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Apparu en plein milieu de la britpop, Supergrass se distinguait des autres formations par une pop à la fois directe et sophistiquée. Embarqué désormais dans une carrière solo - bien que Supergrass se reforme de temps à autre pour quelques concerts -, Gaz Coombes, le leader incontesté de la formation, sort " Turn The Car Around ", qui achève un triptyque débuté voici huit ans avec " Matador ", et se caractérise par une pop adulte raffinée, atmosphérique et habitée. Bref, " Turn the car around " n'a rien d'une blablacar et propose de jolis transports.Le morceau introductif " Overnight Trains " rappelle l'album de Supergrass " Road to Rouen " par son l'atmosphère, le sens du voyage...Il y avait sans doute des rapprochements à faire. Mais tout a commencé par des paroles d'ouverture très directes écrites dans le calme du salon, près du feu, tandis que le chien dormait à mes pieds. Probablement à cause des divers confinements, me reste cette image d'être blotti, terré chez moi sans pouvoir aller nulle part, tentant de trouver du réconfort dans cet isolement, mais souhaitant ensuite que la vie soit à nouveau rapide. Ma femme et moi rêvons de dormir un jour dans un train du genre l'Orient-Express. Raison pour laquelle sans doute je l'ai mis en chanson. (il sourit)Votre mère est précisément décédée pendant l'enregistrement de " Road to Rouen " ?Juste à la fin de l'enregistrement de " Life on Other Planets ". " Road to Rouen " est son successeur. Un album pour lequel il fut dès lors pénible, à bien des égards, d'écrire des chansons.Un album très sous-estimé...Merci. Apparemment, il s'agit du disque favori des vrais fans de Supergrass, même s'il n'a pas connu le succès escompté au niveau du grand public.Sur le morceau éponyme " Turn The Car Around ", vous évoquez également la figure de votre mère...Elle apparaît soudain 15 ans après sa mort, preuve que sa disparition m'affecte encore. Je ne souhaitais sans doute pas me confronter à mon deuil à l'époque, me disant qu'il valait mieux me mettre au travail plutôt que d'y penser. Je l'ai en quelque sorte évacué, sans très bien assimiler le choc au début. Dès lors, même aujourd'hui, sa disparition me laisse avec un sentiment assez violent. Mais j'ai fini par faire la paix avec ces émotions. En fait, le sentiment de deuil est fascinant : la douleur nous permet en quelque sorte de rester en contact avec les disparus, de ne pas les oublier, ce qui réconforte. Il s'agit d'une douleur réconfortante. Qu'évoque cette chanson à son sujet ?Je m'y demande ce qu'elle penserait du chaos que nous traversons. Ma fille avait trois mois lorsque ma mère est décédée. Elle a depuis été diagnostiquée autiste : nous avons effectué un chemin insensé ensemble depuis sa naissance. Dans cette chanson, je me demande ce que ma mère penserait du covid, du brexit... Je chante que je souhaiterais pouvoir réinitialiser et repartir de zéro, faire demi-tour et braquer la voiture dans une nouvelle direction.Comment le fait que votre fille soit autiste vous affecte-t-il sur le plan musical ?La musique l'intéresse depuis qu'elle est toute petite, l'obsède même, en particulier le chant : elle est dans sa chambre et je l'entends chanter durant des heures. La musique occupe une place importante dans sa vie. J'écris des paroles de chansons en fonction de mon univers proche, ma fille est donc l'une de mes principales sources d'inspiration. C'est pourquoi j'ai notamment écrit " The Girl Who Fell to Earth ". C'est aussi le cas sur cet album ?Pas exactement, mais il y a sans doute de petits éléments qui s'y rapportent. Quand je ne suis pas là - ce qu'elle déteste -, elle peut se raccrocher à ces petits détails. C'est un peu comme une petite lettre qu'elle peut garder. J'ai toujours aimé John Lennon pour sa façon d'énoncer les choses sans détour : la chanson " Julia " qui parle de sa mère est tellement franche, voire crue. J'ai adoré la période solo de Lennon, il criait, saignait en quelque sorte sur ces disques. Cela m'a inspiré lorsque j'ai commencé à écrire en solo, je me disais " si tu as envie d'écrire une chanson sur ta fille, vas-y, fonce ! "Neil Young est une autre grande source d'inspiration ?Oui.Lequel a aussi un enfant autiste, je pense... C'est pourquoi il a écrit " Trans ", un album plutôt atroce sur fond d'une jolie histoire pourtant. Neil Young a expliqué qu'il avait utilisé le vocodeur pour tenter de mieux communiquer avec son fils. Une belle idée pour un disque affreux. (rires)En tant que musicien, en quoi est-il important pour vous d'avoir un home studio ?C'est juste une façon de m'exprimer rapidement. Être capable de délivrer une performance spontanée le plus rapidement possible. Ainsi, le délai entre l'idée et son enregistrement est aussi court que possible. De cette façon, je préserve la magie des premières prises, ces moments où vous ne savez pas encore vraiment ce que vous faites, car c'est à ce moment que la magie opère. Cela a été un exutoire incroyable sur le plan créatif et émotionnel au cours des deux dernières années de covid. Le simple fait d'aller en studio et de travailler sur les chansons de cet album a fait de ce lieu une sorte d'ami, un ami très proche à qui je rendais visite tous les jours, à qui je parlais, avec qui je jouais en quelque sorte. Quand j'ai terminé l'album, j'étais d'ailleurs un peu désemparé, endeuillé et triste : une sorte de dépression postnatale, même si bien sûr, je ne peux pas imaginer ce que c'est. Comment expliquez-vous que la britpop n'ait pas eu de succès en Amérique ?Peut-être n'était-ce pas assez sophistiqué. Dans le cas de la vague britannique originelle, qui comprenait The Who et les Kinks notamment, elle était porteuse d'influences américaines plus marquées. La britpop avait un peu cet aspect de musique de pub, trop anglaise. Par contre, je ne crois pas que Supergrass en faisait partie : notre musique se révélait plus sophistiquée, issue de la tradition des Who et des Kinks justement, voire des Beatles. Mais il est cependant possible que nous n'ayons tout simplement pas la même profondeur que les groupes originaux du milieu des années 60.Un Oasis n'était pourtant pas typiquement anglais à l'image d'un Blur ou d'un Pulp...Si Oasis n'a pas réussi en Amérique, cela tient au mauvais caractère de Liam et Noël Gallagher, qui se comportaient comme deux gros cons à l'époque, alors qu'ils sont charmants en fait. Mais du temps d'Oasis, on avait juste envie leur dire : " Prenez le contrôle de vous-même, bordel ! " (rires)La dernière fois que Supergrass s'est reformé, c'était en août lors du concert hommage à Taylor Hawkins, le batteur des Foo Fighters. Cela veut-il dire qu'une véritable reformation est envisagée ?Quand nous avons décidé d'arrêter, nous nous sommes dit que peut-être dans quelques années, s'il y a un anniversaire, un événement poignant à souligner ou une bonne raison de faire à nouveau d'autres concerts, alors nous le ferons. Mais ce n'est pas le cas. Je ne vais pas me contenter de relancer le groupe parce que mes comptes bancaires sont dans le rouge. Mais nous avons convenu de faire à nouveau des concerts dans le futur.Mais plus d'albums ?Ne jamais dire jamais... Mais cela m'étonnerait que cela se produise, car si nous nous sommes séparés, c'est suite à l'incapacité de refaire un album ensemble : sur le plan créatif, nous n'étions plus ensemble. Et je ne vois pas pourquoi ce serait différent aujourd'hui. Tout dépend si les gens changent... (il sourit) Gaz Coombes. Turn The Car Around. Virgin