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Plusieurs anticorps monoclonaux dirigés contre le CGRP (Calcitonin Gene Related Peptide) ou son récepteur ont fait la preuve de leur efficacité ces dernières années, ouvrant une nouvelle ère dans la prophylaxie de la migraine. Depuis quelques mois, ils sont sur le marché et remboursés en Belgique sous strictes conditions. Le CGRP est un neuropeptide impliqué du réseau trigémino-vasculaire méningé dont l'activation sous-tend la céphalée migraineuse. Il est en effet libéré au cours de la crise, et les migraineux sont particulièrement sensibles aux effets de ce peptide, dont l'administration déclenche chez eux une crise. Ce constat a d'abord conduit au développement des gépants, des molécules non-peptidergiques qui bloquent transitoirement le récepteur au CGRP et qui sont efficaces pour le traitement de la crise et pour le traitement préventif à condition de les prendre tous les jours. Ils ne sont pas encore commercialisés en Belgique. A l'inverse des gépants, les anticorps monoclonaux sont capables de bloquer les effets du CGRP de façon durable et de prévenir les crises après administration mensuelle ou, pour l'un d'entr'eux, trimestrielle. "La voie des thérapies efficaces contre la migraine bloquant la transmission du peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP) est le succès de 35 années de recherche translationnelle", explique le professeur émérite Jean Schoenen, de l'Unité de recherche sur les Céphalées du département de neurologie de l'Université de Liège. "Les anticorps monoclonaux bloquant le CGRP ou son récepteur ont changé le paradigme du traitement de la migraine. Contrairement aux médicaments aigus classiques comme les triptans ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) à effet transitoire, ils agissent pendant de longues durées exclusivement dans la partie périphérique du système trigéminovasculaire. C'est pour cela qu'ils peuvent être assimilés à un traitement d'attaque durable, contrairement aux médicaments préventifs classiques qui agissent principalement en amont sur les facettes centrales de la physiopathologie de la migraine."Les essais randomisés avec des anticorps monoclonaux anti-CGRP, l'eptinézumab, l'érénumab, le frémanézumab et le galcanézumab ont inclus collectivement plusieurs milliers de patients. "Ce qui en fait la classe de traitements préventifs de la migraine la plus étudiée", souligne Jean Schoenen. "Leurs résultats indiquent clairement qu'ils sont significativement supérieurs au placebo. Bien que le manque d'essais comparatifs directs exclut toute comparaison fiable, l'impression générale est qu'il n'y a que des différences mineures dans les profils d'efficacité et de tolérabilité entre les quatre monoclonaux: la proportion moyenne de patients ayant une réduction d'au moins 50% de la fréquence des crises mensuelles est de 55% dans la migraine épisodique, de 45% dans la migraine chronique. Les patients avec une amélioration supérieure à 50% sont plus rares (20%). Les migraineux chroniques avec céphalées continues sont peu susceptibles d'être répondeurs et les auras migraineuses ne sont pas améliorées."Avec ces molécules, l'effet commence dans la première semaine après l'administration et est quasi maximal à un mois. Il se maintient pendant plusieurs années, mais ne persiste que quelques mois ou moins après l'arrêt du traitement. La sécurité d'emploi est par ailleurs très bonne, avec notamment une absence de toxicité hépatique et d'événements indésirables cardiovasculaires. La tolérance est également excellente, leurs effets indésirables principaux étant des réactions cutanées transitoires (douleur, érythème, prurit) d'intensité légère au point d'injection, et pour l'un d'entr'eux de la constipation. Point important, ces anticorps n'induisent pas les effets indésirables qui conduisent fréquemment à l'arrêt des traitements prophylactiques classiques (notamment effet sédatif, troubles cognitifs, hypotension et perte de poids). "Les Ac bloquant le CGRP sont efficaces même après échec de plusieurs traitements préventifs antérieurs. Chez les patients ayant une migraine chronicisée par surconsommation d'antalgiques, ils réduisent considérablement le handicap et l'utilisation de soins de santé", épingle Jean Schoenen. L'expert insiste également sur le fait que les effets indésirables de cette classe de médicaments sont proches de ceux enregistrés avec un placebo. "Malgré les inquiétudes liées au rôle protecteur vasodilatateur du CGRP dans l'ischémie, aucun événement indésirable vasculaire lié au traitement n'a été signalé à ce jour après plus de cinq ans d'utilisation aux USA et plusieurs centaines de milliers de patients traités, si ce n'est l'aggravation occasionnelle d'une hypertension artérielle et une lésion ischémique chez un patient porteur d'une malformation artério-veineuse cérébrale." Le professeur conseille cependant par précaution de ne pas prescrire ces molécules à un patient relevant d'un AVC ou qui souffre d'une coronaropathie sévère ou d'hypertension mal contrôlée. "Ceci dit, n'oubliez pas que la majorité des patients migraineux sont des femmes entre 20 et 45 ans, en majorité sans pathologie vasculaire et qu'il y a heureusement de nombreux garde-fous dans la biologie humaine, qui permettent notamment de pallier à la perte de l'effet du CGRP." Pour le Pr Schoenen, quand on met ces molécules en perspective avec les traitements médicamenteux préventifs contre la migraine précédemment disponibles, "leur plus-value résulte moins d'une efficacité supérieure que d'un rapport inégalé entre efficacité et effets secondaires. Avec un Ac monoclonal anti-CGRP, la probabilité d'aider un migraineux chronique plutôt que de le nuire est respectivement 500 fois ou 200 fois plus grande qu'avec le topiramate ou des injections péricrâniennes de toxine botulique". Reste que chaque injection mensuelle coûte environ 500 euros, une somme difficile à assumer pour la plupart des ménages. Heureusement, l'Inami a finalement accepté de la prendre en charge. Avec une bizarrerie: pendant neuf mois sur l'année. Comme si on n'avait pas de migraines pendant ses congés... Ce remboursement est réservé aux patients les plus atteints, qui sont en échec préventif de trois classes pharmaceutiques différentes, dont les bétabloquants et le topiramate, et qui ont au moins huit jours de migraines par mois, les condamnant souvent à la perte d'emploi et à une vie sociale lentement détruite. En annonçant la mesure, le ministre des Affaires sociales, Frank Vandenbroucke s'est réjoui de cette avancée, mais a rappelé qu'il doit "gérer le budget des spécialités pharmaceutiques en bon père de famille, dans un contexte où les prix des spécialités pharmaceutiques explosent et pèsent de plus en plus sur les budgets. Nous voulons bien sûr toujours faire de notre mieux pour que les patients puissent bénéficier des derniers médicaments disponibles sur le marché, mais en nous assurant que le prix demandé par les firmes n'est pas déraisonnable et que la plus-value pour le patient est substantielle. Cela vaut d'ailleurs pour tous les médicaments pour lesquels un remboursement est demandé".En Belgique, environ un million et demi de personnes souffrent de migraines occasionnelles ou chroniques, dont deux fois plus de femmes que d'hommes. Cette maladie, invisible, est très invalidante et n'est pas toujours comprise, ni par l'entourage, ni par le corps médical. Trop peu de patients consultent à ce sujet.