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S'il est toujours possible de trouver un confrère qui pratique ce genre d'art médical (mauvaises langues !), ces médisances ne répondent pas à notre interrogation. Hypothèse : l'art se niche dans la relation d'empathie et de compréhension réciproque. C'est loin d'être évident : entre les réponses générées par les chatbots et celles de vrais médecins en ligne, les participants d'une expérience ont préféré les réponses formulées par l'intelligence artificielle. Le biais, c'est que ce protocole ne tenait pas compte des émotions et du contexte du patient, élément essentiel de cet art de guérir que beaucoup de médecins pratiquent à la manière d'humbles artisans, premiers dans leur village mais deuxièmes à Rome (sauf pour le professeur d'université qui peut s'orner de plumes de paon). Nous sommes voués à la modestie, nous ne guérirons pas tous les alcooliques, nous n'empêcherons pas les complications du diabète, nous ne vaincrons pas toutes les incompliances thérapeutiques. Il nous arrive à tous d'accomplir une grande oeuvre artistique, d'avoir un réflexe venu d'on ne sait où qui permet de changer un destin. Les plus orgueilleux s'aveugleront sur leur performance, oubliant toutes les fois où ils ont manqué de perspicacité, tandis que les plus sages se diront qu'il s'en est fallu d'un cheveu et que le métier est plein d'incertitudes. Une étude américaine montre que si un généraliste américain devait tout faire dans les règles, il devrait travailler 26 heures par jour, ce qui nous incite à relativiser, tant il est vrai que la critique est aisée et l'art difficile.Avec tant de contraintes, on peut s'interroger sur ce qui pousse les généralistes à travailler comme des forçats, souvent au-delà de l'âge de la pension, si ce n'est le goût pour l'art et la reconnaissance de nos patients. Il y a encore beaucoup de progrès à faire pour que la société et les autorités le comprennent. À l'opposé de ce qui fait notre art, l'image de la médecine est brouillée par la technologie triomphante et les médicaments tout puissants, reléguant le colloque singulier au rang d'antiquité dépassée. Les études montrent que les check-up sans plaintes sont inutiles, iatrogènes et dangereux, que la découverte d'anomalies fortuites est plus dommageable que bénéfique, et pourtant le recours inapproprié aux services d'urgences poursuit une courbe d'expansion dans tous les pays développés, les demandes de radiologie pour une simple lombalgie explosent alors que les patients n'ont même pas été examinés. En se perfectionnant, notre médecine a simplement déplacé les limites des zones grises, ces situations où il n'y a de choix qu'entre deux mauvaises décisions.Dans le travail de défense professionnelle, en particulier celle des généralistes, ceux qui promettent un avenir radieux sont de vrais farceurs. La médecine de première ligne, les soins de santé primaire, et les prestataires qui consomment peu d'actes font figure de moucherons face aux structures hospitalières, aux lobbys pharmaceutiques et aux enjeux de la productivité des entreprises. Au GBO/Cartel, nous combattons avec l'art de l'argumentation, en respectant nos interlocuteurs, tout en restant fermes sur nos objectifs pour arriver à obtenir les meilleurs soins au meilleur endroit, et collaborer de manière harmonieuse et non concurrentielle avec les deuxième et troisième lignes de soins. Cela implique de rationaliser l'accès aux soins, que chaque spécialiste puisse voir sans délai les patients problématiques référés par le généraliste et ne pas s'encombrer de patients qui consultent le " professeur ", jeu de dupes où le snobisme des uns rencontre l'intérêt financier des autres. Nous défendons cette position depuis longtemps et, comme ce fut le cas dans d'autres dossiers, notre art de la négociation finira par triompher.