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Beaucoup moins connus que les très répandus cancers du sein, de la prostate, du poumon ou du côlon, les hémopathies malignes sont un groupe particulier de cancers de la moelle osseuse ou des ganglions lymphatiques, constitué de plus de 150 sous-types différents. Les hémopathies malignes représentent près d'un nouveau diagnostic de cancer sur dix en Belgique. Alors que leur nombre augmente principalement chez les personnes âgées, la survie a considérablement progressé en 15 ans. Cela ressort clairement de la dernière publication Haematological malignancies - Belgium 2004-2018 (1) du Registre du Cancer, dont le journal du Médecin a pu prendre connaissance en primeur. Environ 7.500 personnes ont reçu un diagnostic de leucémie ou de lymphome en 2018 en Belgique. Les hémopathies malignes occupent la 4e place dans le classement des cancers les plus fréquents les deux sexes confondus (3e position chez la femme après le sein, et le côlon et 4e position chez l'homme après les cancers de la prostate, du poumon et du côlon). La moitié des cas sont diagnostiqués à partir de 70 ans et ces cancers surviennent plus fréquemment chez les hommes. Le ratio entre homme et femme est de 1,4, du même ordre de grandeur que pour l'ensemble des cancers invasifs. Le Registre du Cancer a notamment étudié la progression de ces maladies entre 2004-2018. Point important: ces tendances d'incidence sont standardisées selon la répartition par âge de la population mondiale standard. "La standardisation est indispensable pour compenser les différences au niveau de la structure démographique, dans le temps ou entre régions", explique le Dr Hélène Antoine-Poirel, médecin expert pour le Registre du Cancer . "Le vieillissement de la population constitue un facteur d'interprétation important des tendances en matière d'incidence du cancer. En effet, le cancer est une maladie liée à l'âge. En règle générale, on peut affirmer que plus la catégorie démographique des personnes âgées est importante, plus le nombre total de diagnostics de cancer est élevé. L'utilisation des nombres absolus et des taux bruts d'incidence fausserait l'image de l'évolution réelle du risque de développer un cancer. La standardisation permet au contraire de mieux estimer ce risque."Le constat principal est que le nombre de nouveaux diagnostics d'hémopathies malignes augmente un peu plus vite que pour les autres tumeurs solides, principalement chez les adultes âgés de plus de 70 ans: l'augmentation est de 16%, les hémopathies malignes touchant 29.7 par 100.000 personnes en 2004 contre 34.3 par 100.000 personnes en 2018. La variation annuelle moyenne en pourcentage est 2.5-3% après 70 ans. Pour les tumeurs solides, pendant la même période, la tendance est au contraire stable. L'âge moyen des hémopathies malignes au diagnostic augmente au cours du temps: plus trois ans en 15 ans. "Cette augmentation d'incidence d'hémopathies malignes chez les personnes âgées est vraisemblablement dû à l'effet combiné du vieillissement de la population et à une amélioration du diagnostic", souligne Hélène Antoine-Poirel. "En effet, la détection est grandement facilitée par la découverte de biomarqueurs moléculaires qui permettent de faire le diagnostic directement à partir d'une prise de sang (cf JAK2 pour les néoplasmes myéloprolifératifs chroniques) sans nécessiter de geste diagnostique invasif comme une ponction-biopsie médullaire. L'exploration diagnostique est donc plus systématique qu'avant chez les personnes âgées."Mais l'analyse des chiffres apporte également d'excellentes nouvelles: la tendance pour la survie est en nette amélioration pour l'ensemble des hémopathies malignes, avec une augmentation du taux de survie globale à cinq ans de plus de 5% tel qu'enregistré sur la période 2014-2018 par rapport à la période 2004-2008, passant de 64% à 69% pour la survie à cinq ans. C'est supérieur à la moyenne des autres tumeurs invasives, passant de 63% à 66%. "Cette amélioration est considérable pour certains groupes d'hémopathies malignes: on peut citer l'augmentation spectaculaire du taux de survie à cinq ans pour les leucémies aiguës/lymphomes lymphoblastiques (+14%) chez les adolescents et les adultes (les enfants de moins de 15 ans ayant une survie relative à cinq ans supérieure à 90%), la leucémie myéloïde chronique (+8%) et les principaux sous-types de néoplasmes lymphoïdes B matures (+6%).""Les explications possibles de cette amélioration des taux de survie sont une meilleure compréhension des cancers, l'amélioration des outils diagnostiques avec une détection plus précoce, en partie moléculaire, et surtout les innovations thérapeutiques. Celles-ci sont basées sur le développement de traitements ciblés dirigés contre les cellules malignes tout en épargnant les tissus normaux, ce qui signifie moins d'effets secondaires en plus d'une meilleure survie et qualité de vie. On peut citer les inhibiteurs de tyrosine kinase ou l'imatinib pour les leucémies myéloïdes chroniques et certaines leucémies aiguës/lymphomes lymphoblastiques classiquement considérées comme de mauvais pronostic et les anticorps monoclonaux comme le rituximab (anti-CD20) pour les néoplasmes matures à cellules B", explique la spécialiste. Les hémopathies malignes ont été à l'avant-garde de ces traitements ciblés introduits pour la première fois à la fin des années 90. "On constate que l'amélioration est durable et se poursuit avec les nouveaux inhibiteurs ciblés de 2e et 3e génération, les nouvelles combinaisons thérapeutiques et la meilleure définition des patients pouvant bénéficier de ces traitements innovants, ce qui est la définition même de la médecine de précision." Cela donne tout son sens à l'obligation légale qui a été faite aux firmes pharmaceutiques de développer un "test-compagnon" pour toute nouvelle molécule introduite dans l'arsenal thérapeutique (2). Et ceci alors que quasi l'intégralité des 150 sous-types d'hémopathies malignes, sont des maladies dites orphelines, dont les résultats sont difficiles à rentabiliser vu le faible nombre de patients dans le monde. Conclusion? "Ces résultats sont pleins d'espoir pour les patients et leurs proches. Nous espérons que ces données s'avéreront être des informations précieuses tant pour les patients, que pour stimuler la recherche scientifique et soutenir les choix politiques en matière de soins de santé", argumente le Dr Antoine-Poirel. Dernière précision: pourquoi ne publier qu'à la mi-2021 des données arrêtées en 2018? Cela s'explique par le délai mis par les hôpitaux à transmettre leurs données brutes, mais aussi par l'intensité du traitement appliqué aux données (data cleaning et couplage avec les données des laboratoires) avant de les publier. "Nous avons l'espoir de raccourcir le délai de publication des chiffres d'incidence dans un proche futur. Les résultats de notre étude peuvent être mis en parallèle avec la poursuite des innovations diagnostiques et thérapeutiques présentées dans de nombreuses études sélectionnées pour le meeting de l'EHA (European Hematology Association) qui a lieu jusqu'au 17 juin".