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C'était il y a 15 à 16 ans. Le Pr Van Damme n'a pas pu nous donner l'année exacte. En effet, pour lui, le principal était de continuer à mener une vie normale. Depuis, ce chapitre fait partie du passé, même s'il reconnaît que cela lui a appris à relativiser davantage les choses et à profiter de chaque bon moment. Comment vous êtes-vous rendu compte que vous aviez un cancer? Tout à fait fortuitement: je devais avoir 46 ans à l'époque, et j'avais mal dans le bas du dos. J'ai consulté un collègue qui m'a dit que cela pouvait être une sorte de lombo-sciatalgie. Comme une vertèbre était sensible, on a décidé de faire un scanner, qui a montré un oedème vertébral. Le radiologue n'avait pas un bon pressentiment et a suggéré une biopsie osseuse de cette vertèbre. Mon épouse, généraliste, n'était pas tranquille non plus. Dans de tels cas, je pense qu'il est très important d'être bien encadré par des personnes qui communiquent ouvertement et honnêtement, et qui demandent d'emblée des examens complémentaires. Car quelques jours plus tard, la mauvaise nouvelle est tombée... Quel traitement vous a-t-on proposé, et avez-vous eu un regard critique? En fait, à l'époque, je faisais de la recherche scientifique à temps plein. Je connaissais le médecin qui me traitait, et il m'a immédiatement dit qu'il voulait un deuxième avis, car on ne savait pas grand-chose sur le traitement d'un lymphome non hodgkinien au niveau vertébral. J'ai trouvé cela si convaincant que je n'ai pas été tenté de consulter un autre médecin.Je lui ai fait confiance et m'en suis remis à lui. À ce moment-là, je voulais juste être un patient, pas un médecin. Je ne voulais pas avoir mon mot à dire sur mon traitement. Il m'a expliqué qu'il me traiterait selon les recommandations pour les autres localisations classiques du lymphome non hodgkinien, ce que j'ai parfaitement compris. J'ai alors très consciemment fait le choix de mettre mon sort entre les mains d'un expert, qui s'y connaît mieux que moi et qui suit toute la littérature. C'était mon droit, selon moi. J'ai donc suivi sans discuter les conseils de mon médecin. Seules deux choses m'intéressaient: mes chances de guérison, et si je pouvais continuer à travailler ( rires). En fin de compte, j'ai reçu six cures de chimiothérapie suivies de radiothérapie, tout en continuant à travailler à temps plein. Comment avez-vous vécu ce double traitement? Les effets indésirables empiraient à chaque cure. J'ai perdu mes cheveux, j'avais des picotements dans les doigts et les pieds, des nausées et des vomissements mais, pour moi, continuer à travailler faisait en quelque sorte partie du processus de guérison. J'ai dû me concentrer là-dessus pour mieux supporter la chimiothérapie. Par le plus grand des hasards, le traitement a coïncidé avec mon module d'enseignement, et les cours ont donc continué. J'en garde un très bon souvenir, j'ai été clair avec mes élèves: je leur ai dit que je devais subir de la radiothérapie pendant 25 jours et que les horaires changeraient chaque jour. Les cours seraient donc maintenus, mais avec des interruptions de temps en temps, après lesquelles je revenais terminer le cours. Ils avaient le choix de partir ou de faire une pause et de revenir pour le reste du cours. Ainsi, je les ai un peu responsabilisés, mais ils ont vraiment apprécié ma transparence. Et je dois dire que j'ai toujours une relation fantastique avec ces étudiants (maintenant diplômés) ( rires). Ce que j'ai aussi remarqué durant mon parcours "maladie-travail" et dont je suis maintenant convaincu, c'est que le training autogène permet de mieux gérer certains effets indésirables, comme les nausées. Ainsi, je me souviens qu'après ma 5e ou 6e cure, alors que j'étais déjà très malade à cause du traitement, je devais absolument prendre l'avion pour signer un contrat pour un doctorant. Pendant la chimiothérapie, j'ai demandé à l'infirmière de s'assurer que la perfusion coulait assez vite. Elle a probablement pensé que j'étais fou ( rires) mais, pour moi, c'était capital d'attraper cet avion. Pendant le trajet jusqu'à l'aéroport, je n'ai pas eu de nausées mais, une fois dans l'avion, je n'ai plus pu y échapper. Il m'est arrivé à plusieurs reprises de parvenir à "chasser" les nausées et les vomissements en me distrayant suffisamment, jusqu'au moment où je n'avais plus besoin de me retenir. Vous n'avez pas souffert de fatigue (intense)? Bien sûr que si. Quand je rentrais à la maison, la première chose que je faisais était d'aller me coucher pendant 1 heure. Nos trois enfants le savaient, et ils me laissaient tranquille. Je ne pouvais plus faire de sport, c'était trop fatigant. J'avais moins de force. J'ai également perdu 10 kg sur la durée du traitement. Mais ce qui fut très étrange pour moi, c'est que ma mémoire s'était détériorée alors qu'auparavant, j'avais une mémoire incroyable. Dans ma vie professionnelle, je dois beaucoup me concentrer et continuer à mémoriser des tas de choses. Je dois préparer deux fois plus les réunions (ou plutôt les téléconférences, maintenant). Je sens quand je suis à la limite de la quantité d'informations que je peux absorber. Si je veux dépasser cette limite, c'est éreintant. Je pense qu'on n'insiste pas assez sur les répercussions de la chimio sur le cerveau, et qu'elles sont largement sous-estimées. Vous ne pouvez pas nous indiquer l'année exacte où vous êtes tombé malade, ni le stade de votre maladie. Avez-vous (consciemment) refoulé cette période? En effet, je dois demander tout cela à mon épouse car, en tant que généraliste, elle a également accès à mon dossier médical. Je pense que si je l'ai "refoulé", ce n'est pas parce que je trouvais que c'était secondaire, mais plutôt parce que j'ai continué à tout faire normalement. Je ne peux même pas retrouver cette période dans mon curriculum, car il n'y a eu aucune interruption ( rires). Bien sûr, toutes les histoires de cancer ne se ressemblent pas, mais pour moi, la meilleure façon de m'en sortir a été de continuer à avancer malgré la difficulté. Et avant qu'on n'ait le temps de s'en rendre compte, la nouvelle année académique débute... Bien sûr, après cela, il y a les contrôles périodiques, où vous vous entendez dire qu'on ne sait pas vraiment ce qu'il faut surveiller chez vous, car le suivi n'est pas si évident. Il est peut-être préférable de ne pas faire de bodyscan chaque année, et mes prises de sang étaient également muettes pendant la maladie. Concernant le suivi, j'ai remarqué que, chaque fois que je devais passer un PET scan, cela redevenait stressant et "réel": c'était très étrange, car je continuais à vivre "comme si de rien n'était" mais, les jours qui précédaient et qui suivaient un tel examen, la réalité me rattrapait. On sait que les pourcentages de récidive sont de l'ordre de 10 à 20%, et c'est un paramètre qu'il faut apprendre à gérer. De même, dès qu'on remarque un ganglion quelque part, on imagine tout de suite le pire. Heureusement, j'ai une épouse qui est très rationnelle et qui me rassure directement. Cette expérience a-t-elle modifié votre regard sur la médecine et sur la vie en général? Mon regard sur la médecine a changé, dans le sens où j'ai pris conscience qu'elle peut faire beaucoup de choses. À l'époque, ma profession était entièrement axée sur la prévention, et non sur la guérison, et on est à la fois surpris et heureux qu'il existe un traitement. Cela n'aurait peut-être pas été possible 10 ans plus tôt. En ce qui concerne ma vision de la vie, j'ai certainement appris une chose. Dans une certaine mesure, vous vous dites que vos heures ou vos années sont comptées, surtout si vous venez de commencer le traitement. Je suis donc devenu très sélectif par rapport aux personnes que je voulais voir ou non. Je ne dirais pas que c'est toujours le cas maintenant, mais je gère mon temps libre différemment et je chéris beaucoup ces moments. J'ai aussi commencé à relativiser davantage. On établit de nouvelles priorités, et beaucoup de choses deviennent anodines. Je pense que mon épouse a également tenu le coup grâce au fait que je n'avais pas perdu mon sens de l'humour et que je relativisais. Qu'aimeriez-vous encore dire à nos lecteurs? Je pense qu'il est important que les patients cancéreux n'affrontent pas seuls leur traitement. Outre le volet curatif, l'hôpital et la médecine générale pourraient peut-être y accorder un peu plus d'attention. Les personnes qui doivent affronter un tel parcours devraient pouvoir compter sur un certain encadrement. Il faudrait toujours leur demander si elles ont une personne sur qui compter et, dans la négative, chercher une solution, ne serait-ce que par le contact avec d'autres personnes souffrant de la même maladie. En outre, lors de l'annonce de mauvaises nouvelles, il est important d'être attentif à ce qui se cache derrière les questions du patient. La transparence dès le départ est fondamentale, comme je l'ai vécu en tant que médecin généraliste dans les années 1980, avec les premiers patients atteints du VIH à Anvers. De bonnes capacités de communication sont essentielles pour établir une relation de confiance avec le patient, non seulement de la part des médecins, mais aussi des pharmaciens, par exemple. La formation y accorde de plus en plus d'importance: il faut vérifier si le patient a compris la conversation. Et maintenant, avec cette pandémie, je vois à quel point la communication est cruciale et ce que les gens en retiennent, car un message peut facilement être compris différemment. Enfin, je pense aussi qu'il est capital, pour le processus de guérison, de continuer à mener une vie la plus normale possible et de se sentir utile, de garder une certaine régularité dans la vie. À cet égard, il ne faut pas sous-estimer l'importance de conserver ou de développer son sens de l'humour et du recul.