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L'éducation des patients atteints de diabète de type 1 insiste beaucoup sur le fait que la dose d'insuline à injecter doit être corrélée à leurs apports en glucides", commence le Pr Frank Nobels (chef du service d'endocrinologie à l'hôpital OLV à Alost). "Ils devront par ailleurs s'en administrer davantage si leur glycémie est trop élevée ou au contraire abaisser la dose si elle est trop faible - c'est en tout cas ce qui se passe normalement." Une infection aiguë imposera toutefois une approche différente, l'élément trompeur étant qu'un individu malade tend à manquer d'appétit et donc à consommer moins de glucides. S'il procède comme il le fait d'habitude, un patient diabétique de type 1 sera par conséquent enclin, dans cette situation, à s'injecter moins d'insuline... le problème étant qu'une infection aiguë s'accompagne d'une résistance accrue à l'insuline sous l'effet des cytokines libérées dans le décours de la réponse inflammatoire, ce qui provoque logiquement un besoin accru d'insuline. Si la dose administrée n'est pas suffisante, le patient s'expose non seulement à une hyperglycémie, mais aussi à un approvisionnement insuffisant des cellules en glucose qui va pousser l'organisme à se tourner vers le métabolisme lipidique et cétogène. Le foie va donc se mettre à produire des cétones, qui vont notamment se charger d'apporter de l'énergie au cerveau et reprendre ainsi le rôle du glucose. "Lorsque nous jeûnons ou mangeons trop peu, nous passons tous en métabolisme lipidique et cétogène", rappelle le Pr Nobels. "Chez les personnes qui bénéficient d'apports d'insuline endogènes, ce mécanisme n'engendre pas de situations dangereuses... mais il en va tout autrement chez les diabétiques de type 1. En raison d'un déséquilibre entre l'insuline et le glucagon dont les causes sous-jacentes ne sont pas encore tout à fait élucidées, on assiste chez ces patients à un déraillement du métabolisme cétogène qui se solde par une production de cétones de plus en plus importante." Cette production massive accroît l'acidité du sang (baisse du pH) mais aussi l'évacuation par les urines de grandes quantités de cétones qui, de par leurs propriétés fortement acides, entraînent avec elles des protons et divers autres électrolytes. Il en résulte des troubles électrolytiques et une déshydratation, également alimentés par la diurèse osmotique provoquée par l'élimination urinaire du glucose qui n'arrive plus à passer dans les cellules au départ de la circulation sanguine. On voit ainsi se développer un appauvrissement des réserves en sodium, potassium, magnésium et phosphore. Lorsque la production accrue de cétones s'accompagne d'une acidification limitée, on parlera de cétose. Si la situation continue à évoluer, on assistera à une acidification marquée du sang et à la survenue d'une acidocétose. Le corps s'efforcera de compenser l'acidification du sang par une accélération du rythme respiratoire à peine perceptible dans un premier temps, mais qui peut, à mesure que la situation s'aggrave, déboucher sur une dyspnée de Kussmaul, avec des expirations rapides et profondes. L'acidocétose a ceci d'insidieux qu'elle s'installe relativement lentement, sur une période de plusieurs heures, et n'est donc pas toujours remarquée en temps utile. Il est donc capital de sensibiliser tout particulièrement les patients à cette complication potentielle du diabète de type 1, dont les vomissements provoqués par l'acidification du sang et les troubles électrolytiques sont les symptômes les plus reconnaissables. L'acidocétose peut être fatale. La dyspnée de Kussmaul peut temporairement entraver ou ralentir l'acidification du sang mais, si le patient s'épuise et n'arrive plus à respirer profondément, il peut se produire une brusque chute du pH sanguin jusqu'à des valeurs inférieures à 6,9, ce qui peut entraîner un arrêt cardiaque. "Pour limiter le risque, nous éduquons les patients qui souffrent de diabète de type 1 à ce que nous appelons les sick days, les jours de maladie", poursuit Frank Nobels. " Nous insistons clairement sur le fait que les modalités habituelles d'administration de l'insuline ne s'appliquent plus en cas d'infection. Nous leur recommandons aussi de nous contacter par téléphone lorsqu'ils se sentent malades et manquent d'appétit, et tout particulièrement s'ils vomissent. Nous pourrons ainsi immédiatement les coacher pour l'administration d'insuline." Quelques conseils pourront aider la personne à éviter une évolution funeste: ? En cas d'infection, il est important de continuer à manger, même si la glycémie est élevée. En dépit de son manque d'appétit, le patient devrait s'efforcer de consommer à intervalles réguliers 30 g de glucides (p.ex. 2 tartines ou 2 tranches de pain d'épices ou 1 banane), en s'injectant de l'insuline à action rapide à raison d'environ 1,5 fois la dose normale pour une quantité de glucides donnée. ? Mise en place d'un schéma de correction plus agressif: à hyperglycémie égale, on recommandera une dose d'insuline supplémentaire plus importante que dans des conditions normales. Une stratégie sûre nécessite toutefois aussi des contrôles plus fréquents de la glycémie, avant le repas puis environ trois heures après celui-ci. Si la glycémie déraille, on recommandera au patient de s'injecter une dose supplémentaire même s'il ne mange pas. Il conviendra néanmoins toujours de respecter un intervalle de deux à trois heures entre deux doses de correction. ? L'administration de l'insuline basale sera maintenue, là aussi éventuellement avec un dosage légèrement accru. ? Boire beaucoup d'eau pour éviter ou compenser la déshydratation provoquée par l'excrétion des cétones et des quantités excessives de glucose. ? Certains patients présentent un risque accru d'acidocétose, souvent en raison de facteurs psychosociaux ou parce qu'ils sont particulièrement sensibles à l'insuline et s'injectent de faibles doses ou parce qu'ils utilisent une pompe à insuline (voir plus loin). Ces personnes recevront souvent un glycomètre capable, suivant la bandelette utilisée, de mesurer non seulement la glycémie mais aussi la cétonémie. Un taux de cétones < 1 mmol/l n'est pas préoccupant, mais une valeur entre 1 et 3 mmol/l justifie de prendre contact avec l'équipe de prise en charge du diabète. Au-delà de 3 mmol/l, on peut parler d'une véritable alerte rouge, car c'est le signe que le patient est en train de développer une acidocétose. " Il est important que le généraliste recommande à un patient diabétique de type 1 qui se présente avec une maladie aiguë de prendre immédiatement contact avec l'équipe diabète", souligne le Pr Nobels. "Nous disposons pour cela d'un service de garde qui est joignable même le week-end. Si le patient est encore en mesure de manger, nous pourrons généralement l'aider à distance. S'il vomit et ne garde plus rien, il devra être hospitalisé en urgence. À l'hôpital, nous commencerons par corriger l'hydratation et les électrolytes et nous administrerons de l'insuline intraveineuse puis, dès que la glycémie aura été ramenée dans une fourchette de valeurs acceptables grâce à la perfusion, du glucose par voie parentérale. Cela permettra d'interrompre la synthèse des cétones." "Si le patient arrive à l'hôpital au stade de la cétose (comprenez, avant celui de l'acidocétose), la situation pourra généralement être corrigée en l'espace de quelques heures et il pourra souvent rentrer chez lui le jour même ou le lendemain matin. S'il se présente avec une acidocétose (nausées et vomissements, valeurs sanguines fortement perturbées), il sera généralement admis aux soins intensifs pour un jour ou deux avant d'être transféré vers une unité hospitalière ordinaire. Moyennant une bonne éducation des malades, les admissions pour acidocétose sont peu fréquentes. Sur un millier de diabétiques de type 1 suivis dans notre hôpital, on parle vraiment d'un poignée d'hospitalisations pour cause d'acidocétose." Des recommandations concernant la cétose et l'acidocétose sont également de mise chez les patients qui utilisent une pompe à insuline. Administrée au moyen d'un stylo, l'insuline va former sous la peau une sorte de bulle de liquide qui va progressivement se propager au sang au cours des heures qui suivent. Les patients qui utilisent ce système ont donc toujours une certaine réserve d'insuline sous-cutanée. Avec une pompe, qui libère continuellement de faibles quantités d'insuline à intervalles de quelques secondes, une telle réserve n'a par contre pas ou guère l'occasion de se constituer. Il est donc important que les patients soient bien conscients qu'un incident technique (pompe défectueuse, cathéter bouché ou déconnecté...) impose toujours une intervention immédiate. S'ils sont au travail et attendent quelques heures pour résoudre le problème ou appeler à l'aide, il est possible qu'ils développent déjà une acidocétose et se mettent à vomir.