Depuis bientôt un an, tout ce que compte la planète de scientifiques spécialisés cherche un traitement adéquat contre le Covid-19. Jusqu'ici, très largement en vain. C'est dire que l'annonce que des essais cliniques sérieux prouvent qu'un produit réduit de 21% le risque de décès a rapidement fait le tour de la planète. Ajoutez-y que la molécule est déjà disponible en pharmacie pour d'autres affections et qu'elle ne coûte que quelques euros et les salles de rédaction s'agitent pour de bon. Info ou intox?

Un peu des deux. Un effet favorable de la colchicine, puisque c'est elle, a effectivement été rapporté dans des études rétrospectives et une réduction de la mortalité est suggérée dans deux études prospectives portant sur des patients hospitalisés atteints du Covid-19. La rationnalité plaide pour l'usage de la colchicine: utilisée notamment dans la goutte, elle a une activité anti-inflammatoire ciblant particulièrement les cytokines inflammatoires impliquées dans les formes graves de la maladie. En effet, les cas graves de Covid-19 s'accompagnent d'une "tempête inflammatoire" dans le déclenchement de laquelle jouerait l'inflammasome (une partie de la cellule impliquée dans l'immunité, NDLR), ciblé par la colchicine. De quoi persuader l'Institut de cardiologie de Montréal de lancer, dès mars dernier, une étude sur l'incidence d'hospitalisation et de décès sur 6.000 patients non hospitalisés mais récemment diagnostiqués comme positifs au virus. Et de fait, ce 23 janvier dernier, l'investigateur principal de l'étude communique ses bons résultats en priorité aux... médias canadiens. En se limitant aux 92,6% des participants chez qui le diagnostic avait été conforté par un frottis nasopharyngé, la colchicine aurait entraîné des réductions des hospitalisations de 25%, du besoin de ventilation mécanique de 50% et des décès de 44%. L'étude, dont la puissance statistique aurait nécessité d'inclure 6.000 participants, a été arrêtée prématurément compte tenu des effets positifs et "de l'impérieuse nécessité de disséminer sans tarder cette nouvelle aux systèmes de santé et à la planète entière (sic)". Manifestement enivré par la tempête médiatique qu'il soulève, le scientifique, Jean-Claude Tardif en remet une couche le lendemain: " la découverte majeure de notre étude peut avoir une incidence importante sur la santé publique et aider des millions de patients atteints."

L'analyse ne confirme pas l'effet positif de la colchicine sur la mortalité ni sur le recours à la ventilation mécanique.

Biais potentiels alarmants

Et pourtant à ce moment-là aucune donnée n'est publiée, aucun pair n'a pu se plonger dans les résultats détaillés. En Belgique, le porte-parole interfédéral du gouvernement, sollicité par la presse, salue l'étude comme "le pas le plus important qu'on ait fait dans le traitement depuis le début". Le comité d'experts conseillant le gouvernement grec, sur la base du volet grec de l'étude, recommande la molécule illico. Pourtant, le 27 janvier, après que le préprint sur medRxiv rende enfin possible l'analyse par des experts indépendants, cette analyse ne confirme pas les affirmations de l'efficacité de la colchicine. " Non seulement l'objectif primaire de l'étude n'étant pas atteint significativement pour l'ensemble des participants inclus, mais la publication laisse dans l'ombre plusieurs biais potentiels importants ayant pu en influencer les résultats", explique Elie Cogan, professeur émérite (ULB), ancien doyen de la Faculté de médecine, responsable du Grand Tour de Médecine au service de médecine interne (Chirec-Delta). " Ce n'est qu'en limitant l'analyse aux participants dont le diagnostic est confirmé par un frottis nasopharyngé que le seuil statistique est atteint pour l'objectif primaire, un critère composite associant la nécessité d'hospitalisation et le nombre de décès. L' analyse ne confirme pas l'effet positif de la colchicine sur la mortalité ni sur le recours à la ventilation mécanique."

Pour l'expert, les données permettent de conclure que l'administration de colchicine ne réduirait la probabilité d'hospitalisation que de 6,3% à 5,4%. " La publication ne mentionne ni les critères d'hospitalisation ni l'autorité médicale qui approuve la décision d'hospitaliser un patient. La diarrhée, un effet secondaire bien connu de la colchicine, est deux fois plus présente dans le groupe traité que dans le groupe placebo. Le caractère "aveugle" de l'étude est donc potentiellement pris en défaut dès lors que l'autorité médicale chargée de décider de l'hospitalisation peut suspecter qu'un patient est plutôt dans le groupe colchicine que dans le groupe placebo."

Peer review indispensable

De plus, le groupe colchicine pourrait bénéficier d'un effet du genre: les femmes, moins à risque de formes graves, ayant tendance à être surreprésentées dans le groupe colchicine. L'hypertension artérielle, un facteur aggravant le pronostic du Covid-19, a tendance à être moins fréquemment rencontré dans le groupe colchicine que dans le groupe placebo, favorisant le groupe colchicine. Éreintée définitivement, la colchicine, renvoyée dans le cimetière des fausses bonnes idées, comme la désormais célèbre hydroxychloroquine, adulée puis renvoyée aux enfers? " Pas nécessairement. Le substrat physiopathologique est bien meilleur que celui de la chloroquine, notamment. La colchicine a probablement une place à prendre face au Covid-19, mais les règles doivent absolument être respectées quant à l'analyse des données avant d'en faire des annonces tapageuses. En dépit du fait que les équipes de recherche responsables soient "sérieuses", la démarche de contacter les médias ne fait pas partie de la déontologie des chercheurs d'autant que la possibilité de préprint existe". Pour Elie Cogan, un examen attentif des résultats de l'étude de Tardif infirme ses conclusions et souligne le caractère inapproprié de l'arrêt prématuré de l'étude qui peut s'expliquer par des arguments logistiques ou émotionnels mais pas par des considérations statistiques ou éthiques. A vrai dire, il est rejoint par de nombreux experts internationaux. Qui ajoutent que " la colchicine n'est pas un produit anodin. La dose efficace étant proche de la dose toxique, le risque existe même à faible dose. La colchicine présente en sus de nombreuses interactions médicamenteuses".

Conclusion? Pour le professeur Cogan, " cette histoire rappelle l'absolue nécessité du peer review, processus indispensable permettant de valider les résultats d'une étude scientifique mais aussi le devoir de réserve des scientifiques qui ne devraient communiquer aux médias qu'après que leurs résultats aient pu être revus par des pairs".

Tardif J-C, Bouabdallaoui N, L'Allier PL, et al. Efficacy of Colchicine in Non-Hospitalized Patients with COVID-19. medRxiv 2021: 2021.01.26.21250494.

Depuis bientôt un an, tout ce que compte la planète de scientifiques spécialisés cherche un traitement adéquat contre le Covid-19. Jusqu'ici, très largement en vain. C'est dire que l'annonce que des essais cliniques sérieux prouvent qu'un produit réduit de 21% le risque de décès a rapidement fait le tour de la planète. Ajoutez-y que la molécule est déjà disponible en pharmacie pour d'autres affections et qu'elle ne coûte que quelques euros et les salles de rédaction s'agitent pour de bon. Info ou intox? Un peu des deux. Un effet favorable de la colchicine, puisque c'est elle, a effectivement été rapporté dans des études rétrospectives et une réduction de la mortalité est suggérée dans deux études prospectives portant sur des patients hospitalisés atteints du Covid-19. La rationnalité plaide pour l'usage de la colchicine: utilisée notamment dans la goutte, elle a une activité anti-inflammatoire ciblant particulièrement les cytokines inflammatoires impliquées dans les formes graves de la maladie. En effet, les cas graves de Covid-19 s'accompagnent d'une "tempête inflammatoire" dans le déclenchement de laquelle jouerait l'inflammasome (une partie de la cellule impliquée dans l'immunité, NDLR), ciblé par la colchicine. De quoi persuader l'Institut de cardiologie de Montréal de lancer, dès mars dernier, une étude sur l'incidence d'hospitalisation et de décès sur 6.000 patients non hospitalisés mais récemment diagnostiqués comme positifs au virus. Et de fait, ce 23 janvier dernier, l'investigateur principal de l'étude communique ses bons résultats en priorité aux... médias canadiens. En se limitant aux 92,6% des participants chez qui le diagnostic avait été conforté par un frottis nasopharyngé, la colchicine aurait entraîné des réductions des hospitalisations de 25%, du besoin de ventilation mécanique de 50% et des décès de 44%. L'étude, dont la puissance statistique aurait nécessité d'inclure 6.000 participants, a été arrêtée prématurément compte tenu des effets positifs et "de l'impérieuse nécessité de disséminer sans tarder cette nouvelle aux systèmes de santé et à la planète entière (sic)". Manifestement enivré par la tempête médiatique qu'il soulève, le scientifique, Jean-Claude Tardif en remet une couche le lendemain: " la découverte majeure de notre étude peut avoir une incidence importante sur la santé publique et aider des millions de patients atteints." Et pourtant à ce moment-là aucune donnée n'est publiée, aucun pair n'a pu se plonger dans les résultats détaillés. En Belgique, le porte-parole interfédéral du gouvernement, sollicité par la presse, salue l'étude comme "le pas le plus important qu'on ait fait dans le traitement depuis le début". Le comité d'experts conseillant le gouvernement grec, sur la base du volet grec de l'étude, recommande la molécule illico. Pourtant, le 27 janvier, après que le préprint sur medRxiv rende enfin possible l'analyse par des experts indépendants, cette analyse ne confirme pas les affirmations de l'efficacité de la colchicine. " Non seulement l'objectif primaire de l'étude n'étant pas atteint significativement pour l'ensemble des participants inclus, mais la publication laisse dans l'ombre plusieurs biais potentiels importants ayant pu en influencer les résultats", explique Elie Cogan, professeur émérite (ULB), ancien doyen de la Faculté de médecine, responsable du Grand Tour de Médecine au service de médecine interne (Chirec-Delta). " Ce n'est qu'en limitant l'analyse aux participants dont le diagnostic est confirmé par un frottis nasopharyngé que le seuil statistique est atteint pour l'objectif primaire, un critère composite associant la nécessité d'hospitalisation et le nombre de décès. L' analyse ne confirme pas l'effet positif de la colchicine sur la mortalité ni sur le recours à la ventilation mécanique." Pour l'expert, les données permettent de conclure que l'administration de colchicine ne réduirait la probabilité d'hospitalisation que de 6,3% à 5,4%. " La publication ne mentionne ni les critères d'hospitalisation ni l'autorité médicale qui approuve la décision d'hospitaliser un patient. La diarrhée, un effet secondaire bien connu de la colchicine, est deux fois plus présente dans le groupe traité que dans le groupe placebo. Le caractère "aveugle" de l'étude est donc potentiellement pris en défaut dès lors que l'autorité médicale chargée de décider de l'hospitalisation peut suspecter qu'un patient est plutôt dans le groupe colchicine que dans le groupe placebo." De plus, le groupe colchicine pourrait bénéficier d'un effet du genre: les femmes, moins à risque de formes graves, ayant tendance à être surreprésentées dans le groupe colchicine. L'hypertension artérielle, un facteur aggravant le pronostic du Covid-19, a tendance à être moins fréquemment rencontré dans le groupe colchicine que dans le groupe placebo, favorisant le groupe colchicine. Éreintée définitivement, la colchicine, renvoyée dans le cimetière des fausses bonnes idées, comme la désormais célèbre hydroxychloroquine, adulée puis renvoyée aux enfers? " Pas nécessairement. Le substrat physiopathologique est bien meilleur que celui de la chloroquine, notamment. La colchicine a probablement une place à prendre face au Covid-19, mais les règles doivent absolument être respectées quant à l'analyse des données avant d'en faire des annonces tapageuses. En dépit du fait que les équipes de recherche responsables soient "sérieuses", la démarche de contacter les médias ne fait pas partie de la déontologie des chercheurs d'autant que la possibilité de préprint existe". Pour Elie Cogan, un examen attentif des résultats de l'étude de Tardif infirme ses conclusions et souligne le caractère inapproprié de l'arrêt prématuré de l'étude qui peut s'expliquer par des arguments logistiques ou émotionnels mais pas par des considérations statistiques ou éthiques. A vrai dire, il est rejoint par de nombreux experts internationaux. Qui ajoutent que " la colchicine n'est pas un produit anodin. La dose efficace étant proche de la dose toxique, le risque existe même à faible dose. La colchicine présente en sus de nombreuses interactions médicamenteuses". Conclusion? Pour le professeur Cogan, " cette histoire rappelle l'absolue nécessité du peer review, processus indispensable permettant de valider les résultats d'une étude scientifique mais aussi le devoir de réserve des scientifiques qui ne devraient communiquer aux médias qu'après que leurs résultats aient pu être revus par des pairs".