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Le journal du Médecin: Vous êtes tous les deux des fans, non pas de heavy metal, mais de hard-rock? Stephen Desberg: Pas forcément. Johan De Moor: Moi bien. S.D.: Je ne suis pas sûr que Led Zeppelin soit du hard-rock... J.D.M.: Cela en est le prélude. Ils en sont les inventeurs, avec AC/DC... S.D.: Au niveau des harmonies, on trouve chez Led Zeppelin des influences folkloriques anglaises assez riches. C'est cet aspect qui m'a séduit à l'époque. Par comparaison, Ten Years After est très guitares. J'avais des goûts plutôt éclectiques: j'ai vu Led Zep deux fois en concert à Forest National, mais j'assistais également aux concerts de Pink Floyd ou de Genesis. Je n'ai rien contre le hard-rock, mais j'écoutais plutôt des musiques harmoniques. Étant claviériste, cela a toujours été l'objet d'un débat: à l'âge de 19 ans, je faisais partie d'un groupe dont le batteur et le guitariste penchaient plutôt pour des morceaux très rythmiques, alors que j'étais plutôt porté vers des pièces plus harmoniques. Vous, Johan, vous étiez plus hard-rock? J.D.M.: Je le suis devenu au cours de ces 20 dernières années. Mais durant les fameuses années 70, je découvrais le blues, les premiers disques de Johnny Lee Hooker, brutaux et durs. J'étais plutôt beatnik et hippie, à cette époque. J'allais voir des concerts d'Oscar Peterson ou Miles Davis au Palais des Beaux-Arts. Et évidemment, j'écoutais Led Zeppelin. Mais je voyais leur musique plutôt comme une fête, tandis que dans le cas du jazz et du blues, c'était d'abord la musique: ils relevaient d'une sorte d'éducation musicale. Led Zeppelin, c'est quand même du blues électrifié, au départ... J.D.M.: Évidemment, Led Zeppelin, ce sont des hymnes. Et je constate que cela reste une référence pour les jeunes générations. Mais le sujet de la bande dessinée n'est pas de prime abord la musique de Led Zeppelin, mais la figure de leur manager, Peter Grant. Pourquoi John Bonham n'est-il pas présenté en bison? Cela faisait trop "Pi la vache"? J.D.M.:(il rit) Initialement, lorsque nous avons commencé à discuter du synopsis, cela devait être un hippopotame... Ce qui ne me convenait pas. Dans mon confort de dessinateur, je l'imaginais tout de même grassouillet. Je le trouvais plus élégant en zèbre: d'autant que cet animal peut se révéler très agressif. C'est une question de choix graphique. C'est amusant d'avoir mis Malcolm McLaren dans le bouquin. J'imagine que c'est complètement fictif? S.D.: Non. McLaren était revenu des États-Unis avec les idées de ce qui se faisait à New York. À l'époque, il travaillait sur le look des stars. Donc, Malcolm McLaren a travaillé sur le look de Led Zeppelin? S.D.: Il a donné quelques conseils. Cet épisode nous permet d'illustrer le fait que les membres du groupe tentent de se mettre à la mode, pour finalement suivre leurs propres intuitions. Un autre Belge a fait un bouquin sur Led Zeppelin (voir les archives du jdm): Michel Duterck, un fan absolu. Dans son livre (aux éditons Le camion blanc, NdlR), cet auteur décrit toute l'histoire du groupe, du premier jour jusqu'au dernier. Pourquoi les Belges sont-ils à ce point intéressés par Led Zeppelin? S.D.: À l'époque, tous ces groupes qui passaient par la Belgique, comme Genesis, avaient un lien particulier avec notre pays et venaient souvent tester leur nouveau set. J.D.M.: Et puis Il y a aussi l'aventure des premiers festivals, comme Bilzen. Nous sommes connus comme un pays de festivals, à l'instar de Tomorrowland qui brasse énormément de monde, combiné à ce côté anglo-saxon et ouvert de la Belgique. La qualité des preneurs de son et des studios joue également un rôle. S.D.: Probablement aussi le fait que nous sommes au carrefour des cultures du côté des Anglo-Saxons, dans la partie flamande notamment. Mais les concerts de Led Zeppelin étaient très mélangés au niveau public. Pour une star comme James Taylor, que j'ai vu plusieurs fois en concert, la Belgique est un passage obligé, ce dont il pourrait aisément se passer. Le miel, c'est la drogue de cet ours qui représente Peter Grant, le manager du groupe, dont vous racontez l'histoire. Et il en est mort... S.D.: De tous les excès, en fait. Apparemment, le seul parmi les quatre membres du groupe et le manager qui ne touchait pas à tout cela, c'était le bassiste John Paul Jones... S.D.: Oui, nous évoquons d'ailleurs dans les pages du livre ce que les quatre autres font de leur argent. John, par contre, s'achète des guitares ou des claviers. Raison pour laquelle vous le représentez en puma, animal plus discret? J.D.M.: Oui. Et puis, effectivement, les vedettes du groupe étaient Jimmy Page et Robert Plant, suivis de John Bonham. Aujourd'hui encore, des batteurs viennent déposer leurs baguettes sur sa tombe. Il a été sacralisé... Ce qui est formidable avec cet album, c'est qu'au travers du dessin, on entend la musique... J.D.M.: C'était le défi le plus compliqué de ce projet. Je ne suis pas Margerin, par exemple, qui fait des dessins rock avec la banane. Un auteur qui joue lui-même de la musique, on sent que c'est quelqu'un qui la vit. De mon côté, Je ne voulais surtout pas mettre des notes de musique partout, ce qui risquait de perdre le lecteur. Le silence suscite beaucoup plus l'imagination. On n'est pas dans Gaston Lagaffe - que j'adore, par ailleurs. Personnellement, j'ai opté pour la lisibilité: bien raconter l'histoire et mettre de l'atmosphère. On entend en effet la musique en lisant la bédé: c'est fou comment un dessin peut faire émerger ce genre d'impression. Avez-vous amplifié - sans mauvais jeu de mot - les événements, ou simplement transposé en dessins les faits de cette vie très rock'n'roll? S.D.: Jimmy Page et l'ésotérisme, par exemple? Non, il a vraiment acheté la maison du mage Aleister Crowley, et également un manoir hanté en Écosse. Mais lorsqu'on réalise une bédé de ce type, on démarre de la réalité pour forcément forcer un peu le trait. Même s'ils avaient déjà pas mal exagéré eux-mêmes! (rires) Mais nous ne voulions pas que le lecteur s'identifie aux musiciens. On voulait raconter l'histoire à travers leur manager. Deux génies se font face: Led Zeppelin et Peter Grant. Le second étant sans doute plus difficile à identifier... En même temps, nous en profitons pour adresser en creux des clins d'oeil au monde de l'édition de bandes dessinées. J.D.M.: un petit règlement de comptes (il sourit).S.D.: Par exemple, le groupe et leur manager vont voir les maisons de disques et discutent des contrats... comme nous! J.D.M.: Plus on en dit à un éditeur à propos d'un futur projet, plus c'est compliqué parce qu'on peut s'enfoncer. Quelle attitude faut-il adopter vis-à-vis de l'éditeur? Combien de planches faut-il montrer? Quatre, cinq ou le projet dans son entièreté? C'est toute une stratégie... Vous réalisez aussi d'ailleurs des maquettes, comme dans la musique? J.D.M.: Oui, exactement. Il faut déterminer si l'on dévoile l'ensemble ou si l'on garde une partie secrète. Je pense que la deuxième option est la bonne stratégie, sinon l'éditeur risquerait de refuser (sourires). Un entretien de Bernard Roisin