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Depuis son diagnostic, en 2016, il a dépassé de loin son pronostic d'un an et a décrit son difficile parcours dans le livre Echte dokters huilen ook ("Les vrais médecins pleurent aussi"). Quand avez-vous appris que vous aviez un cancer? J'avais une petite toux, depuis 6 mois, qui ne disparaissait pas. Puis, j'ai eu une infection pulmonaire, qui ne guérissait pas non plus malgré les antibiotiques. J'ai alors consulté un pneumologue, car je suspectais un cancer du poumon. En janvier 2016, j'ai demandé à passer un scanner et j'ai pu voir les images immédiatement: une très grosse tumeur dans le lobe pulmonaire gauche et des métastases. Comme à l'époque, je voyais chaque jour des patients atteints d'un cancer du poumon, j'ai tout de suite connu mon pronostic: une petite année. En tant que spécialiste du cancer, comment avez-vous réagi en découvrant ces images? C'était irréel. Et ça l'est encore. Je me suis dit: " Ah, c'est ça, avoir un cancer"... Mais j'ai abordé la situation de manière très professionnelle et je n'ai pas fait part de mes émotions à ma famille ni à mes amis. Je ne savais pas, et je ne sais toujours pas vraiment, comment être un patient. Que devais-je faire? Comment dois-je en parler avec mon médecin? Je connaissais tous mes médecins, ils étaient des confrères. Je travaillais en effet alors dans un hôpital spécialisé en oncologie (ndlr: Hôpital Antoni van Leeuwenhoek, Amsterdam). Je ne savais pas non plus quoi faire de ma vie, ni comment gérer mes symptômes. Quel traitement vous a été proposé et avez-vous eu votre mot à dire dans ce choix? L'avantage, dans mon travail, c'est que j'ai pu voir rapidement le pneumologue, avec lequel j'étais régulièrement en contact pour le traitement de ses patients. La biopsie a révélé que j'avais un cancer du poumon avec mutation de l'EGFR, traitable par des inhibiteurs de tyrosine kinase. Mes options thérapeutiques étaient limitées, mais outre l'efficacité du traitement, je voulais une qualité de vie, pouvoir continuer à vivre aussi normalement que possible. Pendant un peu plus d'un an, j'ai pris de l'erlotinib, qui a été très efficace pendant un moment. Le cancer était devenu opérable, mais après l'intervention, il est réapparu. En 2018, j'ai été irradié 24 fois et je suis passé à l'osimertinib. J'en prends encore aujourd'hui et cinq ans et demi se sont écoulés depuis. Mais le cancer recommence malgré tout lentement à croître... Souffrez-vous (ou avez-vous souffert) de beaucoup d'effets indésirables et comment les gérez-vous? J'ai perdu un moment ma voix. On pensait que c'était à cause du cancer, mais ce n'était pas le cas. La radiothérapie m'a pendant très longtemps fatigué. J'étais également essoufflé, car j'ai développé une sorte de complication qui a rendu mon tissu pulmonaire plus dense que la normale. Les médicaments par voie orale ont provoqué de la fatigue, mais aussi des problèmes cutanés et des diarrhées. Il est très difficile de parler des effets indésirables à quelqu'un. Qu'est-ce que les gens en ont à faire? J'ai donc gardé cela pour moi. Je me suis également efforcé de "me cacher" au maximum la maladie et ses effets indésirables, afin de pouvoir mener une vie aussi normale que possible. Mais c'est lourd, bien entendu, et être malade vous isole. Aujourd'hui, je me préoccupe plus de ma maladie et de ses effets indésirables. Avez-vous recherché un accompagnement psychologique? Non. Et l'hôpital ne l'a pas proposé non plus. Les hôpitaux pensent peut-être que lorsque les médecins tombent malades, ils sont les mieux placés pour gérer la situation. Ou ils ne savent peut-être pas comment accompagner un médecin malade... En revanche, un coach professionnel, que je voyais déjà avant d'être malade, m'a vraiment aidé et mes instructeurs sportifs m'ont été d'un grand soutien. Mes amis et ma famille m'ont bien entendu aussi énormément entouré, me donnant beaucoup de soutien et d'amour. Mon fils était âgé de 17 ans quand j'ai appris mon diagnostic. Il m'a accompagné plusieurs fois chez le pneumologue et a ainsi pu poser des questions. Désormais, il étudie aussi la médecine. Mais je ne veux pas trop le solliciter. Je suis extrêmement fier de lui. Je parle un peu de mes incertitudes et de ma tristesse à mes amis. Quand j'apprends une mauvaise nouvelle, je souhaite connaître le plan de traitement avant d'en informer mes proches... Mais jusqu'à présent, mes amis viennent boire un verre à la maison chaque semaine. (rire)Toutefois, dans la maladie, vous êtes seul. Je sais que même si je me sens bien aujourd'hui, tout peut basculer du jour au lendemain. Et que ça peut même aller très vite. La situation devient toujours plus terrifiante. Je dois passer un scanner tous les trois mois, c'est effrayant. Avez-vous dû adapter certains aspects de votre vie à cause de la maladie? J'ai continué à travailler à temps plein, sauf au début du traitement médicamenteux, pour m'y habituer, et après l'opération. Je l'ai fait parce que j'estimais que cela ne devait pas m'empêcher de travailler, mais je ne savais pas non plus quoi faire d'autre. Depuis cette année, je ne travaille plus que quelques jours par semaine, à l'UMC Utrecht. J'aime cela, mais j'aime aussi ne rien faire, parfois. Ou faire du sport. (rire) J'ai pratiqué intensivement toutes sortes de sports et j'ai fait des régimes, pour que mon corps reste fort plutôt que pour prévenir le cancer grâce à un certain type d'alimentation. Je continue à limiter les glucides et je me sens bien comme ça. J'ai toutefois découvert que faire beaucoup de sport est la meilleure manière d'apprendre à gérer ma maladie. Écrire aussi a eu des vertus thérapeutiques. C'est ainsi que Echte dokters huilen ook, publié en 2018, a vu le jour. C'est un livre agréable à lire, sur un sujet difficile. Et bien que je ne puisse plus travailler ou pratiquer du sport à fond, je profite encore énormément de la vie ; ma qualité de vie est très acceptable. Mais ce lent déclin est pénible. Vous vous demandez toujours si vous vous sentez plus mal parce que vous avez vieilli d'un an ou parce que vous êtes malade... Je coache aussi de temps en temps, généralement des médecins afin qu'ils puissent gérer les facteurs de stress et le burn-out, entre autres. J'ai commencé ma formation de coach l'année dernière, au début pour aider les patients cancéreux, mais j'ai découvert que mes confrères en avaient parfois beaucoup plus besoin. Nous, les médecins, nous oublions parfois l'être humain derrière le patient et sommes très techniques. Je pense qu'une partie du stress des médecins provient de toutes sortes d'autres tâches à exécuter: une foule de directives et de lois font qu'il est de plus en plus difficile d'être véritablement un "médecin". Les médecins deviennent souvent des sortes de managers, avec beaucoup de travail administratif et peu de contacts avec les patients. Or, nous avons choisi cette profession pour aider les gens. Nous sommes soumis à une telle pression que nous en sommes réduits à un rôle de technicien: la personne derrière le patient a depuis longtemps disparu, sans laisser de traces, comme par magie. Ce parcours vous a-t-il appris quelque chose que vous souhaitez faire connaître à nos lecteurs? Ce qui m'a frappé, c'est à quel point nous nous rendons peu compte de l'impact sur le patient de nos actes routiniers en tant que médecins. Nous réalisons plusieurs dizaines de biopsies pulmonaires chaque mois et expliquons systématiquement aux patients qu'ils vont être anesthésiés, que nous allons prélever un fragment de leur poumon, mais aussi qu'ils risquent de développer un pneumothorax ou une hémorragie importante. J'ai dû passer par là moi aussi, et j'ai trouvé cela horrible. Je suis désormais parfaitement conscient de l'impact sur le patient. En outre, je suis devenu allergique aux médecins qui m'ont dit qu'ils me comprenaient quand je me sentais mal. Ou qui m'ont dit "J'ai de la peine pour vous": leur empathie n'était pas du tout agréable pour moi. Ils ne peuvent pas savoir par quelles épreuves passent les patients. J'ai alors arrêté de me comporter ainsi avec mes propres patients. Je pense qu'il faut être sincère avec eux. Je préfère un médecin qui me dit honnêtement "Je ne sais pas ce que vous ressentez, mais je vais tout faire pour vous aider du mieux possible", plutôt qu'un médecin qui reste vague et peu précis et avec lequel vous ne parcourrez pas un bout de chemin agréable. C'est pourquoi il est important de donner l'occasion aux patients de participer aux décisions concernant leur parcours dans la maladie.