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La leucémie lymphoblastique aiguë (LLA) est une maladie rare: aux Pays-Bas, environ 200 nouveaux diagnostics sont posés chaque année. Il s'agit essentiellement d'enfants, avec un deuxième petit pic vers l'âge de 60 ans. La Dr Anita Rijneveld (Erasmus Medisch Centrum, Rotterdam) a fait part des développements dans la LLA chez les adultes. Ces dernières années, le pronostic des jeunes adultes - jusqu'à 40 ans - s'est fortement amélioré, principalement en raison de l'intensification de la chimiothérapie (1). Ainsi, le traitement des jeunes adultes ressemble davantage à celui des patients pédiatriques. À cet égard, l'asparaginase pégylée (peg-asparaginase) a notamment fait une grande différence et a encore amélioré la survie globale (OS) à cinq ans, de 55 à 75%. Les avantages de la peg-asparaginase par rapport à la forme conventionnelle concernent sa plus longue durée d'action: elle doit être administrée moins souvent et est moins immunogène. La toxicité - notamment des thromboses et une hépatotoxicité - constitue néanmoins un inconvénient. Il est apparu que la thrombose était essentiellement liée au cathéter central, et qu'elle survenait le plus souvent lors du 1er cycle. Entre-temps, une prophylaxie antithrombotique standard a été instaurée, mais les résultats ne sont pas encore connus. Le rituximab est utilisé depuis des années en cas de lymphomes, mais ce n'est qu'au cours de la dernière décennie qu'une étude de phase III portant sur la LLA a été menée. Bien que les pourcentages de réponse n'aient pas varié, la survie sans progression (PFS) était significativement meilleure, sans que le nombre d'infections n'augmente. Une autre immunothérapie pour le traitement de 1re ligne est le blinatumomab, un anticorps bispécifique qui se lie tant aux cellules T qu'aux cellules leucémiques. Le timing optimal de son instauration reste une question importante: lors de l'induction, uniquement en présence d'une maladie résiduelle minime (MRD), lors du traitement de consolidation, ou en cas de rechute? L'étude HOVON 146 apportera des réponses au sujet de l'impact du blinatumomab en traitement d'induction. D'autres études ont déjà montré que 80% des patients MRD+ devenaient négatifs après un traitement par blinatumomab (2), et qu'il donnait de bons résultats en traitement de consolidation, lors duquel beaucoup moins de chimio est alors nécessaire (3). Malheureusement, le pronostic après une rechute reste mauvais, en dépit des pourcentages de réponse complète (RC) plus élevés. Avec les traitements plus récents, le blinatumomab, l'inotuzumab ozogamicin (IO) et la thérapie par lymphocytes T à récepteur antigénique chimérique (CAR-T), l'OS médiane n'atteint également que quelques mois à deux ans. La survie à long terme n'atteint que 15-20%, et une transplantation allogénique de cellules souches reste indiquée chez les patients candidats. Récemment, les premiers résultats d'une étude évaluant une combinaison de chimiothérapie moins intensive, blinatumomab et IO (4), ont été présentés. Ils sont encourageants, avec une RC de 80% et une survie à trois ans de 33% (42% chez les patients présentant une 1re rechute). L'enregistrement pour un traitement CAR-T est pour le moment limité aux patients de moins de 25 ans, et les résultats chez les adultes au-delà de cet âge ne sont pas spectaculaires, avec une OS médiane de 12-24 mois, en fonction de l'étude. S'appuyant sur la technologie CAR-T, d'autres approches sont encore étudiées, par exemple en 1re ligne pour les patients MRD+, une double thérapie CAR-T dirigée contre CD19 et CD22, un CAR-T universel ne nécessitant pas un long temps de production, et un type de cellules CAR-T qui sont actives moins longtemps (cellules dites " fast-off"), de sorte que le risque de syndrome de libération de cytokines (CRS) diminue et la prise de la greffe se déroule mieux. Dans la dernière partie de son exposé, la Dr Rijneveld a évoqué le traitement des patients plus âgés (> 60 ans), souffrant d'une LLA. Le pronostic dans ce groupe est très mauvais, pour diverses raisons. Premièrement, une partie plus importante de cette population présente des facteurs pronostiques négatifs, comme le chromosome Philadelphie (Ph), une anomalie Ph-like ou un caryotype complexe. On y relève aussi davantage de résistance à la chimiothérapie et un risque de toxicité accru, nécessitant une réduction des doses de chimiothérapie et, de là, une diminution des chances de réponse. Heureusement, ces dernières années, des études ont également été menées chez des sujets plus âgés, combinant l'immunothérapie par IO à des schémas de chimiothérapie moins intensifs, avec de très bons résultats. Espérons qu'ils pourront être confirmés à long terme et dans de plus vastes études (5,6). Dans la première partie de cette session, la Dr Bérangère Devalet (CHU UCL Namur) a abordé la pathophysiologie et le diagnostic de l'hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN), une pathologie acquise rare des cellules souches hématopoïétiques, ayant une incidence de 0,1 à 0,2/100 000 personnes par an. Une mutation du gène lié au chromosome X codant pour le phosphatidylinositol glycane de classe A (PIG-A) induit une déficience de certaines protéines d'"ancrage" sur les érythrocytes, les rendant plus vulnérables à l'hémolyse. Cette hémolyse intravasculaire entraine évidemment une libération d'hémoglobine (Hb), qui se lie à l'oxyde nitrique (NO). La symptomatologie est liée à trois facteurs: l'anémie, le déficit en NO et les complications thrombotiques. Le déficit en NO induit des symptômes dus à une dystonie musculaire lisse (dysphagie, douleur abdominale, dysfonction érectile) et à une vasoconstriction artérielle (hypertension, insuffisance rénale et hypertension artérielle pulmonaire accompagnée ou non d'embolies pulmonaires). Il existe deux formes d'HPN: d'une part la forme classique qui se manifeste surtout chez les jeunes adultes et se caractérise principalement par une anémie hémolytique intravasculaire et les symptômes associés ; d'autre part la forme dans laquelle seul un clone mineur de cellules HPN est observé et dont la symptomatologie est dominée par une insuffisance médullaire et une anémie aplasique. Les complications thrombotiques sont un phénomène fréquent en cas d'HPN, en particulier avant qu'on ne dispose d'un traitement inhibiteur du complément. Les thromboses étaient la cause de mortalité chez 40 à 70% des patients et pouvaient survenir aussi bien au niveau artériel que veineux. Leur localisation peut être aussi bien classique (comme des thromboses veineuses profondes ou des embolies pulmonaires) que plus inhabituelle (comme le syndrome de Budd-Chiari ou le sinus caverneux). Le traitement n'était pas simple et la thérapie antithrombotique était souvent insuffisante pour prévenir les rechutes. La physiopathologie des thromboses en cas d'HPN est complexe et non encore totalement élucidée. De nombreux facteurs semblent jouer un rôle: l'hémolyse entrainant un déficit en NO et une constriction artérielle, menant à une activation des thrombocytes ; l'activation des plaquettes par le complément, avec une augmentation de l'adhérence et de la production de thrombine ; les dommages aux cellules endothéliales ; la perturbation du système fibrinolytique ; et divers autres facteurs. Le diagnostic de l'HPN s'effectue par une cytométrie en flux, conformément aux recommandations spécifiques (7). Il est important, par exemple, de réaliser une analyse des protéines d'ancrage sur les leucocytes (neutrophiles ET monocytes), car les mesures sur les érythrocytes peuvent donner une sous-estimation de la taille du clone. Un dépistage d'HPN est indiqué dans trois situations: patients présentant une hémolyse ou une thrombose inexpliquée et patients présentant une insuffisance médullaire - par exemple anémie aplasique, cytopénies inexpliquées - ou syndrome myélodysplasique (SMD) avec certaines caractéristiques. La Dr Devalet a conclu son exposé en renvoyant vers les recommandations belges pour l'HPN, développées sous la supervision de Pr Timothy Devos et pertinentes pour tous les hématologues qui traitent l'HPN (8). Dans la deuxième partie de la présentation, la Pr Nicole Straetmans (UCL Saint-Luc) a abordé le traitement de l'HPN. Depuis 2007 déjà, l'éculizumab - un anticorps monoclonal dirigé contre la fraction C5 du complément - est enregistré pour le traitement de l'HPN. Ce médicament a été une avancée considérable, car il contrecarre l'hémolyse intravasculaire et inhibe donc les symptômes associés (9). Un autre élément très important est une réduction des thromboses de 80%, car elles constituent la principale cause de mortalité en cas d'HPN. Il reste toutefois des besoins non satisfaits. Les médicaments sont très coûteux et le traitement n'est pas accessible à tous dans certains pays.De plus, les patients doivent recevoir une perfusion intraveineuse toutes les deux semaines, avec forcément un impact sur le système de soins de santé et la qualité de vie de ces patients. Enfin, il s'avère que seul un tiers des patients obtient une normalisation de l'Hb, les autres restant anémiques et une petite partie d'entre eux ayant même un besoin permanent de transfusions. Différentes raisons peuvent expliquer cette anémie persistante, dont une résistance intrinsèque à l'éculizumab, une insuffisance médullaire associée, ce qu'on appelle les épisodes hémolytiques intercurrents ( breakthrough) ou une hémolyse médiée par la fraction C3 du complément. Heureusement, de nouveaux traitements sont en cours de développement et visent aussi bien une inhibition terminale que proximale. Un produit dont le développement est déjà à un stade plus avancé est le ravulizumab, forme modifiée de l'éculizumab. Cet anticorps a une durée de demi-vie plus longue, permettant une administration toutes les 8 semaines, aussi bien par voie sous-cutanée que par voie intraveineuse. Ce médicament a été évalué dans deux études de non-infériorité: l'étude 301 en 1re ligne (10) et l'étude 302 en 2e ligne chez des patients ayant déjà reçu de l'éculizumab (11). Ces deux études ont démontré la non-infériorité. Aucune toxicité inattendue n'a été constatée et les épisodes hémolytiques intercurrents se sont avérés moins nombreux. À l'avenir, on peut donc s'attendre à davantage d'options pour le traitement optimal de l'HPN. Après avoir été présentée de manière élogieuse par les Drs Dominiek Mazure et Ann Janssens - la présidente de cette session - la Pr Jane Apperley (Hammersmith Hospital Imperial College, Londres) a débuté son exposé en remerciant les organisateurs pour l'honneur qui lui était accordé de pouvoir présenter cette conférence en hommage à Pierre Stryckmans. Elle a également évoqué quelques souvenirs de leur collaboration passée, notamment dans le domaine des infections à cytomégalovirus de la moelle osseuse. Bien entendu, il était évident que le titre de son exposé n'était qu'une question purement rhétorique, et sa présentation a abordé cinq besoins qu'elle estime importants et pertinents. Identification des patients à haut risque lors du diagnosticUne manière de déterminer le niveau de risque des patients consiste à utiliser un système de score. Dans la leucémie myéloïde chronique (LMC), on en utilise plusieurs. Ceux-ci ont récemment fait l'objet d'une évaluation par l' European Leukemia Net (ELN) qui en a conclu que les deux systèmes les plus pertinents sont le score de Sokal et le score ELTS ( EUTOS long term survival). Ce dernier s'avère légèrement plus précis pour pointer les patients à haut risque, notamment de mortalité due à la maladie (12). Un autre facteur qui a soulevé énormément de discussions au sein de la commission de recommandation de l'ELN, est celui des anomalies clonales additionnelles (ACA, c'est-à-dire en dehors de la translocation bcr/abl classique). Une question complexe était de savoir si ces anomalies devaient être intégrées dans les systèmes de score, ou plutôt envisagées comme facteur de risque "indépendant". C'est finalement cette dernière option qui a été retenue: les anomalies dites " major route abnormalities" (13), notamment les translocations 3q26.2, ou anomalies complexes (14) constituent donc des facteurs additionnels, parallèlement au système de score, pour aboutir à une décision de traitement de 1re ligne. Une récente étude du groupe de la Pr Apperley a révélé que la présence d'une ou plusieurs anomalie(s) génétique(s) (en dehors de bcr/abl) était plus fréquente chez les non-répondeurs à l'imatinib ou aux inhibiteurs de la tyrosine kinase de 2e génération (ITK 2G) que chez les répondeurs (15). Chez les patients sous imatinib, ceci était également associé à des évolutions plus défavorables de la maladie mais ce n'était étonnamment pas le cas pour les patients traités par ITK 2G en 1re ligne. Des résultats similaires ont été constatés dans d'autres études, et il est donc vraisemblable que cela soit considéré comme un facteur pronostique formel dans un futur proche, d'autant plus que le recours au séquençage de nouvelle génération (NGS) se généralise de plus en plus. Prise en charge de la LMC après échec des ITK 2GUne première raison pour laquelle un traitement peut échouer est évidemment l'impossibilité de le poursuivre en raison d'une intolérance. La Pr Apperley a ainsi donné l'exemple d'une patiente de 74 ans qui présentait de nombreuses comorbidités et ne tolérait pas bien l'imatinib en raison notamment de fatigue et de myalgies, et qui a par la suite développé une sévère diarrhée sous bosutinib. Après une réduction de la dose, ceci s'est toutefois nettement amélioré. Une récente étude, menée chez des patients ayant déjà présenté une réponse moléculaire majeure (RMM) mais ne tolérant pas la dose recommandée d'ITK, a montré que l'on pouvait réduire la dose en toute sécurité, sans impact sur les résultats à long terme (à l'exception des posologies les plus faibles). Un choix adéquat d'ITK reposant sur le profil d'innocuité et un ajustement posologique au besoin peuvent donc favoriser la tolérance. Un dilemme plus complexe se pose chez les patients qui présentent réellement une résistance aux ITK 2G. D'après les estimations, c'est le cas d'environ 20% des patients, dont la moitié manifeste une résistance primaire et l'autre moitié une résistance secondaire après une réponse initiale. Il est important d'effectuer un suivi minutieux pour pouvoir adapter le traitement en temps opportun. Le choix d'un traitement ultérieur reposera sur une analyse mutationnelle du domaine kinase, et une allogreffe sera la meilleure option dans certains cas (16). En tout état de cause, il est judicieux d'entreprendre une recherche de donneur lorsque le traitement de 1re ligne échoue. En règle générale, passer à un autre ITK 2G s'avère peu fructueux. Cependant, le ponatinib montre de bons résultats, même en cas de résistance aux ITK 2G (17). Il faut toutefois tenir compte d'un risque élevé de thrombose artérielle avec le ponatinib, qui était de 29% dans le cadre de cette étude. Néanmoins, une étude plus récente a montré qu'avec une réduction de la dose de ponatinib dès l'obtention d'une réponse cytogénétique complète, le risque de thrombose artérielle est beaucoup plus faible, aux alentours de 5% (étude toujours en cours, données obtenues du Pr Cortes). Lors du récent congrès de l'ASH, des données comparant l'asciminib au bosutinib chez des patients ayant reçu au moins 2 ITK antérieurs ont été présentées, et la réponse ainsi que la tolérance se sont avérées favorables pour l'asciminib. On attend la suite des résultats avec impatience! Pour l'heure, on peut utiliser l'algorithme qu'a développé la Pr Apperley sur base des données actuellement disponibles. Prise en charge de la LMC en cas d'échec de l'ITK 3GÀ l'heure actuelle, le ponatinib est le seul ITK 3G disponible. Néanmoins, l'asciminib montre des résultats intéressants, également chez les patients porteurs de la mutation T315I au pronostic très défavorable (18). Environ deux tiers des patients de cette étude de phase II avaient déjà reçu du ponatinib, et bien que les résultats fussent moins favorables que chez les patients naïfs de ponatinib, ceux-ci n'étaient pas mauvais pour autant, avec une réponse moléculaire majeure chez 29 contre 58% après 24 semaines. Si ces résultats se confirment et que l'asciminib est enregistré pour la LMC, ce serait un bel ajout aux options thérapeutiques. Traitement de la crise blastiqueCeci reste un énorme besoin non satisfait, explique la Pr Apperley, et une complication très difficile à traiter. Le dasatinib est le seul ITK qui traverse la barrière hémato-encéphalique, raison pour laquelle il est instauré en cas de crises blastiques, mais la réponse (s'il y en a une) est généralement de courte durée. La Pr Apperley a souligné l'étude Matchpoint menée dans son propre centre: des patients y ont été traités par ponatinib et un protocole de chimiothérapie similaire à celui pour la LMA, à savoir FLAG-Ida (fludarabine/cytarabine/idarubicine/ granulocyte colony stimulating factor), si possible suivi d'une allogreffe (19). Environ la moitié de ce petit groupe de patients (N=17) était encore en vie après 12 mois, ce qui est encourageant dans ce contexte. Études pour la rémission sans traitementLa Pr Apperley a admis qu'il ne s'agit certes pas d'un réel besoin non satisfait, mais bien d'un sujet qui ne laisse pas indifférentes la communauté des hématologues et elle-même. Il a fait l'objet de beaucoup de discussions lors des réunions de l'ELN à propos des recommandations pour la LMC: "la rémission sans traitement doit-elle être un (ou "le") but du traitement?" Il a finalement été décidé de l'inclure comme un des objectifs du traitement, parallèlement à l'allongement de la survie, à la prévention de la progression et à la qualité de vie. Il reste cependant encore beaucoup de questions sans réponse à ce sujet: à quelles conditions les patients doivent-ils répondre pour entrer en ligne de compte pour l'arrêt du traitement, vaut-il mieux arrêter soudainement ou diminuer progressivement (et dans ce dernier cas, à quelle vitesse), à quelle fréquence les patients doivent-ils être suivis et comment déterminer au mieux le risque de rechute? La Pr Apperley a montré comment son équipe et elle ont développé un modèle pour prédire la probabilité de succès d'une rémission sans traitement sur base d'une évaluation du risque. L'article a été soumis pour publication.