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"Je suis très content d'être là aujourd'hui, mais on a 15-20 ans de retard", fait observer John Pauluis en introduisant son exposé sur la médecine environnementale et le défi des perturbateurs endocriniens (PE), donné dans le cadre du cycle "Université en transition, défis écologiques et soins de santé: comment préparer les futurs soignants?", organisé par l'UCLouvain [1]. Très impliqué dans la médecine environnementale depuis les années 90, lorsqu'il s'est retrouvé propulsé, un peu malgré lui, porte-parole des médecins de la région de Mellery, village pollué par une décharge illégale, ce médecin généraliste est aujourd'hui responsable de la cellule environnement de la SSMG. Son message est simple et clair: "Il est temps d'arrêter de négliger le lien entre pollution etmaladies non transmissibles." En 2006 déjà, l'OMS alertait: "Plus de 24% des troubles et des maladies qui affectent l'homme sont imputables aux facteurs environnementaux, et l'environnement joue un rôle dans 80% des maladies les plus mortelles, dont le cancer, les maladies respiratoires et cardio-vasculaires." Le Dr Pauluis reprend l'avis du Conseil supérieur de la santé qui, en 2019, note que l'incidence des cancers et la prévalence du diabète, du syndrome métabolique, de l'obésité, des allergies et des problèmes de fertilité sont en augmentation [2]. "Le CSS a mis l'impact des substances chimiques dans ses priorités. Il faut savoir que des études épidémiologiques comme NutriNet montrent par exemple que si on mange bio, on diminue la prévalence du diabète de type 2 de 35%." [3]"L'homme vit de plus en plus longtemps, oui, mais moins longtemps en bonne santé, nuance-t-il: aux Pays-Bas, l'espérance de vie sans maladie chronique des femmes a diminué de 48,8 à 40,5 ans entre 1985 et 2012." Il pointe l'importante recrudescence des pathologies endocriniennes: "Les maladies métaboliques comme le diabète de type 2 et l'obésitéinfantile ; dans la sphère génitale, les cancers (en 15 ans, augmentation de 100% des nouveaux cas (seins, prostate, testicules) et les problèmes d'infertilitéet de stérilité ; l'atteinte neurologique comme les troubles de la sphère autistique qui, en 40 ans, ont augmenté de 1.700%." La gestion du risque relatif aux substances toxiques se heurte à de nombreux obstacles, dont le fait que certaines substances n'agissent que dans une fenêtre d'exposition très précise, et parce que nous sommes exposés à une véritable "soupe de molécules", avertit-il. "160.000 substances, qui ont des effets à faibles doses, des effets cocktail, via différentes voies, difficiles à modéliser... Le bisphénol A (BPA) agit par exemple selon trois axes (neurologique, métabolique et via les hormones sexuelles) et est impliqué dans l'obésité, le diabète de type 2, les cancers de la prostateet du sein, l'atteinte des organes de reproduction, les problèmes neurocomportementaux, les maladies cardio-vasculaires, l'asthme, les allergies..." "La production mondiale de matières plastiques est passée de 50 millions de tonnes dans les années 70 à presque 300 millions de tonnes aujourd'hui. Les substances chimiques telles que le BPA et les phtalates sont maintenant détectables dans le sérum, le tissu adipeux et le sang du cordon ombilical de l'homme dans le monde entier. C'est aussi le cas pour les biphényles polychlorés (PCBs), dont la production est bannie depuis plusieurs années mais qui persistent toujours dans l'environnement qu'ils ont contaminé." John Pauluis ajoute que la gestion du risque doit composer avec le retard sociétal, les politiques complexes, les lobbys, les querelles d'experts... Alors qu'il y a une attente de la population. "Concernant l'enseignement, on est en retard, les connaissances qu'on a enmatière de gestion environnementale sont insuffisantes. Notre travail en tant que médecin serait d'être des détecteurs d'effets précoces et communiquer le risque aux patients, même si ce n'est pas facile. Ce sont des obligations légales, déontologiques et éthiques. Le MG doit être suffisamment éveillé à cette problématique." "Les médecins ont besoin de formation, d'informations validées par les autorités, de canaux de communication pour faire remonter les informations. Les freins sont multiples: la résistance au changement, le sentiment d'impuissance, la difficulté de s'approprier le sujet, la peur de culpabiliser les patients. On a besoin d'outils comme des campagnes d'information soutenues par les autorités, des modules de formation, et pourquoi pas des consultations de médecine préventive en santé et environnement..." Il donne l'exemple du British royal college of obstetrics and gynaecology qui avait publié, en 2013, un article sur les sources et voies d'exposition aux substances chimiques pendant la grossesse, pour informer les femmes enceintes ou qui allaitent, afin qu'elles prennent des mesures concrètes pour minimiser les dommages pour leur enfant. "C'est un des défis pour les gynécologues, pédiatres et généralistes: détecter les couples en désir d'enfant et leur donner des conseils en temps opportun." Ne pas tenir compte des substances chimiques perturbatrices du système endocrinien a un coût économique, met-il en garde: "Les effets sur la santé des PE coûtent chaque année 157 milliards d'euros à l'UE. Il ne s'agit là que de la partie émergée de l'iceberg, les coûts pourraient atteindre 270 milliards d'euros. L'organe le plus touché est le cerveau, on estime que la perte d'1 point de QI, c'est 2% de productivité économique en moins tout au long de la vie." "L'effet transgénérationnel des PE est ce qui m'interpelle le plus", souligne le Dr Pauluis. "L'épigénétique permet depuis quelques années de commencer à comprendre les bases moléculaires et cellulaires de maladies qui prendraient leur origine très tôt dans la vie, voire dès le stade foetal. On parle de "Dohad" (Developemental origins of health and disease), c'est aussi la notion d'exposome, soit l'ensemble des expositions auxquelles on est soumis." "Le CSS reconnaît l'existence d'effets à faible dose parce que, même si les données disponibles ne concordent pas toujours, il n'y a aucun doute scientifique que certains polluants agissant sur le système endocrinien induisent des effets à faible dose d'exposition [4]. Nous savons maintenant que le type d'analyse (notions de seuil) et la gamme des doses utilisées dans les évaluations des risques toxicologiques ordinaires sont souvent inexactes lorsqu'ils sont appliqués à des PE. Actuellement, environ 1.000 substances PE sont recensées sur 10.000 suspectées... Or, au niveau européen, on peut analyser une cinquantaine de molécules par an... Vous voyez le retard qu'on prend dans la gestion de ces problèmes...", conclut-il.