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Plus d'inflation et moins de croissance: tel fut clairement le credo des économistes dès le 24 février et il s'est confirmé depuis. La semaine dernière encore, la Banque nationale de Belgique (BNB) a porté sa prévision d'inflation de 7 à 7,4% pour l'année en cours (venant de 6,7% quelques semaines plus tôt), arguant du fait que les prix se tasseront moins vite que prévu précédemment. Un chiffre plus élevé qu'ailleurs en Europe: la France table sur 3,7% dans un scénario optimiste et 4,4% dans un scénario pessimiste. Aux États-Unis, la banque centrale a corrigé sa prévision de 2,6 à 4,3%, une hausse substantielle pour un pays autosuffisant en énergie. La croissance 2022, quant à elle, est clairement revue à la baisse. La BNB a raboté sa prévision de 2,6 à 2,4%. Ce dernier chiffre reste toutefois fort correct, en partie grâce au vigoureux élan de 2021. Celui-ci déborde sur 2022, un phénomène observé partout en Europe. On ne saurait toutefois perdre de vue que la croissance attendue en 2023 fut elle aussi revue à la baisse, à 1,5% seulement pour la Belgique. Cette croissance rabotée s'explique notamment par le fait que la guerre en Ukraine a aggravé les difficultés d'approvisionnement observées depuis l'an dernier en les élargissant à des domaines nouveaux tels que l'huile de tournesol ou les câbles électriques à destination de l'automobile, deux produits pour lesquels l'Ukraine fournit assez largement l'Europe. S'y ajoutent les confinements à nouveau décidés en Chine, en raison des nouvelles contaminations de Covid. De manière plutôt surprenante du reste, les nombres en question restant dérisoires par rapport à ce que l'on observe au niveau européen. Pas de récession donc, pas de stagflation non plus? Pour rappel, le mot stagflation eut son heure de gloire - si l'on ose ainsi s'exprimer - après le choc pétrolier de 1973-74, qui mena à une stagnation de l'économie (et même à une récession) en même temps qu'à une forte inflation. Force est de reconnaître que les opinions exprimées récemment sont parfois moins rassurantes que précédemment. La banque suisse Pictet estime ainsi que le risque de récession n'est pas négligeable: c'est ce que l'on observe historiquement quand le prix du pétrole grimpe brutalement de plus de 50% au-dessus de sa tendance. C'est toutefois à l'adresse de l'investisseur que l'on relève le plus grand nombre d'avertissements. Le gestionnaire DNCA Finance craint que la croissance des bénéfices des entreprises européennes soit de l'ordre de 3% à peine cette année, plutôt que des 7 à 9% attendus jusqu'ici. L'assureur Generali abonde dans le même sens, estimant que les marges des entreprises sont menacées à moyen terme (voire à court terme? ) à cause tant du prix de l'énergie en tant que tel que du moral en berne des consommateurs qu'il entraîne. Guy Wagner, le stratégiste de la Banque de Luxembourg, prévient de son côté que " les rendements (ou returns) à attendre des principaux indices boursiers dans les années à venir risquent d'être très faibles". De son côté, le gestionnaire de fonds Ethenea se veut lyrique en prévenant que "le coffret magique des banques centrales qui a rendu de si beaux services à la totalité des classes d'actifs au cours des 13 dernières années devra prochainement être mis au placard". Il poursuit, plus prosaïquement. "Le véritable changement auquel les investisseurs vont devoir se préparer est de faire face aux baisses de cours."Tout cela n'est guère engageant... mais n'empêche pas les professionnels de conserver leur confiance aux actions. Fût-ce à cause de cette chère Tina: there is no alternative. Ou presque... L'explication est simple. D'une part, les taux d'intérêt à long terme ont pris de la hauteur. Franchement teintée de rouge, la performance des obligations américaines fut d'ailleurs, au premier trimestre, la plus mauvaise depuis plus d'une génération. D'autre part, si ces taux sont en hausse, ils restent très inférieurs à l'inflation. Et le resteront, estiment tous les économistes. Donc, avec des obligations ou un carnet de dépôt, on s'appauvrit. Restent donc les actions au niveau des placements financiers. En tout cas celles des entreprises pas trop endettées et pouvant adapter leurs prix de vente en fonction de la hausse de leurs coûts. Au niveau sectoriel, on assiste au grand retour de la défense. Mis au rancard depuis la chute de l'URSS, du moins dans une large mesure, les constructeurs de matériel militaire ont bénéficié depuis le 24 février d'un engouement exceptionnel, comme l'illustrent les performances indiquées dans le cadre ci-contre. Fameux envol aussi, du moins dans un premier temps, pour les entreprises liées aux énergies renouvelables: des ténors comme les fabricants d'éoliennes Gamesa-Siemens et Vestas, ou encore le producteur Orsted ont gagné quelque 15% en deux jours. Il ne fait pas de doute que l'attaque de l'Ukraine par la Russie a donné un sérieux coup de fouet aux énergies renouvelables et aux commandes militaires par les pays européens. Encore faut-il bien se rendre compte que ces secteurs seront très profitables à moyen plutôt qu'à court terme. Autre piste pour l'investisseur: les actifs pouvant être qualifiés de remparts contre l'inflation, volontiers qualifiés aussi d'actifs réels. Certains avancent l'or, d'autant que des taux d'intérêt négatifs en dollar constituent historiquement un important soutien au métal jaune. L'or ou encore les mines d'or, dont plusieurs spécialistes soulignent les cours extrêmement (et même anormalement) bas par rapport tant au niveau de l'or lui-même que des actions en général. Et ceci reste largement vrai après le joli bond du premier trimestre, de l'ordre de 20%. Il va de soi que l'immobilier s'impose lui aussi comme rempart contre l'inflation. Il a fait ses preuves dans les années 70, quand les taux réels étaient également négatifs. Les gestionnaires d'actifs affichent une préférence pour le secteur de la logistique, ou encore le logement, plutôt que pour le bureau.