Y a-t-il un intérêt à proposer aux personnes à haut risque de cancer du poumon, comme les gros (ex-)fumeurs, un dépistage régulier par CT-scan (LDCT) ? Le Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE) vient d'évaluer l'efficacité, la sécurité et le rapport coût-efficacité d'un tel dépistage s'il était implémenté chez nous. Fin 2022, le Conseil européen avait invité ses États membres à procéder de la sorte.

Contexte belge

Le cancer bronchopulmonaire est, en Belgique, à la fois le deuxième cancer le plus fréquent (9.192 cas diagnostiqués en 2021 [1]) et le plus meurtrier (5.849 décès en 2019). La forme dite "non à petites cellules" (CPNPC) est la plus fréquente (trois tumeurs pulmonaires primaires sur quatre). On le sait, le stade de la tumeur est un bon prédicteur des chances de survie. Chez nous, la moitié des patients, environ, sont au stade IV au moment du diagnostic (2021).

Le tabagisme étant de loin la première cause de cancer bronchique, la mesure la plus efficace (et coût-efficace) pour prévenir la pathologie est d'arrêter de fumer - ou, mieux, de ne jamais commencer. Des mesures politiques de santé publique sont régulièrement prises en ce sens et le mois de mai, qui se termine sur la Journée mondiale sans tabac, concentre traditionnellement de nombreuses actions de prévention et de sevrage.

Les possibilités de traitement et les chances de guérison étant nettement meilleures à un stade précoce, faut-il soumettre à un dépistage ces personnes à risque, c'est-à-dire qui fument (ont fumé) beaucoup et/ou depuis longtemps? "Outre le tabagisme, des facteurs de risque tels que les antécédents familiaux de cancer du poumon, l'exposition à l'amiante et la BPCO" sont pris en compte dans certains modèles, précise le KCE.

Résultats mitigés

Les résultats de l'étude sont mitigés et les inconvénients, significatifs.

L'analyse de la littérature par les experts du KCE montre que le dépistage permet effectivement d'abaisser, chez les participants, la mortalité par cancer du poumon de 21 %, et la mortalité générale de 5 %. "Appliquée à la Belgique, notre analyse révèle que si 1.000 personnes à haut risque participent à trois tours de dépistage, celui-ci aura permis de sauver trois vies, dix ans plus tard", écrit le KCE dans son rapport.

© KCE

Le Centre fédéral pointe par ailleurs les risques de surdiagnostic (hypothèse estimée à 23,9%) et surtraitement : "Le dépistage amène à diagnostiquer et traiter des tumeurs qui, si elles n'avaient pas été identifiées, n'auraient évolué que très lentement, voire pas du tout, et n'auraient représenté aucun danger, parce que le patient serait mort de vieillesse/une autre maladie avant qu'elles ne deviennent éventuellement problématiques." Des "découvertes fortuites" ne sont également pas impossibles, soit des problèmes de santé au niveau d'autres organes (coeur, oesophage, etc.) à la lumière du scan thoracique, avec un risque d'examens complémentaires potentiellement invasifs, voire inutiles. "On estime que 23 % des participants au dépistage doivent subir un examen ou un avis médical supplémentaire en raison d'une découverte fortuite."

Le schéma ci-dessus montre aussi un risque de faux négatif (3%) et de résultat indéterminé : les premiers risquent de subir des examens invasifs supplémentaires, comme une biopsie, une bronchoscopie, voire une intervention chirurgicale. Les examens non concluants peuvent "imposer la réalisation d'un nouveau CT-scan avec le stress, les désagréments et les coûts supplémentaires qui en découlent", avertit le KCE : après trois tours de dépistage, un scanner supplémentaire aura été nécessaire chez près d'un participant sur quatre (23 %) pour exclure une tumeur...

Même s'il s'agit de tomodensitométrie à faible dose (LDCT), un risque de cancer dû à l'exposition répétée aux rayons nocifs ne peut être exclu. Enfin, comme dans le cas du dépistage d'autres cancers (du sein, notamment), il faut prendre en compte un certain nombre de cancers d'intervalle, "la participation au dépistage peut créer une impression trompeuse de sécurité", souligne le KCE, qui rappelle que "contrairement à ce que l'on aurait tendance à supposer intuitivement, le dépistage comporte toutefois aussi des inconvénients tant pour les participants eux-mêmes que pour la société."

Et de rappeler aux décideurs politiques que d'autres éléments doivent encore être pris en compte, comme "la capacité disponible en termes de matériel et de personnel soignant". Les aspects éthiques sont également étudiés, en lien notamment avec un comportement individuel comme le tabagisme. Vu les inconvénients significatifs, une bonne information et communication à destination du public concerné est essentielle et ce, même si cela affaiblit le taux de participation au dépistage.

Recommandations

La balle est à présent dans le camp des autorités de santé. Au niveau coût-efficacité, le KCE calcule un différentiel (Icer, pour 'rapport coût-efficacité différentiel') de 18.530 euros par année de vie gagnée en bonne santé (Qaly, quality-adjusted life years) par rapport à l'absence de dépistage. Un certain nombre d'éléments ont un impact majeur sur ce rapport coût-efficacité, comme le nombre de surdiagnostics, les ristournes confidentielles sur certains traitements anticancéreux (managed entry agreements), les coûts engagés pour atteindre le groupe-cible et le nombre de participants.

"Notre analyse montre que, dans notre pays, le dépistage du cancer du poumon entraînerait un coût supplémentaire de 77.747 euros /100 participants et un gain Qaly de 4,64 /100 participants.(...) La courbe d'acceptabilité du rapport coût-efficacité montre que si le consentement à payer s'élève, par exemple, à 10.000 euros par Qaly gagnée, il y a une probabilité de 1,5 % que le dépistage soit coût-efficace. Cette probabilité atteint 72 % si le montant jugé acceptable est de 20.000 euros/Qaly gagnée, et 94 % s'il est de 30.000 euros/Qaly gagnée."

"Le dépistage du cancer du poumon peut donc être coût-efficace si les autorités sont prêtes à payer plus de 20.000 euros par année de vie gagnée en bonne santé", conclut le Centre fédéral. Idéalement, au préalable, les autorités devraient examiner dans quelle mesure le groupe cible serait disposé à participer. Par ailleurs, le couplage scanner/sevrage tabagique abaisse encore plus la mortalité (cancer et autres pathologies associées au tabagisme) et a un effet bénéfique sur le rapport coût-efficacité. "Si un dépistage du cancer du poumon devait être organisé en Belgique, il serait préférable de le combiner avec les mesures de sevrage existantes", préconise encore le KCE.

[1] chiffres du registre belge du cancer

Y a-t-il un intérêt à proposer aux personnes à haut risque de cancer du poumon, comme les gros (ex-)fumeurs, un dépistage régulier par CT-scan (LDCT) ? Le Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE) vient d'évaluer l'efficacité, la sécurité et le rapport coût-efficacité d'un tel dépistage s'il était implémenté chez nous. Fin 2022, le Conseil européen avait invité ses États membres à procéder de la sorte.Le cancer bronchopulmonaire est, en Belgique, à la fois le deuxième cancer le plus fréquent (9.192 cas diagnostiqués en 2021 [1]) et le plus meurtrier (5.849 décès en 2019). La forme dite "non à petites cellules" (CPNPC) est la plus fréquente (trois tumeurs pulmonaires primaires sur quatre). On le sait, le stade de la tumeur est un bon prédicteur des chances de survie. Chez nous, la moitié des patients, environ, sont au stade IV au moment du diagnostic (2021).Le tabagisme étant de loin la première cause de cancer bronchique, la mesure la plus efficace (et coût-efficace) pour prévenir la pathologie est d'arrêter de fumer - ou, mieux, de ne jamais commencer. Des mesures politiques de santé publique sont régulièrement prises en ce sens et le mois de mai, qui se termine sur la Journée mondiale sans tabac, concentre traditionnellement de nombreuses actions de prévention et de sevrage. Les possibilités de traitement et les chances de guérison étant nettement meilleures à un stade précoce, faut-il soumettre à un dépistage ces personnes à risque, c'est-à-dire qui fument (ont fumé) beaucoup et/ou depuis longtemps? "Outre le tabagisme, des facteurs de risque tels que les antécédents familiaux de cancer du poumon, l'exposition à l'amiante et la BPCO" sont pris en compte dans certains modèles, précise le KCE.Les résultats de l'étude sont mitigés et les inconvénients, significatifs.L'analyse de la littérature par les experts du KCE montre que le dépistage permet effectivement d'abaisser, chez les participants, la mortalité par cancer du poumon de 21 %, et la mortalité générale de 5 %. "Appliquée à la Belgique, notre analyse révèle que si 1.000 personnes à haut risque participent à trois tours de dépistage, celui-ci aura permis de sauver trois vies, dix ans plus tard", écrit le KCE dans son rapport.Le Centre fédéral pointe par ailleurs les risques de surdiagnostic (hypothèse estimée à 23,9%) et surtraitement : "Le dépistage amène à diagnostiquer et traiter des tumeurs qui, si elles n'avaient pas été identifiées, n'auraient évolué que très lentement, voire pas du tout, et n'auraient représenté aucun danger, parce que le patient serait mort de vieillesse/une autre maladie avant qu'elles ne deviennent éventuellement problématiques." Des "découvertes fortuites" ne sont également pas impossibles, soit des problèmes de santé au niveau d'autres organes (coeur, oesophage, etc.) à la lumière du scan thoracique, avec un risque d'examens complémentaires potentiellement invasifs, voire inutiles. "On estime que 23 % des participants au dépistage doivent subir un examen ou un avis médical supplémentaire en raison d'une découverte fortuite."Le schéma ci-dessus montre aussi un risque de faux négatif (3%) et de résultat indéterminé : les premiers risquent de subir des examens invasifs supplémentaires, comme une biopsie, une bronchoscopie, voire une intervention chirurgicale. Les examens non concluants peuvent "imposer la réalisation d'un nouveau CT-scan avec le stress, les désagréments et les coûts supplémentaires qui en découlent", avertit le KCE : après trois tours de dépistage, un scanner supplémentaire aura été nécessaire chez près d'un participant sur quatre (23 %) pour exclure une tumeur...Même s'il s'agit de tomodensitométrie à faible dose (LDCT), un risque de cancer dû à l'exposition répétée aux rayons nocifs ne peut être exclu. Enfin, comme dans le cas du dépistage d'autres cancers (du sein, notamment), il faut prendre en compte un certain nombre de cancers d'intervalle, "la participation au dépistage peut créer une impression trompeuse de sécurité", souligne le KCE, qui rappelle que "contrairement à ce que l'on aurait tendance à supposer intuitivement, le dépistage comporte toutefois aussi des inconvénients tant pour les participants eux-mêmes que pour la société." Et de rappeler aux décideurs politiques que d'autres éléments doivent encore être pris en compte, comme "la capacité disponible en termes de matériel et de personnel soignant". Les aspects éthiques sont également étudiés, en lien notamment avec un comportement individuel comme le tabagisme. Vu les inconvénients significatifs, une bonne information et communication à destination du public concerné est essentielle et ce, même si cela affaiblit le taux de participation au dépistage.La balle est à présent dans le camp des autorités de santé. Au niveau coût-efficacité, le KCE calcule un différentiel (Icer, pour 'rapport coût-efficacité différentiel') de 18.530 euros par année de vie gagnée en bonne santé (Qaly, quality-adjusted life years) par rapport à l'absence de dépistage. Un certain nombre d'éléments ont un impact majeur sur ce rapport coût-efficacité, comme le nombre de surdiagnostics, les ristournes confidentielles sur certains traitements anticancéreux (managed entry agreements), les coûts engagés pour atteindre le groupe-cible et le nombre de participants."Notre analyse montre que, dans notre pays, le dépistage du cancer du poumon entraînerait un coût supplémentaire de 77.747 euros /100 participants et un gain Qaly de 4,64 /100 participants.(...) La courbe d'acceptabilité du rapport coût-efficacité montre que si le consentement à payer s'élève, par exemple, à 10.000 euros par Qaly gagnée, il y a une probabilité de 1,5 % que le dépistage soit coût-efficace. Cette probabilité atteint 72 % si le montant jugé acceptable est de 20.000 euros/Qaly gagnée, et 94 % s'il est de 30.000 euros/Qaly gagnée.""Le dépistage du cancer du poumon peut donc être coût-efficace si les autorités sont prêtes à payer plus de 20.000 euros par année de vie gagnée en bonne santé", conclut le Centre fédéral. Idéalement, au préalable, les autorités devraient examiner dans quelle mesure le groupe cible serait disposé à participer. Par ailleurs, le couplage scanner/sevrage tabagique abaisse encore plus la mortalité (cancer et autres pathologies associées au tabagisme) et a un effet bénéfique sur le rapport coût-efficacité. "Si un dépistage du cancer du poumon devait être organisé en Belgique, il serait préférable de le combiner avec les mesures de sevrage existantes", préconise encore le KCE.[1] chiffres du registre belge du cancer