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Le stress est un syndrome général d'adaptation. Tout commence par un signal, un agent stressant (un bruit soudain, par exemple): nous entrons aussitôt en phase d'alarme, pour nous préparer à fuir ou combattre - le fameux flight or fight -, l'organisme sécrète de l'adrénaline et de la noradrénaline. Si le stress est ponctuel et aigu, une fois l'agent stressant identifié et géré, nous entrons en phase de compensation et retrouvons notre état normal en moins d'une demi-heure. Mais si le stress perdure ou se répète, "nous entrons en phase de résistance, caractéristique du stress chronique, un état supérieur à trois heures", explique Michel Delbrouck, médecin généraliste, psychothérapeute et formateur [1]. "Si nous y restons trop longtemps, nous risquons d'arriver en phase de décompensation, qui est celle de l'épuisement psychique et physique." Le stress chronique est un déséquilibre durable entre les systèmes parasympathique et orthosympathique. Ce déséquilibre peut se déployer aux niveaux du cortisol, du microbiote et du système nerveux entérique et de la transmission glutamatergique et gabaergique. · Le cortisol: lors d'un stress chronique prolongé, en phase de résistance extrême, le cortisol prend le relai de l'adrénaline via l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. À terme, des quantités importantes de cortisol sont neurotoxiques et entraînent une diminution du nombre de neurones et du volume de l'hippocampe (parfois définitive). L'excès de cortisol diminue aussi la production de BDNF, ce facteur de croissance de la glie. Ces phénomènes entraînent une réduction de la quantité de neurotransmetteurs, dont la sérotonine... Ce qui fait le lit des dépressions. L'augmentation du cortisol induit également un déficit immunitaire ; la personne devient moins résistante aux infections et à certains traitements. · Le microbiote et le système nerveux entérique: le stress chronique perturbe l'homéostasie intestinale, notamment en augmentant la production de cytokines pro-inflammatoires. "Le cerveau et le tube digestif sont connectés par voie sanguine, nerveuse, endocrinienne et immunitaire", rappelle le Dr Delbrouck. "Il n'est dès lors pas étonnant de trouver des liens entre anxiété, dépression et désordres neuropsychiatriques d'un côté et des troubles métaboliques type obésité et maladies intestinales de l'autre! Sans aller jusque-là, devant un ou une patiente stressée, il est toujours utile de s'enquérir d'éventuels troubles digestifs." · Glutamate et GABA: la recherche a démontré que le stress chronique pouvait entraîner un phénomène de surchauffe intellectuelle. "Le glutamate est un neurotransmetteur excitateur qui, en temps normal, est freiné par l'acide gamma-aminobutyrique (GABA)", explique le Dr Delbrouck. "Quand la charge de travail intellectuel est trop importante, il y a une rupture de l'équilibre dans la transmission glutamatergique et gabaergique: l'activité du glutamate est majorée et le GABA - qui est son seul "frein" - ne suit plus. Face à cette surchauffe intellectuelle, une seule solution: s'arrêter, se reposer, aller marcher, etc."Le stress chronique altère les fonctions cognitives, émotionnelles et corporelles. Ce qui peut entraîner une kyrielle de symptômes (lire encadré). "En consultation de première ligne, deux paramètres me semblent importants à rappeler. D'abord, dans le cadre d'un déséquilibre para-orthosympathique, une personne peut pousser l'un des systèmes à l'extrême. Elle peut ainsi être alexithymique. Ce trouble de la régulation émotionnelle est une difficulté à ressentir les émotions et à les exprimer. À l'inverse, elle peut être hypersensible. Ces deux extrêmes peuvent tout à fait s'alterner chez une même personne, en très peu de temps, parfois au cours d'une même consultation. Ce qui peut être déconcertant, mais indique souvent un stress chronique."Ensuite, rappelons que le stress chronique augmente ou aggrave la symptomatologie des maladies fonctionnelles (syndrome de l'intestin irritable, fibromyalgie, etc.) ou auto-immunes (maladie de Crohn, spondylarthrite ankylosante, psoriasis, etc.). Cela dit, les symptômes sont d'autant plus difficiles à relier au stress chronique qu'ils ne sont pas spécifiques. "La première chose à faire est donc d'exclure d'éventuelles autres causes organiques", préconise le Dr Delbrouck. "Procéder à un examen clinique et faire un bilan sanguin me semble être la base. Et, au cas par cas, ordonner des examens complémentaires: une polysomnographie si l'on soupçonne certains troubles du sommeil, un bilan neuropsychologique en cas de "perte de mots" ou de mémoire, etc. Il faut aussi rechercher les comorbidités et investiguer d'éventuelles assuétudes. Pourquoi la personne boit-elle de l'alcool ou fume-t-elle du cannabis tous les jours? Qu'y a-t-il derrière cela? Parfois, l'addiction est l'arbre qui cache la forêt!" Cette démarche implique du savoir-faire médical, bien sûr, mais aussi du savoir-être. "L'écoute empathique est primordiale! Regardons nos patients et patientes dans les yeux, écoutons-les avec attention, sans faire autre chose en même temps - taper à l'ordinateur, par exemple. Et devant une personne stressée ou agitée, calmons-nous nous-mêmes: par l'effet des neurones miroirs, elle tendra à s'apaiser. À cet égard, la cohérence cardiaque est un excellent outil à enseigner à la patientèle, mais aussi à nous appliquer à nous-mêmes." Il s'agit d'inspirer profondément (en cinq temps) et puis d'expirer plus longuement encore. Faire cinq ou six cycles respiratoires, trois à quatre fois par jour, aide grandement à rééquilibrer le système para-orthosympathique. Plusieurs applis (gratuites) sont disponibles. Le diagnostic du stress chronique est donc essentiellement basé sur l'anamnèse et la connaissance que nous avons de notre patient(e), de sa situation familiale, personnelle et professionnelle, de ses antécédents, de son histoire, etc. Mais que faire face à une personne que nous ne connaissons pas ou peu? "Il faut oser investiguer. Lui demander: "Depuis quand ça ne va pas?", "Comment ça se passe au boulot et à la maison?", "Racontez-moi une journée typique", etc." Ces questions sont aussi importantes pour tenter d'identifier les principaux agents stressants et/ou symptômes du déséquilibre, car les (premières) réponses thérapeutiques en dépendent. Par exemple, si notre patient est harcelé au travail, il faut l'en extraire en le mettant en arrêt maladie. Si des plaintes d'ordre digestif évoquent un déséquilibre du microbiote, des probiotiques et un régime alimentaire anti-inflammatoire [2] sont recommandés. La phytothérapie (valériane, aubépine, etc.) et/ou une cure de magnésium améliorent certaines situations. Et en cas de problématique psychique, de violences (viol, agression, etc.), de gros choc émotionnel ou si nous soupçonnons un syndrome de stress post-traumatique, n'hésitons pas à référer vers le psychologue. Pour rappel, il est désormais possible de prescrire des séances de psychologie de première ligne via un réseau de santé mentale, sans que cela coûte au patient. Sans oublier, bien sûr, toutes les recommandations relatives à l'hygiène de vie en général et l'exercice physique en particulier. "L'essentiel est que nos patients et patientes ressortent de la consultation avec une piste, un début de solution concrète", conclut le Dr Delbrouck. "Il n'y a évidemment rien de mal à demander l'avis ou l'appui d'un confrère ou d'une consoeur spécialiste (para)médicale. Mais le médecin généraliste doit garder la main sur le dossier et rester la personne de référence pour assurer le suivi à long terme."