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Quand la musicienne n'est pas sur la route avec son groupe, elle travaille à l'hôpital de San Francisco en tant que spécialiste de médecine interne. Née de parents Punjabi1sur le territoire Ohlone en Californie, elle a grandi entre l'Inde, la France et les États-Unis. Ce médecin s'installe ensuite avec son mari, agriculteur biologique, avec qui elle collabore pour des projets de recherches d'agriculture régénérative. 2 La naissance de leur enfant va les convaincre de l'importance du retour à la nature. La Dr Rupa Marya aime aussi les langues et leur musicalité. Quadrilingue, elle apprend maintenant le langage des plantes, des oiseaux et celui de l'eau. Et sa musique à elle, elle la définit comme socialement consciente. "C'est une musique qui parle de notre condition sociale, offrant des solutions imaginées et réelles, et des expressions de libération des structures sociales oppressives", explique-t-elle. Une musique qui explore l'intersection de la société et de la maladie. Leur dernier album Growing Upward témoigne d'ailleurs de la résilience des groupes luttant contre le changement climatique. Le journal du Médecin: pouvez-vous expliquer en quoi consistent vos recherches sur l'intersection de la société et de la maladie?Dr Rupa Marya: Je travaille actuellement sur un projet qui examine ce qui se passe si vous considérez les agriculteurs comme des gardiens des terres, dont le travail principal serait de prendre soin du sol, de l'eau, et de la nourriture qui en provient. Celle-ci serait libérée de l'économie de marché afin de nourrir les gens. Ce travail se déroule sous souveraineté autochtone, sur les terres ancestrales du peuple Ramaytush Ohlone. Hitler admirait les États-Unis dans la façon dont ils ont voulu éradiquer les peuples autochtones de leurs terres et effacé leur culture. Eh bien, tout comme pour Hitler, le projet génocidaire des États-Unis n'a pas réussi. Les peuples autochtones sont toujours là et grandissent dans leur pouvoir et leurs alliances pour corriger la façon dont nous vivons sur ces terres. Les concepts de propriété privée, de maintien de l'ordre et de faim étaient étrangers à ces terres avant l'invasion européenne. Je m'intéresse à ce qui arrive à la santé si nous élevons les valeurs et les perspectives de ces personnes. La cosmologie du capitalisme a créé l'effondrement du climat. Les endroits les plus riches en biodiversité sont gérés par des peuples autochtones. Leurs cosmologies sont supérieures au maintien de systèmes de santé et d'équilibre à long terme. Comment partagez-vous votre temps? La musique vient nourrir la médecine? Ou l'inverse?Je prends du temps pour les deux et je nourris les deux parce qu'ils me guérissent moi, mais aussi ceux avec qui je partage mon travail, en tant que médecin et artiste. Je ne me limite pas aux descriptions de ce qu'est la guérison. Donc pour moi, la médecine et la musique sont toutes deux des arts de guérison. Par ailleurs, je sais depuis que je suis jeune que je voulais vivre une vie qui engage pleinement mes facultés de sciences et d'arts. Je ne les vois pas comme des pratiques séparées. Pour moi, ils s'intègrent et s'informent mutuellement. Je gagne moins que la plupart des médecins et je gagne plus que la plupart des artistes. Je ne serai jamais cheffe de service, et cela me va. Je vis plutôt une vie qui me semble totalement authentique et engagée. Depuis quand chantez-vous et jouez-vous de la musique?La première fois que je me souviens d'avoir aimé le sentiment de chanter, j'avais quatre ans, debout dans le coin de l'humble maison de ma grand-mère en Inde. J'ai chanté et j'ai adoré l'acoustique. Ensuite, j'ai commencé à jouer du piano à huit ans, de la guitare à 19 ans, et je compose des chansons depuis toute petite. Vous soutenez la lutte contre les politiques anti-immigration. Comment voyez-vous la situation aux États-Unis?Je ne pense pas que les gens devraient être criminalisés pour avoir fui leur pays détruit par des projets coloniaux et impériaux, anciens ou actuels. L'Afrique reste pauvre à cause du pillage de l'Europe. Les gens meurent de faim en Inde à cause des systèmes économiques mis en place pendant le régime colonial. Les personnes devraient être libres d'aller là où elles en ont besoin pour pouvoir nourrir leur famille et elles-mêmes et se sentir en sécurité. Je considère le sort des migrants comme un moyen d'essayer de survivre à cette violence immense et catastrophique. Et je me demande pourquoi les questions d'immigration ne sont jamais formulées du point de vue de ce qui pousse tous ces gens à quitter leur foyer. Il y a une hypothèse eurocentrique selon laquelle le Nord global est en quelque sorte plus souhaitable. Mais en réalité, les gens seraient heureux de rester dans leur patrie si les nations impériales arrêtaient de les détruire. Vous préparer aussi un livre avec Raj Patel. Pouvez-vous en dire plus?Il s'agit d'un livre qui explique comment le colonialisme a modifié les relations entre les hommes et le réseau de la vie, et comment le résultat de ces relations interrompues est l'inflammation, dans notre corps, dans notre société et sur notre planète. Il s'intitule: Inflamed, Deep Medicine and the Anatomy of Injustice. Il sort le 3 août.