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Déjà détenteur de la plus grande collection de van Gogh au monde, le musée amstellodamois du même nom, qui célèbre ses 50 ans d'existence, présente un incroyable panorama des toiles et dessins réalisés par Vincent entre le 20 mai 1890, date de son arrivée, et sa mort suite à sa tentative de suicide, le 29 juillet. Plus de 60 sur les 74 toiles exécutées sont ainsi présentées dans cette exposition exceptionnelle, qui les réunit par thématique et chronologie lorsque des documents permettent de les dater avec précision. Revenu du Sud où il fut interné, van Gogh cherche à retrouver à Auvers la chaleur et la sérénité de la vie rurale et paysanne, lui qui souffre de solitude et de mélancolie. Comme s'il sentait sa fin venir, cette période très prolifique est marquée dans son style par l'urgence, une sorte d'action painting au sens propre: van Gogh brosse des tableaux plus qu'il ne les peint. Dans ses descriptions du village, "Vieux vignoble avec la femme du fermier" par exemple, les feuilles des arbres s'apparentent plus à des volutes qu'à des branches. Il décrit les maisons dans un style presque tachiste, à gros traits de peinture. Recherchant la chaleur et la sécurité de la vie villageoise, il la colorie à l'excès, pour la rendre vibrante: Cordeville, petit hameau au bout du village, lui évoque son Brabant natal, et, via la toile, Vincent cherche un lien organique, à l'image de son style, avec ce qu'il voit et ressent. Pourtant déjà, dans "La vue sur Auvers", le ciel, s'il ne s'assombrit pas, présente des nuages indéniablement tourmentés. La fameuse "L'église d'Auvers" (peinture prêtée par le musée d'Orsay, comme d'autres tableaux) est posée sur un ciel d'un bleu exagérément profond, presque nuit, celle qui vient peu à peu sur l'esprit de l'instable artiste. Les styles sont pourtant changeants, comme les toiles, parfois peu connues: "Les escaliers" paraît nabi, "La maison du père Pilon" montre un arbre aux feuilles striées qui lui donne des allures de hérisson géant. "Les barques sur l'Oise" évoque un Manet qui aurait le regard troublé par l'excès d'absinthe. La description d'une ferme s'accompagne d'un ciel bleu et nuageux exécuté à coups de petits tampons... Vincent essaie, tente, explore, toujours pressé par le temps. Il côtoie le Docteur Gachet, original homéopathe, amateur d'art, qui le surveille un peu au début et le pousse à se plonger complètement dans le travail: son fameux portrait trône dans l'exposition, comme d'ailleurs celui de sa fille Marguerite, la plus belle des fleurs, décrite au milieu du jardin de son père. Des fleurs, éphémères, qui peuplent cette belle saison de début d'été, et que Vincent immortalise. Il exécute des portraits de jeunes gens, dont Adeline Ravoux, portraiturée en bleu, ce bleu turquoise des yeux de Vincent. Deux petites filles prêtées par Orsay, partenaire de l'expo (mais les toiles viennent du monde entier), ressemblent par le costume et le style à deux petites Bretonnes saisies par le Gauguin de Pont-Aven. Vincent a même encore le temps d'exécuter une copie de la Pietà de Delacroix. Ses dessins et croquis sont d'ailleurs également présentés: ils sont touchants et émouvants par leur simplicité, leur délicatesse, comme dans le cas de ce cheval tirant voiture. Les derniers paysages montrent un Vincent qui cherche la paix, une sérénité, loin de la présence humaine. Pourtant, ces toiles révèlent surtout son tourment, comme bien entendu dans le fameux "Champ de blé aux corbeaux", mais également à ses côtés et moins célèbre, au travers du "Champ de blé sur fond d'orage", annonçant le cataclysme. Plus original encore et méconnu, ce "Pluie - Auvers-sur-Oise": un champ de blé, au fond le village et, sur la toile, des stries verticales, reflets de la grosse pluie qui dévale des cieux. Au centre de la toile, un groupe de freux s'envole... Le tout dernier tableau peint par Vincent représente des racines en gros plan: dans des tons jaune, brun, vert et bleu, d'un contraste violent, elles forment un entrelacs de membranes (qui évoque Munch), reflet d'un esprit tourmenté. À l'agonie? Le soir même, il se tire une balle dans la tête et deux jours plus tard, le 29 juillet, il succombe à ses blessures. Les corbeaux ont gagné...