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Tous les acteurs de la scène financière nous bombardent de prévisions en début d'année. En ce moment, l'accent est surtout mis sur l'évolution attendue de l'inflation et des taux d'intérêt, en fonction notamment de l'humeur plus ou moins agressive des banques centrales. En plus de la conjoncture économique, bien entendu. Quand ils traduisent ceci en conseils de placement, on a souvent droit à un avertissement sur l'évolution du dollar, ainsi qu'à une préférence pour les actions de valeur ou de croissance. Il est par contre assez rare qu'une banque ou un gestionnaire d'actifs se jette à l'eau avec une liste d'actions favorites, ou au contraire déconseillées. C'est ce qu'a fait la banque privée Degroof Petercam. C'est l'occasion de comprendre comment les professionnels effectuent leur sélection, avec l'explication détaillée ici donnée pour quatre valeurs. Analyste en actions, Laura Roba précise d'emblée que la sélection se fait sur une approche bottom-up, "tout en prenant en compte un tas d'autres facteurs". Que signifie bottom-up, soit de bas en haut? Tout simplement que l'analyse part des entreprises cotées en bourse: il s'agit de repérer celles qui affichent des qualités intrinsèques telles qu'une forte croissance, une demande soutenue pour ses produits, une grande efficience générant des coûts très compétitifs, ou encore un endettement très faible, critère important dans un environnement marqué par la hausse des taux d'intérêt. On remonte ensuite vers des paliers plus macro-économiques, soit la conjoncture, l'inflation, ou la situation peut-être difficile de certains secteurs, éléments qui pourraient nécessiter des modifications dans la liste. Une entreprise magnifique mais active dans un secteur menacé pour des raisons conjoncturelles, par exemple, sera sans doute mise au frigo. Appelée top-down dans le jargon financier, soit de haut en bas, la démarche inverse consiste, on l'aura compris, à partir de la situation économique et financière générale pour déterminer les dangers et opportunités qui s'en dégagent. Il s'agit ensuite d'examiner quelles entreprises pourraient en profiter ou, au contraire, en souffrir. "Cette année, dans notre liste, nous avons inclus des valeurs cycliques et aussi défensives", signale l'analyste. Concrètement, la liste comprend toujours des actions dont on espère une performance supérieure à la moyenne du marché... même si elles ont déçu en 2022, soit AB Inbev, Barco, Fagron (équipements médicaux), Just Eat Takeway (livraison de repas) et Kinepolis. Le premier brasseur du monde n'est plus à présenter, pas plus que l'exploitant de salles de cinéma Kinepolis. Barco, de son côté, est un grand nom du traitement de l'image: projection, affichage (dans les aéroports par exemple), sécurité, etc. L'action fait partie du trio favori. "Après la crise du covid, nous attendons une excellente année, avec croissance des revenus et des marges", explique Laura Roba. "Pour deux raisons: d'abord, le retour au bureau dont bénéficie ClickShare (matériel audiovisuel pour réunions). Ensuite le retour au cinéma." Conséquence: un flux de trésorerie très solide qui va ouvrir des opportunités en matière de rachat d'entreprises comme de distribution de dividendes. De plus, la valorisation de l'action est plutôt modeste, ce qui autorise l'espoir d'une hausse non négligeable", estime l'analyste. Objectif de cours: 29 euros, contre les 22 à 24 affichés récemment. Petit rappel historique: le titre avait doublé en 2019, passant en chiffres ronds de 15 à 30 euros, puis à 35 euros au début 2020, avant de revenir brutalement à 15 euros avec la crise du covid. Les cinq actions évoquées plus haut, repêchées d'une année à l'autre, sont pour 2023 complétées par ASM International (Pays-Bas, semi-conducteurs), IBA, Montea, Retail Estates (immobilier commercial) et UCB. Deuxième favorite de Laura Roba, IBA est, faut-il le rappeler, un fabricant d'accélérateurs de particules utilisés dans le diagnostic et le traitement du cancer, mais également la stérilisation et autres applications industrielles. "La protonthérapie, technique de traitement du cancer, est son marché-clé, mais on observe ces dernières années une importante croissance au niveau de ses autres accélérateurs", argumente-t-elle. "IBA travaille sur le développement de l'acrinium 225, un radio-isotope permettant lui aussi de traiter le cancer. Nous nous attendons à ce qu'IBA devienne leader pour sa distribution."Difficile de ne pas connaître IBA, dans le secteur médical en particulier, mais également pour peu qu'on suive la bourse belge. Au niveau des performances boursières, c'est un titre plutôt fantasque, qui joue aux montagnes russes. Qu'il ait brutalement chuté, en septembre dernier, de 18 à 12 euros n'est encore rien. On l'avait déjà vu s'écrouler de 25 euros à l'été 2018 à 6 euros au début 2020. Rappelons le sommet de plus de 56 euros affiché au printemps 2017, un cours alors multiplié par neuf en trois ans et demi! La direction avait avoué en 2018 que l'entreprise était soudainement en panne et elle demandait aux investisseurs un peu de patience. Et même beaucoup, car aux environs de 16 à 18 euros récemment, le cours d'IBA n'a toujours pas fait d'étincelles. Tel est par contre le cas du carnet de commandes: la société de Louvain-la-Neuve a fait état, en 2022, de contrats à la fois nombreux et importants, dont émerge l'accord annoncé en décembre avec le ministère espagnol de la santé: dix systèmes de protonthérapie, pour 217 millions d'euros. La concrétisation de pareils contrats s'étale sur plusieurs années, de sorte que les investisseurs n'ont pas encore osé manifester leur enthousiasme... Après un bénéfice plutôt symbolique en 2021, les résultats 2022, annoncés fin mars, souffleront-ils un vent d'optimisme? Troisième action favorite, également puisée dans les nouveaux venus: Montea, société immobilière réglementée (SIR) active dans la logistique. Avec quels arguments? "Globalement déjà, le secteur de la logistique fut un des bénéficiaires des évolutions observées suite à la crise du covid, soit les délocalisations et la restructuration des chaînes d'approvisionnement", relève Laura Roba. "Ensuite, l'entreprise est bien positionnée dans l'environnement inflationniste actuel grâce à l'indexation des loyers. Enfin, nous pensons que Montea peut poursuivre sa croissance de manière rentable grâce à la capacité foncière accumulée au fil des années." Le cours de Montea s'est effondré de moitié exactement l'an dernier, entre le sommet de 124 euros du 1er février et les 62 euros du 13 octobre, une évolution fort semblable à celle de nombreuses autres SIR. Comme ces dernières, Montea n'a que peu remonté depuis, l'action se situant un peu au-delà des 70 euros. Nombre d'analystes jugent ce krach trop sévère et estiment les SIR plutôt attrayantes à leur cours actuel, qui tient donc largement compte de la hausse des taux d'intérêt. S'il est intéressant - et, espère-t-on, utile! - de connaître les actions favorites d'un analyste, il n'est pas sans intérêt de savoir aussi ce qu'il ou elle n'aime pas, et pourquoi! Voici donc celles que l'analyste de Degroof Petercam qualifie de "sous-performeurs" pour cette année: Lotus Bakeries, Melexis (semi-conducteurs), Randstad (Pays-Bas, interim), Tikehau Capital (France, gestionnaire d'actifs) et Vastned (immobilier commercial). Focus sur la première. Entré en bourse de Bruxelles sous le nom Corona Lotus, le fabricant de gaufres et spéculoos basé à Lembeke, au nord de Gand, en est incontestablement LA success story des 20 dernières années. Après un sommet à plus de 6.600 euros en décembre dernier, l'action est brutalement retombée à moins de 6.000 euros en janvier. Un peu vexant, mais insignifiant pour les investisseurs d'avant-hier: l'actions valait moins de 500 euros en 2012 et à peine... 43 euros fin 2001. Elle a rapporté 30% par an pendant 20 ans, mieux encore que de nombreuses valeurs technologiques! À coup d'innovations (la fameuse pâte à tartiner au spéculoos) comme de très nombreux rachats de biscuiteries, l'entreprise familiale a, en 2021, dépassé les 750 millions de chiffre d'affaires, avec une marge bénéficiaire nette fort appréciable de 12%. Alors, pourquoi cette opinion négative? "Le marché s'attend à ce que cette croissance continue de manière infinie", pointe l'analyste. "Il y a cependant un risque, car 30% de l'activité est le fait de la division "Natural Food", qui est basée en Grande-Bretagne, un marché très compétitif. Par ailleurs, la valorisation de l'action, qui était déjà élevée, a continué à croître et dépasse largement celle de ses pairs, ce qui est excessif." En d'autres termes, l'entreprise n'a pas démérité, mais les investisseurs se sont emballés à l'excès, oubliant que les arbres ne grimpent pas jusqu'au ciel. On verra...