Éditeur spécialisé en livres sur la musique, de Bono à Dalida en passant par Louis Armstrong, Yves Jolivet évoque le succès de niche de sa maison d'édition " Le Mot et le Reste ".
Breton installé à Marseille depuis plus de trois décennies, Yves Jolivet a développé depuis 15 ans, au sein de sa maison d'édition, toute une section dévolue aux livres musicaux, que ce soit des anthologies sur le hard-rock, le reggae, le rock alternatif, le disco ou encore Johnny Hallyday. Des ouvrages de qualité d'un format standard, écrits par des spécialistes du genre musical ou de l'artiste évoqué, que l'auteur soit journaliste écrivain, financier, steward, universitaire ou ancienne plume de François Hollande. Du moment qu'ils aient la connaissance, le goût de transmettre et, bien sûr, le sens du rythme...
Le journal du Médecin : C'est la passion de la musique et de la poésie qui vous pousse à créer une maison d'édition ?
Yves Jolivet : " Le mot et le reste " est né de mon désir d'éditer des livres d'artistes : je demandais des mots à des poètes et je m'occupais du reste. S'est mise peu à peu en place une maison d'édition, sans qu'il y ait vraiment de programme élaboré. Je n'étais pas issu du sérail de l'édition, avec en tête un programme de publications.
La maison a été créée en 1996 et a commencé à publier des livres sur la musique en 2006, d'abord avec un ouvrage de Philippe Robert qui s'intitulait " Un itinéraire bis en 140 albums essentiels ", et qui a plutôt bien fonctionné. À ce moment-là, nous nous disons que nous avons trouvé un public au travers d'un livre à la couverture en noir et blanc, relativement didactique, sur la musique dite populaire. Nous allons d'abord en publier trois à quatre par an, puis une dizaine, et jusqu'à 20 depuis une bonne dizaine d'années. Nous éditons depuis quatre ans environ 50 ouvrages par an, dont la moitié consiste en des ouvrages sur la musique.
Les ouvrages musicaux se divisent entre anthologie et biographie essentiellement?
Ce n'est pas vraiment un système ; les anthologies se structurent selon une métrique assez précise : une introduction, une centaine d'albums répertoriés et détaillés. Mais au sein même des ouvrages sur la musique, il y a des différences entre biographies et autobiographies dévolues à un certain nombre de musiciens. Est par exemple sortie récemment l'autobiographie de Jean-Jacques Burnel. Dans ce cadre-là, il peut y avoir des essais et même désormais de la littérature sur la musique. C'est plutôt ouvert et moins schématique qu'il y a dix ans.
Eric Clapton et George Harrison
Désormais, vous publiez même de la " littérature musicale ", par exemple l'ouvrage sur la relation amoureuse triangulaire entre Éric Clapton, George Harrison et Pattie Boyd...
Effectivement, Jérôme Attal est plutôt connu comme un auteur de romans. Son deuxième ouvrage chez " Le mot et le reste " consiste en une version disons 'romancée' de ce trio amoureux. Il y a deux ans, " Little Louis " de Claire Julliard se voulait l'histoire romancée de la vie de Louis Amstrong avant son succès en 1924 à La Nouvelle-Orléans.
On peut faire un parallèle avec la musique : vous êtes un petit label, un petit éditeur, et parfois les auteurs qui auront du succès chez vous migreront ensuite vers de plus grosses maisons d'édition, de plus gros labels ?
C'est le cas pour quelques-uns en effet, mais l'inverse est vrai également. Certains sont édités dans des maisons d'édition plus visibles, ce qui ne signifie pas forcément que leur livre sera plus visible pour autant. Quelqu'un comme Yves Bigot notamment, avec qui nous allons collaborer, et Frank Médioni, qui se partage entre Gallimard et nous. Tout cela s'entrecroise. Et puis il y a Michka Assayas, qui travaille sur plusieurs fronts. Michka a déjà produit plusieurs ouvrages chez nous, notamment une anthologie intitulée " Very good trip " il y a trois ans de cela. Nous avons aussi réédité son " Bono par Bono " et nous avions aussi reproduit une anthologie de tous ses textes parus dans " Rock et Folk ", " In a lonely place ", qui fut notre première collaboration ensemble, il y a de cela six ans.
Steward et hard
Les auteurs ne sont pas que journalistes. Il y a notamment le steward Jean-Claude Degroux, spécialiste du hard-rock et du heavy metal ?
Nous en avons quelques-uns dans ce registre, dont Jean-Charles qui est effectivement steward. Nous avons aussi Pierre Evil, de son vrai nom Pierre-Yves Bocquet, qui fut la plume de François Hollande et est un spécialiste du rap américain. Nous avons réédité un de ses ouvrages qui s'intitule " Gangsta Rap ", il prépare actuellement un autre ouvrage sur la nouvelle scène rap de Détroit. Certains sont financiers, d'autres sont chercheurs ou universitaires. Ils ont pour point commun d'être chacun fan d'une thématique musicale.
Vous avez pris la place de magazines comme " Rock et Folk " ?
" Rock et Folk " et " Les Inrocks " existent toujours, mais le postulat que je me suis fait, justement, était que lorsque je lisais ce type de magazine, il y a très longtemps, les interviews pouvaient courir sur une bonne dizaine de pages sans difficulté. C'était même parfois trois fois plus lorsque Philippe Garnier se mettait en tête de visiter New York ou San Francisco. Tout cela s'est fortement réduit, tout simplement parce que " Les Inrocks ", par exemple, se sont ouverts à la partie société et, comme beaucoup de magazines de ce type en effet, en sont venus à des formes brèves de deux, quatre ou six pages avec autant de photos. Effectivement, ces textes à haute valeur ajoutée, je ne les trouvais plus et il me semblait que pour des gens tels que moi et d'autres amateurs de musique, la forme livre se révélait plus adaptée. D'où notre aventure, qui semble donner raison à notre intuition.
Ajoutons qu'au moment où j'ai lancé la maison, deux éditeurs faisaient de la musique un centre névralgique de leur activité, à savoir Allia, qui s'est beaucoup calmée depuis dans ce domaine, et le Castor Astral qui continue.
Les livres dont vous êtes le plus fier ?
Ce qui m'intéresse c'est le livre en cours. Une fois qu'il est publié, c'est fini : il est classé et fait partie de mon histoire.
Vos goûts musicaux ?
En tant qu'ado donc au début des années 70, j'ai été influencé par la litanie affolante de groupes qu'il y avait à l'époque, mais qui ne disent plus rien à mes enfants... Et puis j'ai continué dans ce filon. Mais aujourd'hui j'irais davantage à l'opéra, ou écouter le chant des oiseaux, même si je possède une collection musicale assez élaborée.
J'écoutais plutôt les MC5, The Stooges, voire le Velvet... et également Can qui valait largement tout ce qui trustait les numéros un de l'époque : bien plus aventureux musicalement, ce qui explique cette pluralité de propositions musicales au " Mot et le reste ". Une fois que l'on a fait un bouquin sur les Stones ou les Beatles ou les Who, il y a peut-être des marges qui sont aussi signifiantes que les couvertures. J'aime cette phrase de Godard : " Ce sont les marges qui tiennent le livre ". C'est ce qui explique la logique du " Mot et le reste " dans ce cadre musical : du jazz, de la musique savante, des ouvrages pédagogiques sur des artistes comme Dalida, du Krautrock... La permanence de la musique est de s'interroger face au monde.
Breton installé à Marseille depuis plus de trois décennies, Yves Jolivet a développé depuis 15 ans, au sein de sa maison d'édition, toute une section dévolue aux livres musicaux, que ce soit des anthologies sur le hard-rock, le reggae, le rock alternatif, le disco ou encore Johnny Hallyday. Des ouvrages de qualité d'un format standard, écrits par des spécialistes du genre musical ou de l'artiste évoqué, que l'auteur soit journaliste écrivain, financier, steward, universitaire ou ancienne plume de François Hollande. Du moment qu'ils aient la connaissance, le goût de transmettre et, bien sûr, le sens du rythme...Le journal du Médecin : C'est la passion de la musique et de la poésie qui vous pousse à créer une maison d'édition ?Yves Jolivet : " Le mot et le reste " est né de mon désir d'éditer des livres d'artistes : je demandais des mots à des poètes et je m'occupais du reste. S'est mise peu à peu en place une maison d'édition, sans qu'il y ait vraiment de programme élaboré. Je n'étais pas issu du sérail de l'édition, avec en tête un programme de publications.La maison a été créée en 1996 et a commencé à publier des livres sur la musique en 2006, d'abord avec un ouvrage de Philippe Robert qui s'intitulait " Un itinéraire bis en 140 albums essentiels ", et qui a plutôt bien fonctionné. À ce moment-là, nous nous disons que nous avons trouvé un public au travers d'un livre à la couverture en noir et blanc, relativement didactique, sur la musique dite populaire. Nous allons d'abord en publier trois à quatre par an, puis une dizaine, et jusqu'à 20 depuis une bonne dizaine d'années. Nous éditons depuis quatre ans environ 50 ouvrages par an, dont la moitié consiste en des ouvrages sur la musique.Les ouvrages musicaux se divisent entre anthologie et biographie essentiellement?Ce n'est pas vraiment un système ; les anthologies se structurent selon une métrique assez précise : une introduction, une centaine d'albums répertoriés et détaillés. Mais au sein même des ouvrages sur la musique, il y a des différences entre biographies et autobiographies dévolues à un certain nombre de musiciens. Est par exemple sortie récemment l'autobiographie de Jean-Jacques Burnel. Dans ce cadre-là, il peut y avoir des essais et même désormais de la littérature sur la musique. C'est plutôt ouvert et moins schématique qu'il y a dix ans.Désormais, vous publiez même de la " littérature musicale ", par exemple l'ouvrage sur la relation amoureuse triangulaire entre Éric Clapton, George Harrison et Pattie Boyd...Effectivement, Jérôme Attal est plutôt connu comme un auteur de romans. Son deuxième ouvrage chez " Le mot et le reste " consiste en une version disons 'romancée' de ce trio amoureux. Il y a deux ans, " Little Louis " de Claire Julliard se voulait l'histoire romancée de la vie de Louis Amstrong avant son succès en 1924 à La Nouvelle-Orléans.On peut faire un parallèle avec la musique : vous êtes un petit label, un petit éditeur, et parfois les auteurs qui auront du succès chez vous migreront ensuite vers de plus grosses maisons d'édition, de plus gros labels ?C'est le cas pour quelques-uns en effet, mais l'inverse est vrai également. Certains sont édités dans des maisons d'édition plus visibles, ce qui ne signifie pas forcément que leur livre sera plus visible pour autant. Quelqu'un comme Yves Bigot notamment, avec qui nous allons collaborer, et Frank Médioni, qui se partage entre Gallimard et nous. Tout cela s'entrecroise. Et puis il y a Michka Assayas, qui travaille sur plusieurs fronts. Michka a déjà produit plusieurs ouvrages chez nous, notamment une anthologie intitulée " Very good trip " il y a trois ans de cela. Nous avons aussi réédité son " Bono par Bono " et nous avions aussi reproduit une anthologie de tous ses textes parus dans " Rock et Folk ", " In a lonely place ", qui fut notre première collaboration ensemble, il y a de cela six ans. Les auteurs ne sont pas que journalistes. Il y a notamment le steward Jean-Claude Degroux, spécialiste du hard-rock et du heavy metal ?Nous en avons quelques-uns dans ce registre, dont Jean-Charles qui est effectivement steward. Nous avons aussi Pierre Evil, de son vrai nom Pierre-Yves Bocquet, qui fut la plume de François Hollande et est un spécialiste du rap américain. Nous avons réédité un de ses ouvrages qui s'intitule " Gangsta Rap ", il prépare actuellement un autre ouvrage sur la nouvelle scène rap de Détroit. Certains sont financiers, d'autres sont chercheurs ou universitaires. Ils ont pour point commun d'être chacun fan d'une thématique musicale.Vous avez pris la place de magazines comme " Rock et Folk " ?" Rock et Folk " et " Les Inrocks " existent toujours, mais le postulat que je me suis fait, justement, était que lorsque je lisais ce type de magazine, il y a très longtemps, les interviews pouvaient courir sur une bonne dizaine de pages sans difficulté. C'était même parfois trois fois plus lorsque Philippe Garnier se mettait en tête de visiter New York ou San Francisco. Tout cela s'est fortement réduit, tout simplement parce que " Les Inrocks ", par exemple, se sont ouverts à la partie société et, comme beaucoup de magazines de ce type en effet, en sont venus à des formes brèves de deux, quatre ou six pages avec autant de photos. Effectivement, ces textes à haute valeur ajoutée, je ne les trouvais plus et il me semblait que pour des gens tels que moi et d'autres amateurs de musique, la forme livre se révélait plus adaptée. D'où notre aventure, qui semble donner raison à notre intuition.Ajoutons qu'au moment où j'ai lancé la maison, deux éditeurs faisaient de la musique un centre névralgique de leur activité, à savoir Allia, qui s'est beaucoup calmée depuis dans ce domaine, et le Castor Astral qui continue.Les livres dont vous êtes le plus fier ?Ce qui m'intéresse c'est le livre en cours. Une fois qu'il est publié, c'est fini : il est classé et fait partie de mon histoire.Vos goûts musicaux ?En tant qu'ado donc au début des années 70, j'ai été influencé par la litanie affolante de groupes qu'il y avait à l'époque, mais qui ne disent plus rien à mes enfants... Et puis j'ai continué dans ce filon. Mais aujourd'hui j'irais davantage à l'opéra, ou écouter le chant des oiseaux, même si je possède une collection musicale assez élaborée.J'écoutais plutôt les MC5, The Stooges, voire le Velvet... et également Can qui valait largement tout ce qui trustait les numéros un de l'époque : bien plus aventureux musicalement, ce qui explique cette pluralité de propositions musicales au " Mot et le reste ". Une fois que l'on a fait un bouquin sur les Stones ou les Beatles ou les Who, il y a peut-être des marges qui sont aussi signifiantes que les couvertures. J'aime cette phrase de Godard : " Ce sont les marges qui tiennent le livre ". C'est ce qui explique la logique du " Mot et le reste " dans ce cadre musical : du jazz, de la musique savante, des ouvrages pédagogiques sur des artistes comme Dalida, du Krautrock... La permanence de la musique est de s'interroger face au monde.