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Pour les organisateurs du premier "sommet européen de la santé", le 1er décembre dernier, la pandémie a mis en évidence de manière dramatique la coordination limitée entre les systèmes de santé des pays européens, mettant le modèle de coopération européenne "sous une pression extraordinaire". D'où la volonté d'échanger "discussions stimulantes, partage d'expériences et création de nouveaux partenariats". Mais "il ne faut pas oublier que la santé n'est pas une compétence de la Commission européenne", souligne le Pr Peter Piot, l'expert belge co-découvreur d'Ebola, premier secrétaire général d'Onusida et aujourd'hui conseiller spécial d'Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. "L'idée n'est pas d'unifier à terme les 27 systèmes de sécurité sociale des pays membres de l'Union, tant ils sont le résultat de l'histoire propre de chaque pays-membre, mais plutôt de s'unir pour mettre sur pied un système unique de réponse à la pandémie. Pour, par exemple, se répartir les recherches utiles autour du virus, afin d'éviter que les mêmes recherches soient effectuées 27 fois tandis que d'autres seront négligées. Ou de mener les essais cliniques sur base de cohortes internationales à l'intérieur de l'Union. Beaucoup de choses se sont faites en ce sens depuis le début de la crise, mais on peut améliorer la coordination. On peut également penser à unifier les périodes de quarantaine et d'isolation. Là, il reste beaucoup à faire car le moins que l'on puisse dire est que les pratiques des 27 ont beaucoup divergé. Il est donc important de converger sur de tels outils de gestion des crises de pandémie. Parce que la question n'est pas de savoir s'il y aura de nouvelles pandémies dans le futur, mais seulement de savoir quand elles émergeront. Il faut donc se préparer sur le long terme, ce que vient de faire ce 1er décembre Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, en proposant de créer au niveau européen l'équivalent du Barda nord-américain."La Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda) est un bureau du département de la Santé et des Services sociaux des États-Unis chargé de l'acquisition et du développement de contre-mesures médicales, principalement contre le bioterrorisme, y compris les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), ainsi que la grippe pandémique et les maladies émergentes. C'est cette institution qui a notamment financé les 2,5 milliards nécessaires à réaliser les essais cliniques du vaccin Moderna. Pour Luc Debruyne, strategy advisor de la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (Cepi), groupement d'entreprises pharma, "réaliser un vaccin efficace et sûr en 300 jours est une innovation historique, mais jamais la recherche fondamentale et académique n'aura pu y parvenir sans l'industrie pharmaceutique. Et celle-ci aurait des yeux à moitié bandés et des oreilles sourdes si cette recherche publique n'était pas si efficace. Il faut donc consolider cette alliance du public et du privé pour l'avenir. Parce qu'il faut bien se rendre compte que les investissements réalisés, s'ils sont considérables et sans précédents, ne sont que peanuts face aux pertes économiques qui seront sans doute évitées grâce à un vaccin efficace."Pour l'économiste "nobelisable" Philippe Aghion, professeur au Collège de France, " la crise du Covid a été révélatrice du fait que le système social nord-américain est tout à fait inapproprié face à une pandémie, mais que son système de financement de la riposte, avec 12 milliards de dollars débloqués en quelques jours par la Barda, est le meilleur système que l'Europe ferait bien de décalquer. Elle a montré aussi qu'on était allé trop loin dans la délocalisation de la production des produits sanitaires essentiels. Comment imaginer que soudain l'Europe ne puisse plus produire du paracétamol en autonomie?" Et l'économiste de frapper sur le clou: " Si la stratégie de régime non-démocratique fonctionne mieux que la stratégie européenne, c'est à cause ou grâce aux techniques employées (enfermement, limitation de déplacement) radicales, qui ne sont pas compatibles avec les valeurs de nos sociétés occidentales. Mais, du coup, celles-ci nous imposent un "stop and go" qui voit alterner les vagues. Le choix de la bonne stratégie face à la pandémie doit être dicté par les "coûts d'opportunité", c'est-à-dire par ce que l'on perd en ne choisissant pas l'autre stratégie. Or la stratégie du "stop and go" est très coûteuse en termes de perte de croissance potentielle." Et de proposer: "Sans aller jusqu'à une stratégie aussi stricte que celle de la Corée du Sud (enfermement dans les hôtels des cas positifs), on peut réfléchir à une stratégie de réaction rapide (restrictions à la mobilité et aux rencontres) dès que des signes avant-coureurs d'une hausse du nombre de cas apparaissent. Cette stratégie nécessite à son tour de donner un plus grand rôle à la société civile, plutôt que de nous reposer uniquement sur le pouvoir de l'Etat central et la coercition."Conclusion? "Bien que tous les gouvernements reconnaissent la nécessité d'une collaboration, les pays n'ont pas vraiment réussi à surmonter leurs rivalités habituelles. Les recommandations de la Commission ont été au mieux mises en oeuvre très lentement par les États membres. La mise en place par la Commission de marchés d'achat anticipés pour une distribution efficace et équitable des vaccins est certainement un pas important dans la bonne direction", synthétise le Pr Michel Goldman, qui dirigea longtemps l'IMI, précisément un modèle de collaboration privé-public en matière de recherche thérapeutique. "Ce qui sera essentiel, c'est de restaurer l'élan du public qui a été endommagé par des erreurs manifestes dans la gestion de la crise pandémique. Maintenant que les vaccins arrivent, c'est probablement le problème le plus important pour lutter efficacement contre ce coronavirus. Deux piliers doivent sous-tendre la stratégie à déployer. Transparence numéro un sur chaque question liée au développement, à l'efficacité, à la sécurité et à l'économie des vaccins, mais également des thérapies antivirales qui émergent. Transparence de tous côtés, des industries pharmaceutiques aux investigateurs cliniques. L'autre pilier est l'éducation, le défi ici est d'améliorer la littératie en santé du public profane, de rendre nos citoyens avertis sur les pandémies et les vaccins. Facile à dire mais extrêmement difficile à mettre en oeuvre."Et d'esquisser le futur: "Sur la base de l'expérience de l'initiative en matière de médicaments innovants, je dirais que les partenariats public-privé devraient être renforcés et que la nouvelle agence (Health Emergency Response Authority) qui sera lancée par la Commission européenne pourrait atteindre cet objectif. Il est essentiel de rendre ces partenariats renouvelés adaptés à leurs objectifs. Il ne s'agit pas seulement de faire progresser plus rapidement le progrès médical, mais aussi de garantir un accès équitable aux technologies et médicaments innovants. Cela nécessite un cadre dans lequel le secteur privé, en particulier les sociétés pharmaceutiques, traduisent en actions leurs déclarations généreuses récentes sur le fait d'accorder plus d'attention aux valeurs sociétales en plus des valeurs des actionnaires."