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La raison? Les liens entre la famille impériale et la ville thermale, perpétués par les Russes depuis, car la cité aux confins de la Forêt-Noire était connue et appréciée de la dernière tsarine, Alexandra, qui était... allemande. L'autre raison est que le musée est constitué de la collection personnelle d'Alexandre Ivanov, juriste qui a fait fortune dans l'informatique. Un avocat et homme d'affaires vivant à Moscou, mais qui a choisi d'acheter, pour ces liens historiques, une maison datant de 1901 dans la ravissante cité du Baden-Wurtenberg. Cet enfant de la perestroïka, âgé aujourd'hui de 58 ans, a commencé à constituer sa collection lors de la chute du Mur, à l'époque où les oeufs Fabergé n'avaient pas encore atteint des sommes invraisemblables sur le marché de l'art - les oeufs Fabergé achetés à la maison Forbes à l'époque valait 100 millions de dollars lors de leur acquisition, ils en valent 250 aujourd'hui.L'intérêt de ce petit musée (le milliardaire a par ailleurs ouvert le musée national russe, premier de type privé à Moscou en 1993), réparti dans des salles de dimensions modestes sur deux étages, est de montrer, au travers de la collection d'Ivanov, l'évolution du travail de Fabergé. Famille originaire de Picardie, les Favri doivent fuir la France au moment de la révocation de l'édit de Nantes. Installé en Allemagne, le père joaillier, originaire de Pernau sur la Baltique, déménage à Saint-Pétersbourg à l'invitation de la "Grande Catherine" (qui est allemande), où Karl naît en 1846. Après son grand tour d'Europe, le jeune homme revient dans la ville de Pierre Le Grand en 1870. Il débute sa carrière en produisant des animaux en argent sertis de pierres précieuses d'un détail et d'un réalisme époustouflants, d'autres en pierres semi-précieuses de jade, lapis-lazuli ou purpurine et originaires de l'Oural. Déjà célèbre, il reçoit des commandes de rois de Thaïlande notamment, des bouddhas en néphrite sertis de diamants et rubis dont deux figurent dans l'exposition et l'un appartint à Onassis. Sensible au japonisme ambiant, Fabergé conçoit des bouquets de fleurs et des bonsaïs en émaux (144 couleurs à l'époque, plus que 44 aujourd'hui), constitués de cristal de roche, diamants, émeraudes et rubis d'une grande délicatesse. La reine Élisabeth II d'Angleterre en possédait plus de 60... Petit à petit, l'entreprise de Fabergé grandit, passant de 15 employés en 1880 à 800 au moment de la révolution.Décoratifs, ces merveilleux "objets", même s'ils sont luxueux, ont d'abord une fonction: une vitrine, véritable zoo, reprend une jungle d'animaux imaginés en pierres semi-précieuses par le joaillier, dans un grand souci de détail qu'il s'agisse de dinosaures, de singe, d'hippopotame voir d'escargots, qui sont en fait de "petits souvenirs" que l'on glissait à table dans la serviette de l'invité.. qui le recevait en cadeau. Fabergé étend sa panoplie, imaginant des tabatières décorées de pierres précieuses, des petites boîtes à parfum ravissantes et d'un très grand raffinement, voire un petit triptyque d'icônes portatives. À côté des boîtes à tabac, certaines même destinées à un public féminin de la cour, d'une petite pipe à opium en diamant et saphir, des vitrines détaillent la production de bijoux toujours destinés à la famille impériale et aux boyards, qui vont des boutons de manchettes, en passant par les broches dont l'une magnifique, digne de Lalique (lequel est présent sous forme de pendentifs) en forme de scarabée, à un diadème de diamants ponctué de saphirs, dans une salle qui compare l'art (supérieur) de Fabergé avec ses contemporains. Lesquels font face à des pièces imposantes du joaillier impérial, dont un décanteur en argent en forme de héron, ou une famille de lièvres, dont l'un s'inspire de celui, fameux, décrit par Dürer à l'époque. Ils forment en fait, une fois retournés, un service à vodka utilisé lors des chasses impériales.Le musée dédie une pièce aux objets en or, notamment conçus par Fabergé: elle rassemble entre autres une cinquantaine de figures zoomorphes aztèques et mayas. Mais bien sûr, la "pièce" maîtresse est celle consacrée aux fameux oeufs: une commande du tsar, qui suit la tradition orthodoxe d'offrir un oeuf contenant une surprise lors de la fête de Pâques, et qui demande à Fabergé de lui en concevoir... mais sous forme précieuse. Trônent, au milieu de cet espace, les quatre oeufs impériaux. L'un deux reprend le portrait de Nicolas II, de son épouse et ces quatre filles à l'époque et est serti de diamants ; à l'intérieur, un bouquet floral dans un vase d'une grande délicatesse. Un autre, offert par Nicolas II à sa mère Maria Feodorovna, est serti de plus de 1.500 diamants et contenait le portrait de son défunt mari Alexandre III, victime d'un attentat à la bombe perpétré notamment par le frère de... Lénine. Le dernier représente sans doute le sommet de l'art de Fabergé, en même temps que son chant du cygne: il date de 1917, figure un globe céleste posé sur un nuage de cristal de roche, qui représente la constellation du lion, celle du jeune fils de Nicolas II, Alexis. La révolution met fin à la fois à la lignée des Romanov, nationalise les ateliers Fabergé qui disparaissent, son créateur fuyant en Finlande puis en Suisse où il meurt quelques années plus tard. Symbole de l'écart scandaleux entre une noblesse prodigue d'un luxe inouï et un peuple vivant dans la misère, Fabergé ne pouvait que disparaître en même temps que ses principaux clients.Musée Fabergé, Sophienstraße 30, 76530, Baden-Baden.Infos : https://faberge-museum.de/fr/page-daccueil/