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Ensemble des microorganismes faisant partie d'un écosystème, le microbiote comprend des bactéries, des virus, des archées, des parasites et des champignons. Le microbiote intestinal est le plus dense, le plus étudié et le mieux connu. Il cohabite avec les microbiotes vaginal, cutané et buccal. Divers indices plaident par ailleurs en faveur de l'existence d'un microbiote pulmonaire. En outre, il y a actuellement débat quant à la présence d'un microbiote cérébral et d'un autre dans le tissu adipeux.On estime que notre intestin abrite environ 40.000 milliards de bactéries, largement prédominantes ; les archées, par exemple, y représentent moins de 1% tandis que chez le sujet sain, on n'y dénombre, semble-t-il, qu'une dizaine de souches de champignons. " Les virus sont minoritaires également, mais dans le domaine des recherches sur les liens entre le microbiote et certaines pathologies, dont le cancer, ils pourraient se révéler intéressants. En particulier les bactériophages, dont la fonction est de réguler le cycle des bactéries. Aussi certains chercheurs étudient-ils aujourd'hui le 'phagome', c'est-à-dire, par analogie avec le génome, l'ensemble des phages ", indique le Pr Laure Bindels, chercheuse au Louvain Drug Research Institute et professeur au sein de la faculté de pharmacie et des sciences biomédicales de l'UCLouvain.Autre analogie avec le génome : le microbiome, composé de l'ensemble des gènes des microorganismes formant le microbiote. On estime qu'il renferme 150 fois plus de gènes que le génome humain. " D'autre part, rapporte Laure Bindels, notre organisme contient plus de bactéries intestinales que de cellules eucaryotes. Dès lors, les capacités métaboliques de l'ensemble de ces bactéries dépassent celles de l'ensemble des cellules de l'hôte. "Les bactéries du microbiote intestinal interagissent avec l'organisme et participent à la régulation de divers processus physiologiques : absorption de vitamines, lutte contre les infections intestinales ou homéostasie énergétique. L'idée selon laquelle cette dernière serait régulée en partie par le microbiote intestinal est née d'une expérience réalisée en 2004 à l'Université Washington de Saint-Louis (Missouri), révélant que des souris nées sans microbiote (souris " germ-free") et élevées dans des isolateurs sans germes possédaient moins de tissu adipeux que leurs congénères dotées d'un microbiote.Encore fallait-il savoir comment le microbiote est capable de moduler le métabolisme énergétique. Laure Bindels rapporte notamment qu'il a été montré qu'à la suite de la fermentation de fibres complexes, spécialement de fibres alimentaires, certaines bactéries produisent des acides gras à chaîne courte, dont le butyrate, le propionate et l'acétate. Or, il est établi que les deux derniers peuvent activer la production d'hormones au niveau de l'intestin. L'une d'elles, le glucagon-like peptide-1 (GLP-1) est au coeur de nombreux travaux en raison de ses propriétés insulinotropiques. Son effet anorexique central, par action hypothalamique, réduit l'appétit et, de là, la prise alimentaire. Une étude a mis en évidence que l'administration de propionate au niveau du côlon induit une augmentation de GLP-1 chez les personnes obèses." Vu les propriétés insulinotropiques du GLP-1 et des observations faites chez l'animal, on peut concevoir qu'administrer une bactérie ou un dérivé bactérien qui stimule la production de GLP-1 au niveau intestinal puisse contribuer, parallèlement à une approche pharmacologique classique, à la lutte contre le diabète en accroissant la sécrétion glucose-dépendante de l'insuline par le pancréas ", commente le Pr Bindels. En outre, parmi d'autres propriétés, le GPL-1 exerce des effets indirects de régulation de l'inflammation et du métabolisme hépatique.Plusieurs travaux menés chez la souris et chez l'Homme suggèrent l'implication de la composition et de l'activité du microbiote intestinal dans des maladies comme le diabète, la maladie de Crohn, l'obésité ou le cancer du côlon. Une chose est certaine : il a été formellement démontré que ces deux éléments sont différents chez les patients souffrant de ces maladies. Cause ou conséquence ? Laure Bindels pense que ces deux pôles pourraient être intriqués, alimenteraient une même dynamique. " On peut envisager un cycle où la maladie altérerait la fonction barrière de l'intestin, modifiant ainsi la composition du micro-biote au profit de bactéries qui participeraient à leur tour à l'inflammation et, de la sorte, aggraveraient la pathologie ", dit-elle.Désormais, le microbiote intestinal est appréhendé comme cible thérapeutique potentielle, mais aussi dans une perspective de prévention. En effet, des recherches entreprises par des équipes indépendantes ont souligné que la consommation de fibres alimentaires est associée négativement à l'incidence du cancer du côlon. Une hypothèse plausible serait que la fermentation de ces fibres conduise certaines bactéries à produire un acide gras à chaîne courte anticancéreux : le butyrate.Contrairement à ce que l'on aurait pu imaginer, l'implication du microbiote intestinal en cancérologie ne se limite pas aux tumeurs colorectales, voire de la sphère gastro-intestinale : les travaux de Laure Bindels chez la souris ont mis en lumière des liens entre le microbiote intestinal et les leucémies, par exemple. D'autres travaux arrivent à une conclusion similaire dans les cancers du sein et du foie. Cependant, nous l'avons mentionné, rien ne permet aujourd'hui de conclure à l'existence d'une relation de causalité entre une perturbation du microbiote intestinal et la progression tumorale. " Pour trancher la question, il faudrait pouvoir réaliser des études prospectives de longue haleine au cours desquelles des matières fécales seraient collectées auprès de vastes populations. Serait ensuite effectuée une comparaison entre le microbiote des personnes qui auraient développé un cancer et celui des autres ", explique le Pr Bindels. Une autre méthode, relativement élégante mais moins fiable, consisterait à transplanter, à des souris, des matières fécales de patients cancéreux et d'évaluer l'impact de ce microbiote sur la progression tumorale chez l'animal. " Cette technique est utilisée actuellement dans d'autres domaines que la cancérologie ", précise-t-elle encore.Le microbiote intestinal influençant la balance énergétique de l'hôte, Laure Bindels et ses collaborateurs ont émis l'hypothèse qu'il pourrait être associé à l'importante perte de poids (plus de 5% au cours des six derniers mois) fréquemment constatée dans certains cancers. La cachexie fait régulièrement obstacle au bon déroulement des traitements anticancéreux, qui doivent être interrompus, et serait à l'origine de 25% des décès.Nombre de chercheurs s'efforcent de comprendre pourquoi certains cancers s'accompagnent de cachexie, d'autant que celle-ci est un facteur indépendant prédictif de la mortalité, qu'elle a un impact sur la morbidité et la qualité de vie des patients et qu'elle influe sur la toxicité de la chimiothérapie. De toute évidence, elle ne se résume pas à l'anorexie ; on observe en effet une augmentation de la dépense énergétique au repos chez les patients cancéreux cachectiques. " L'un des moteurs de l'activation catabolique anormale qui s'opère est l'inflammation générée par la tumeur, dit Laure Bindels. Il a d'ailleurs été montré qu'une supplémentation alimentaire par voie parentérale ne suffit pas face à un phénomène de cachexie. D'où l'idée d'agir sur d'autres mécanismes, indépendants de l'apport calorique."L'objectif de Laure Bindels est d'abord de comprendre comment le microbiote contribue à la cachexie, ensuite, d'identifier des cibles thérapeutiques pour enrayer le processus. Comme elle l'explique, la solution ne sera pas nécessairement l'administration d'un probiotique, mais pourrait reposer sur celle d'une fibre alimentaire ou d'un composé tel que le propionate. Des premiers travaux conduits chez la souris par la chercheuse du Louvain Drug Research Institute ont en effet mis en exergue qu'il permettait de contrôler la croissance tumorale.Lors de leurs études chez la souris, son équipe a toutefois recouru à des probiotiques (microorganismes vivants) et à des prébiotiques (composés non digestibles qui sont fermentés par les microorganismes de l'intestin). Elle a choisi deux modèles expérimentaux murins de cachexie cancéreuse, dont en particulier un modèle de leucémie accompagnée de perte de poids. Sur le plan conceptuel, il permettait d'aborder un type de tumeur extérieure à la sphère gastro-intestinale et où la masse tumorale était faible ; la mobilité des animaux était ainsi préservée. Le second modèle, très cachectisant, était le fruit de la transplantation sous-cutanée de cellules cancéreuses du côlon au niveau de l'épaule.En analysant sa composition par séquençage à haut débit, les chercheurs ont observé, en 2013, que le microbiote intestinal présentait, dans les deux modèles expérimentaux, une signature bactérienne commune, distincte de celle relevée chez les souris contrôles. En particulier, le nombre de bactéries de la famille des lactobacilles était diminué, tandis que celui des entérobactéries avait crû1. Dans un deuxième temps, Laure Bindels et ses collaborateurs ont réussi à restaurer le taux de lactobacilles en administrant des souches sélectionnées aux souris leucémiques cachectiques, avec pour résultat une réduction de certaines altérations associées à la perte de poids : inflammation systémique, atrophie musculaire2.Un prébiotique a également été testé : le dérivé à courte chaîne de l'inuline, fibre soluble extraite de la racine de chicorée. La production bactérienne de propionate engendrée par la fermentation de ce dérivé dans l'intestin a réduit l'accumulation de cellules leucémiques dans le foie3. " Ensuite, nous avons publié en 2016 un article portant sur une approche synbiotique consistant à combiner l'administration de lactobacilles et du dérivé de l'inuline. Cette approche s'est traduite par une baisse de l'accumulation de cellules leucémiques dans le foie ainsi que par la diminution de l'atrophie musculaire (donc de la cachexie) et de la morbidité et, in fine, à une augmentation de la survie des animaux4 ", relate Laure Bindels. De surcroît, l'administration du synbiotique aux souris leucémiques cachectiques a restauré la fonction " barrière intestinale " dont une caractérisation moléculaire avait dévoilé des signes d'altérations dans les deux modèles de cachexie cancéreuse.Dans un article publié en 2018, les chercheurs de l'UCLouvain ont montré que l'interleukine 6 (IL6), donc l'inflammation, était le principal médiateur de l'altération de la fonction barrière et qu'elle contribuait à la dysbiose bactérienne. L'application de traitements classiques destinés à rétablir la fonction barrière - l'administration d'une bactérie anti-inflammatoire (Faecalibacterium prausnitzii) ou de teduglitide, un analogue du GLP-2 - s'est révélée inopérante chez les souris cachectiques5.À la lumière des données recueillies chez l'animal, une étude clinique baptisée MicroAML a été initiée en 2016 par Laure Bindels et ses collègues afin d'étudier la composition et l'activité du microbiote intestinal chez une trentaine de patients leucémiques, atteints ou non de cachexie. Les résultats sont attendus à la fin de l'année prochaine. " Cette étude exploratoire représente une première étape avant d'envisager une étude d'intervention avec des prébiotiques et/ou des probiotiques ", précise la chercheuse dont, à terme, le but ultime est " la formulation de conseils nutritionnels basés sur des preuves scientifiques et le développement de nouveaux outils thérapeutiques à l'intention de patients cancéreux cachectiques".