemagne, il ne s'agit pas de projet pilote ou d'expérimentation. "Nous négocions avec les financeurs des projets à plus long terme, sur dix ans", explique le Dr Manfred Zahorka, actif au sein de la société Optimedis (Hambourg), un des acteurs allemands de la transition vers des soins intégrés. "L'intérêt politique est présent et nous sommes, comme la Belgique, au stade de la modélisation."Au sein de ce modèle, sans surprise, le patient est au centre. Autour de lui gravitent les prestataires de soins. La notion de territoire de santé est également présente et centrale. L'objectif est de connecter différentes offres de soins qui, jusque-là, étaient fragmentées. "Le processus demande un engagement fort de toutes les parties prenantes du terrain", reconnaît le Dr Zahorka. Il pointe également la nécessité d'organiser l'interopérabilité des prestataires, de penser à la prévention, la promotion de la santé, au rôle du patient et au rôle des données, extrêmement importantes pour évaluer l'efficacité des approches mises en place. L'originalité de l'Allemagne est d'avoir créé le rôle d'intégrateur territorial. Ce dernier a pour mission de collaborer avec les médecins, les patients et les autres acteurs pour organiser les services complémentaires qui pourraient manquer à l'organisation de soins intégrés efficaces. Autre caractéristique: le modèle de financement, axé sur une économie partagée avec les caisses d'assurance maladie. "L'idée est la suivante: si l'on arrive à rendre les services de santé plus efficaces sur un territoire, on arrive à réduire les coûts liés aux soins. L'économie réalisée profite bien sûr aux caisses d'assurance maladie, mais également à l'intégrateur territorial qui profite de cet argent pour inciter les partenaires à créer davantage de services de prévention et investit dans divers incitants. Cela concerne des programmes de santé qui ne sont pas couverts par les assurances, comme des examens approfondis, la fixation d'objectifs personnels au patient, etc."La Suisse est un État fédéral assez similaire à la Belgique. Mais si le système de santé suisse est plutôt performant, bien que coûteux (13% du PIB), il n'y a pas de véritable politique de soins intégrés. Il existe néanmoins toute une série d'opportunités politiques et d'événements qui favorisent les soins intégrés. L'essentiel des projets de soins intégrés se retrouvent donc à l'échelon local. Une ambitieuse enquête sur les soins intégrés de 2015 a répertorié 155 initiatives réparties sur le territoire suisse. Un tiers des projets ciblaient des profils particuliers de patients (diabétiques, BPCO, âgés, multimorbides, ...), d'autres ciblaient la santé mentale ou encore la transition hôpital-ambulatoire. Forte de cette enquête, la Suisse a évalué la maturité de son système de santé en termes de soins intégrés. Les résultats sont comparables à ceux de la Belgique, à quelques exceptions près. Le frein majeur à l'implémentation de soins intégrés est, sans aucune surprise, la fragmentation du système de santé. La Suisse a donc beaucoup de marge de manoeuvre puisqu'il n'y a pas de stratégie nationale claire dans le domaine des soins intégrés. Le contexte politique est néanmoins beaucoup plus favorable aujourd'hui. Mais l'évolution se fera au rythme suisse, plus lent qu'ailleurs. "Il n'y aura pas de disruption majeure, ça on peut en être sûr", explique le Dr Isabelle Peytremann Bridevaux, médecin cheffe, responsable du Centre universitaire de médecine générale et de santé publique de Lausanne. "La Suisse reste un pays qui a beaucoup de ressources, qui est content de ce qu'il fait et dont le système de santé n'est pas menacé pour le moment. Cela provoque un manque d'enthousiasme au niveau national, même si des initiatives locales existent."Le développement des soins intégrés au Royaume-Uni progresse à des vitesses différentes. Par rapport à l'Écosse (et par extension au Pays de Galles), l'Angleterre est en retard au niveau des soins intégrés. La loi de 2014 sur les organismes publics (travail conjoint) a modifié la manière dont les services de santé et de protection sociale sont organisés en Écosse. Les autorités locales et les prestataires du NHS sont tenus par la loi de travailler ensemble à la planification et à la prestation de services de santé et de services sociaux pour adultes, y compris les services aux personnes âgées. L'intégration de ces services est gérée par les commissions paritaires d'intégration (IJB). L'Écosse compte 14 conseils de santé responsables des services de santé et 32 autorités locales responsables des soins sociaux. Après la loi sur les organismes publics, l'Écosse a créé 31 IJB pour s'aligner autant que possible sur les 32 autorités locales (deux autorités locales relèvent d'un IJB). Une telle approche devrait encourager une gestion holistique de la santé. Entre-temps, l'Angleterre a également pris des mesures d'intégration, avec le lancement cette année du Health and Care Act et la mise en place d'un système similaire de 42 Integrated Care Systems (ICS). Cependant, la façon dont les autorités locales sont organisées en Angleterre est différente, avec de nombreux niveaux de gouvernement local dans de nombreux domaines, rendant l'intégration plus complexe selon certains. De retour en Écosse, l'histoire de l'intégration a besoin d'un second souffle en 2022. Un examen de 2020 des soins sociaux pour adultes a identifié un certain nombre de recommandations. Cela a finalement conduit à un projet de loi qui retire la responsabilité des services de soins sociaux aux autorités locales et la transfère au gouvernement écossais d'ici 2026. Le National Care Service (NCS) qui sera créé établira des normes et des priorités pour les nouvelles autorités sanitaires locales. Cela améliorera la qualité des soins intégrés, disent certains. Selon d'autres, un système comme le NCS encouragera la bureaucratie et une approche du haut vers le bas. Toujours selon les analyses, l'Angleterre et l'Écosse, malgré leurs approches historiquement différentes de l'intégration, font fondamentalement face aux mêmes défis. Par exemple, il manque une politique à deux volets dans laquelle les ressources sont utilisées pour résoudre les problèmes urgents tout en rendant les services durables pour l'avenir. Il y a aussi des problèmes de recrutement et de rétention de personnel qualifié. Il y a aussi un manque de données solides pour vraiment transformer les services.