Apparu au début des années 80 dans la période post-punk, new wave, cold wave, le label 4AD, créé par Ivo Watts-Russell, s'est durant deux décennies révélé un lieu de création des plus original, où la musique, diverse (des éthérés Dead Can Dance ou Cocteau Twins aux furieux Pixies) et choisie par son créateur qui en produisit lui-même, fut en symbiose totale avec les pochettes crées par Vaughan Oliver. C'est également le passage douloureux de l'underground arty au mainstream standardisé pour ce label que raconte cette saga qu'évoque pour nous l'auteur de cet imposant et passionnant ouvrage, évidemment illustré de sublimes pochettes d'époque.

A vous lire, 4AD semble avoir été un label dont le créateur, Ivo Watts-Russell s'intéressait plus aux groupes et à la musique qu'à l'argent....

Il était bien plus passionné par la musique que par toute autre chose, tentant d'identifier et d'intégrer les tendances culturelles de son époque.

C'était un véritable artiste de l'industrie musicale?

Oui. Ivo a notamment pu élargir artistiquement sa propre vision au travers de son projet musical "This Mortal Coil". Bien que ne pratiquant aucun instrument, pas même la voix, il savait ce qu'il désirait exprimer par la musique et y est parvenu à la manière d'un réalisateur musical, un David Lynch de la musique: Ivo a sélectionné des musiciens et artistes, les a agencés de manière à ce qu'ils interprètent les mélodies et l'univers musical qu'il avait imaginé. "This Mortal Coil" était une extension intéressante d'une grande partie de ce qu'Ivo appréciait musicalement à cette époque.

Mais ce qu'il a pratiqué avec autorité, à part la musique, et qui confinait également à une sorte d'art, c'était celui d'être un petit label de musique emblématique?

Lui et Vaughan Oliver ont beaucoup contribué à cette floraison de labels indépendants britanniques. De toute évidence, l'art visuel était extrêmement important à leurs yeux: le travail graphique de Vaughan Oliver faisait partie intégrante de ce qui a fait de 4AD, qui n'était pas la musique mais une sorte d'interprétation complémentaire de celle qui était gravée sur le disque. C'était la propre vision des compositions par Vaughan, qui, avec Ivo, partageait une sorte de compréhension télépathique de ce que la musique représentait visuellement et esthétiquement.

Willima Morris

Ivo était-il une sorte de William Morris en matière de musique?

Il y avait en effet un élément Arts and Crafts dans cette esthétique: Ivo et Vaughan étaient des "modernistes visuels", qui faisaient référence à différents mouvements au sein de l'art.

D'un autre côté, Ivo était une sorte de Jane Austen de rock, parce qu'il faisait preuve de raison et de... sensibilité, laquelle le handicapait d'une certaine manière.

Raison, sensibilité et sympathie. Mais les artistes étaient tous différents: on ne peut comparer les Pixies avec Cocteau Twins par exemple... Dead Can Dance, Les Red House Painters, M.A.R.S. et Ultra Vivid Scene possédaient une seule chose en commun: Ivo. Lequel a signé nombre de femmes artistes à une époque où ce n'était pas tellement courant. Sur le deuxième This Mortal Coil, on dénombre trois chanteurs masculins, tous homosexuels. Ivo n'en savait rien, mais était très ouvert à ce genre de présences. Il a également engagé beaucoup de couples, Dead Can Dance et Cocteau Twins étant les exemples les plus emblématiques.

La cohérence entre l'image et la musique était toujours présente chez 4AD...

Vaughan maîtrisait une esthétique géniale et consacrait beaucoup de temps et d'efforts à fabriquer un bel objet pour contenir la musique... parfois en imposant son choix aux artistes.

La Quintessence de l'oeuvre visuelle de Vaughan Oliver était sans doute "Treasure" l'album de Cocteau Twins, dont le morceau introductif s'intitule d'ailleurs "Ivo". La musique et l'image y sont en parfaite symbiose...

(il rit) Et les Cocteau Twins ont détesté cette image autant que le disque qui est pourtant époustouflant. Ils trouvaient cette esthétique sépia trop pauvre.

4AD symbolise-t-il un spleen anglais du 20e siècle?

Oui, de romantisme envoûté, ce qui a donné naissance à ce qu'ils appelaient à l'époque, le son 4AD, mélange de Cocteau Twins, Dead Can Dance et This Mortal Coil. En parcourant tout le catalogue, on constate musicalement une sorte de mélancolie, une sorte de qualité hantée, y compris à l'écoute de la musique légère et exaltante des Pixies.

Martin Aston. A contre courant: l'épopée du label 4AD. Allia.

Apparu au début des années 80 dans la période post-punk, new wave, cold wave, le label 4AD, créé par Ivo Watts-Russell, s'est durant deux décennies révélé un lieu de création des plus original, où la musique, diverse (des éthérés Dead Can Dance ou Cocteau Twins aux furieux Pixies) et choisie par son créateur qui en produisit lui-même, fut en symbiose totale avec les pochettes crées par Vaughan Oliver. C'est également le passage douloureux de l'underground arty au mainstream standardisé pour ce label que raconte cette saga qu'évoque pour nous l'auteur de cet imposant et passionnant ouvrage, évidemment illustré de sublimes pochettes d'époque.A vous lire, 4AD semble avoir été un label dont le créateur, Ivo Watts-Russell s'intéressait plus aux groupes et à la musique qu'à l'argent.... Il était bien plus passionné par la musique que par toute autre chose, tentant d'identifier et d'intégrer les tendances culturelles de son époque. C'était un véritable artiste de l'industrie musicale?Oui. Ivo a notamment pu élargir artistiquement sa propre vision au travers de son projet musical "This Mortal Coil". Bien que ne pratiquant aucun instrument, pas même la voix, il savait ce qu'il désirait exprimer par la musique et y est parvenu à la manière d'un réalisateur musical, un David Lynch de la musique: Ivo a sélectionné des musiciens et artistes, les a agencés de manière à ce qu'ils interprètent les mélodies et l'univers musical qu'il avait imaginé. "This Mortal Coil" était une extension intéressante d'une grande partie de ce qu'Ivo appréciait musicalement à cette époque.Mais ce qu'il a pratiqué avec autorité, à part la musique, et qui confinait également à une sorte d'art, c'était celui d'être un petit label de musique emblématique? Lui et Vaughan Oliver ont beaucoup contribué à cette floraison de labels indépendants britanniques. De toute évidence, l'art visuel était extrêmement important à leurs yeux: le travail graphique de Vaughan Oliver faisait partie intégrante de ce qui a fait de 4AD, qui n'était pas la musique mais une sorte d'interprétation complémentaire de celle qui était gravée sur le disque. C'était la propre vision des compositions par Vaughan, qui, avec Ivo, partageait une sorte de compréhension télépathique de ce que la musique représentait visuellement et esthétiquement.Ivo était-il une sorte de William Morris en matière de musique? Il y avait en effet un élément Arts and Crafts dans cette esthétique: Ivo et Vaughan étaient des "modernistes visuels", qui faisaient référence à différents mouvements au sein de l'art. D'un autre côté, Ivo était une sorte de Jane Austen de rock, parce qu'il faisait preuve de raison et de... sensibilité, laquelle le handicapait d'une certaine manière. Raison, sensibilité et sympathie. Mais les artistes étaient tous différents: on ne peut comparer les Pixies avec Cocteau Twins par exemple... Dead Can Dance, Les Red House Painters, M.A.R.S. et Ultra Vivid Scene possédaient une seule chose en commun: Ivo. Lequel a signé nombre de femmes artistes à une époque où ce n'était pas tellement courant. Sur le deuxième This Mortal Coil, on dénombre trois chanteurs masculins, tous homosexuels. Ivo n'en savait rien, mais était très ouvert à ce genre de présences. Il a également engagé beaucoup de couples, Dead Can Dance et Cocteau Twins étant les exemples les plus emblématiques.La cohérence entre l'image et la musique était toujours présente chez 4AD... Vaughan maîtrisait une esthétique géniale et consacrait beaucoup de temps et d'efforts à fabriquer un bel objet pour contenir la musique... parfois en imposant son choix aux artistes. La Quintessence de l'oeuvre visuelle de Vaughan Oliver était sans doute "Treasure" l'album de Cocteau Twins, dont le morceau introductif s'intitule d'ailleurs "Ivo". La musique et l'image y sont en parfaite symbiose... (il rit) Et les Cocteau Twins ont détesté cette image autant que le disque qui est pourtant époustouflant. Ils trouvaient cette esthétique sépia trop pauvre.4AD symbolise-t-il un spleen anglais du 20e siècle?Oui, de romantisme envoûté, ce qui a donné naissance à ce qu'ils appelaient à l'époque, le son 4AD, mélange de Cocteau Twins, Dead Can Dance et This Mortal Coil. En parcourant tout le catalogue, on constate musicalement une sorte de mélancolie, une sorte de qualité hantée, y compris à l'écoute de la musique légère et exaltante des Pixies.