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Et dire que nous bâillons en moyenne 240.000 fois au cours de notre vie ! Et ce, même à l'état de foetus dans le ventre de notre mère. C'est dire aussi à quel point le fait d'ouvrir la bouche involontairement, tout en tenant une longue bouffée d'air est un phénomène tout à fait naturel. C'est d'ailleurs un point commun entre tous les mammifères.Mais le bâillement est aussi un phénomène qui fascine et intrigue. La compréhension de ses causes et de ses conséquences défie l'esprit humain depuis des siècles et les quelques experts qui se disputent le sujet se crêpent académiquement le chignon dans leurs articles.En soi le bâillement n'est pas un problème médical. Au contraire cette envie irrépressible d'écarter les mâchoires est même réputée bonne pour la santé. Un vrai grand bâillement permet en effet de détendre les muscles de notre visage, de se sentir mieux dans son corps, et de respirer profondément pour oxygéner le cerveau. Il est d'ailleurs recommandé de provoquer des bâillements au cours de la journée, à chaque fois que l'on se sent stressé, trop ému ou fatigué.En bâillant, on deviendrait aussi plus attentif à ce qui se passe autour de nous, davantage concentré et en état d'alerte. Et même l'effet contagieux du bâillement - ne dit-on pas qu'" un bon bâilleur en fait bâiller sept " ? - serait plutôt utile. Des chercheurs considèrent que les bâillements communicatifs seraient en fait liés à notre capacité d'empathie.S'il est normal de bâiller, le phénomène n'est cependant pas anodin. Parfois, le bâillement devient un messager qu'il faut savoir écouter. C'est un signal envoyé par le corps pour dire qu'on est fatigué et qu'on a besoin de sommeil, ou qu'on a une petite fringale et qu'on a besoin de nourriture. Il peut aussi s'agir d'un simple manque d'oxygène. Des chercheurs ont par ailleurs montré que si nous bâillons, c'est aussi pour refroidir le sang de la tête. Lorsqu'on est fatigué, la température cérébrale augmente. Or, pour bien fonctionner, notre cerveau ne doit pas " surchauffer ".En outre, certains scientifiques pensent qu'il existe un lien entre bâillement et le désir sexuel mais d'autres ne sont pas tous d'accord sur ce point.Le fait de bâiller n'est donc pas pathologique en soi mais quand le phénomène se produit de manière excessive, à tout moment de la journée, au point que les gens se demandent si vous les trouvez ennuyeux, il peut arriver qu'il indique une maladie sous-jacente, le plus souvent reliée aux systèmes nerveux et cardiovasculaires, entre autres l'épilepsie, la réaction vasovagale, les affections cardiaques et l'AVC, les tumeurs cérébrales, la sclérose en plaques, le trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité, les troubles anxieux...Certaines de ces maladies sont souvent accompagnées d'autres symptômes comme les nausées, étourdissements, palpitations et autres évanouissements. Quand c'est le cas, il est vivement conseiller de consulter son médecin.L'excès en la matière peut parfois prendre des proportions à peine croyables. Un des cas les plus célèbres remonte à l'année 1888 quand une jeune Française de 17 ans, une domestique prénommée Augustine, fut présentée au célèbre neurologue Jean-Martin Charcot.Elle baillait environ huit fois par minute, soit 480 fois par heure ou encore 7.200 fois en quinze heures de veille et les salves de bâillements n'étaient interrompues que par le sommeil. Il convient de préciser que la jeune fille présentait également des crises d'épilepsie généralisée, une anosmie complète, une hémianopsie bitemporale, ainsi qu'une anesthésie totale du bras droit et de la moitié droite du tronc. Un tableau que Charcot qualifia d'hystérique.Beaucoup plus proche de nous, on recense un autre cas exceptionnel (*). Celui d'une autre jeune fille indienne, qui à l'âge de 18 ans a commencé à avoir de brèves absences d'une durée de deux à trois minutes. Caractérisées par une rupture du contact avec l'environnement, ces crises épileptiques ont été suivies, pendant deux longues années, par des bâillements incoercibles à répétition. Elle bâillait vingt à trente fois d'affilée, et ce dix à douze fois par jour, chaque salve se terminant par un léger mal de tête et une somnolence, ce qui laisse imaginer ce qu'elle a dû endurer.L'épilepsie a d'abord été traitée par des médicaments, les absences ont disparu mais la patiente a continué de présenter des salves de bâillements. Elle a ensuite été hospitalisée et une IRM cérébrale a révélé une lésion bien délimitée, de 2 cm sur 2 cm de large, en partie solide, en partie kystique, dans la partie postérieure du gyrus temporal inférieur droit. Cette lésion a été retirée en totalité au cours d'une opération à l'issue de laquelle l'examen des tissus au microscope a montré qu'il s'agissait d'un gangliogliome, une tumeur bénigne fréquemment responsable d'épilepsie (60 à 80 % des cas).Après l'intervention neurochirurgicale, la fréquence des bâillements chez la jeune femme a diminué. Aujourd'hui, elle est délivrée de ses bâillements à répétition, ce qui suggère fortement que le foyer tumoral épileptogène était à l'origine des salves.Luc Ruidant (*) Source : Asian Journal of Neurosurgery, 6 février 2018,doi : 10.4103/1793-5482.180898