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Il nous parle de cette très lourde épreuve encore récente, causée par une prostatectomie radicale. C'est ainsi qu'il a passé 423 jours "confiné" à la suite d'une forme grave d'incontinence urinaire. Maintenant de nouveau "continent", c'est avec franchise que Rudy nous raconte ces expériences, dans son livre " Kankeren". Comment avez-vous découvert que vous étiez atteint du cancer de la prostate? Purement par hasard, à vrai dire. J'ai pris ma retraite en octobre 2018. Quelques mois plus tard, j'ai eu l'idée d'aller faire un check-up de santé complet. À l'occasion de mon examen sanguin, j'ai demandé un contrôle de mon taux de PSA, même si je n'étais pas un patient à risque. Et heureusement, car le résultat n'était pas réjouissant. Rien n'apparaissait sur l'échographie, mais après avoir hésité quelque temps, j'ai accepté de passer un scanner. On a alors détecté une masse de la taille d'un grain de riz et la biopsie l'a confirmé: j'avais un cancer de la prostate. Entre-temps, près de six mois avaient passé. En tant que médecin, comment avez-vous pris la nouvelle? Ce fut très dur. On m'a dit alors qu'il s'agissait d'un Gleason 8. Dans ces moments-là, on vous envoie toutes sortes d'informations à la figure en l'espace de quelques minutes, sur les traitements possibles, plus effrayants les uns que les autres, sur leurs effets secondaires et les moyens de les traiter. Mais je n'enregistrais rien, le sol s'était dérobé sous moi. Tout ce que je parvenais à penser, c'était "j'ai le cancer". Médecin ou non, chacun vit la nouvelle de la même manière. Ensuite, j'ai immédiatement recherché un maximum d'informations, car je n'avais pas encore pu les assimiler lors de l'entretien d'annonce de la mauvaise nouvelle. Ce n'est qu'après que l'on réalise ce qui arrive. C'est pourquoi je trouve dommage qu'il soit impossible de discuter encore une fois de ces informations, éventuellement avec l'assistance d'un infirmier ou d'un psychologue, histoire de passer de nouveau en revue ce à quoi je pouvais m'attendre, ce que j'avais ou non des raisons de redouter. À ce moment-là, des tas de choses vous passent par la tête. Quel(s) traitement(s) avez-vous reçu(s)? Après la COM, seule la prostatectomie m'a été proposée, à titre curatif. Et c'est en fait toujours le cas aujourd'hui, un an et demi après l'opération. Sans compter qu'on s'est rendu compte après l'intervention qu'il s'agissait en réalité d'un Gleason 9 (grade 5). À l'automne 2019, je suis donc passé sur le billard et l'opération s'est déroulée sans le moindre accroc. C'est après l'intervention que ma traversée du désert a commencé: j'ai immédiatement souffert d'incontinence urinaire (liée au stress), à un degré auquel je n'étais pas préparé. On ne m'avait rien dit de ce qui m'attendait, ni fourni aucun matériel informatif sur l'incontinence en général. L'infirmier censé venir me donner des conseils ne s'est pas montré. Je l'ai attendu pendant 3 heures. Finalement, c'est une autre personne, très amicale au demeurant, qui est venue me donner des informations sur le remboursement, mais ces renseignements se sont avérés tout à fait erronés. Ensuite, ils m'ont renvoyé chez moi, avec une espèce de bande hygiénique pour me garder au sec en route, mais elle n'a servi à rien. J'ai trouvé la façon dont ils m'ont congédié vraiment effrayante. Chez le pharmacien, je n'avais pas la moindre idée du type de matériel dont j'avais besoin pour mon incontinence urinaire. Heureusement, la mediotheek (centre de vente et de prêt de matériel de soin médical, NDT) m'a aidé en me fournissant des échantillons. En fin de compte, j'ai dû chercher seul les informations sur l'incontinence, et j'ai découvert que c'était le cas de beaucoup de mes compagnons d'infortune. Pourquoi le système est-il si médiocre? Avez-vous bénéficié d'un suivi quelconque par la suite? Absolument aucun. Juste après l'opération, j'ai commencé à perdre du sang par l'urètre. Sans doute un vaisseau qui avait éclaté, mais sur le moment, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait et j'étais inquiet. J'ai alors appelé le numéro de téléphone qui m'avait été donné, mais mon interlocuteur m'a répondu sèchement de ne pas appeler ce numéro. Je ne pouvais joindre personne d'autre, car c'était le week-end, et aux urgences, le stagiaire en savait autant que moi sur l'urologie. J'étais désespéré alors je me suis tourné vers Internet. Moi qui l'avais toujours déconseillé à mes patients, j'étais content d'avoir "Dr Google" sous la main. (rire)Ce que je n'ai pas apprécié non plus, c'est qu'un seul entretien de suivi n'est prévu après l'opération. Bien sûr, en tant que médecin, je peux contrôler mon PSA moi-même, mais si j'ai d'autres questions? C'est pourquoi, trois mois plus tard, j'y suis retourné de ma propre initiative. Qui plus est, étant mon propre médecin traitant, je me faisais envoyer chaque rapport. Lorsque j'ai expliqué lors de la consultation à quel point mon incontinence me pesait, on m'a étiqueté sur le rapport comme "patient démoralisé". Ce qui ne m'a pas particulièrement ravi non plus... Vous avez énormément souffert de cette incontinence urinaire. Comment cela a-t-il influencé votre vie? Je n'étais jamais sec. Je ne pouvais tout simplement pas me retenir. C'était comme ça, jour après jour. Même trois couches de Pampers ne suffisaient pas. Je ne pouvais plus sortir. Mon incontinence m'a contraint à un confinement de 423 jours. J'ai dû ranger tous les tapis de la maison et protéger les meubles. Je n'en voyais pas le bout... Le pire était que je n'osais même plus serrer mon partenaire dans mes bras. Nous sommes ensemble depuis 42 ans. Dans une situation pareille, vous n'avez même plus de vie sexuelle! Mais il s'est magnifiquement occupé de moi, alors que ce n'était sans doute pas facile pour lui non plus. Vous avez vraiment parlé de cette épreuve avec sincérité, et vous en avez même fait un livre. Peu d'hommes oseraient en faire autant. Cette opération est aussi pénible pour un homme qu'une mastectomie l'est pour une femme. Vous vous sentez attaqué dans votre masculinité et votre virilité, et c'est quelque chose dont on ne parle pas. En tant que médecin traitant, j'ai vu défiler les patients atteints d'un cancer de la prostate, et j'ai toujours été très franc envers eux. Mais à présent, je trouve incroyable que l'on n'ait jamais évoqué les séquelles d'une prostatectomie. C'est un tabou même entre patients. Mais dans mon livre " Kankeren", je décris absolument tout, avec la touche d'humour qui s'impose, il est vrai. Ma devise, ce serait donc ce vers d'Horace: dulce est desipere in loco. Il est bon de faire l'idiot quand c'est approprié. (rire)Quels traitements avez-vous subi pour votre incontinence urinaire? J'ai d'abord entamé une physiothérapie du plancher pelvien, avec beaucoup de conviction. Un an de traitement est nécessaire pour obtenir un remboursement d'un sphincter artificiel. Or, je n'ai jamais trouvé de preuve scientifique de l'efficacité de cette thérapie: je ne constatais aucune amélioration. D'autres patients m'ont même confié qu'ils se sentaient culpabilisés lorsqu'ils n'obtenaient pas de résultats, alors qu'ils s'exerçaient assidument. Pour ma part, j'ai suivi 109 séances, qui ont fini par ne plus être remboursées. Les Pampers m'ont aussi coûté très cher. Au total, j'ai dépensé 3300 ? en matériel contre l'incontinence, pour un remboursement de seulement 146 ?. Il y avait tout de même une lumière au bout du tunnel: le sphincter artificiel. Oui, et encore, il n'était même pas sûr qu'il ferait une différence. À un moment, je me suis même demandé: "Est-ce que je vais rester incontinent toute ma vie, et ne plus pouvoir aller nulle part? Est-ce que j'arriverais à le supporter?" Car ce n'est pas une vie. Pour mon compagnon aussi, ce fut très dur. Mais j'ai résisté à ce genre de pensées. Il faut dire aussi que j'ai toujours été entouré de personnes qui m'ont énormément soutenu. Finalement, j'ai franchi le pas et pris rendez-vous pour discuter de la pose d'un sphincter artificiel dans un autre service. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, j'ai constaté que les services ne communiquent pas entre eux! À la clinique de traitement de la prostate, ils m'ont conseillé d'attendre encore avant de prendre rendez-vous, ce qui prouve qu'ils n'étaient même pas au courant de mon rendez-vous dans l'autre service. Pour l'opération, j'ai choisi moi-même une "autorité" dans le domaine. En Belgique, il existe 103 cliniques compétentes pour ce type d'intervention, pour un total d'environ 250 opérations par an, m'a-t-on dit. Des chiffres impossibles à vérifier, par ailleurs. Mais si je monte dans un Boeing 747 et que le commandant de bord me dit qu'il n'a piloté qu'une seule fois dans sa vie, je préfère redescendre. (rire)J'ai consulté deux chirurgiens, qui m'ont chacun donné des chiffres différents sur le nombre d'opérations annuelles et sur leurs chances de réussite. Finalement, je suis allé voir dans The Lancet: 50% de taux de réussite. Pile ou face. C'est pourquoi je voulais un médecin très expérimenté. J'ai trouvé un homme plein d'empathie, qui a pris le temps de me rassurer juste avant l'opération. Depuis, on pourrait même dire qu'il est devenu un ami. Est-ce que l'intervention vous a aidé? Depuis le 2 novembre 2020, je suis sorti du confinement urinaire. (Rire) Je suis sec et je n'éprouve plus aucun désagrément. Impossible de décrire le sentiment éprouvé lorsque l'on peut enfin se lever de table sans se faire dessus, après 423 jours. Lorsqu'ils ont mis le sphincter artificiel "en service", 6 semaines après l'opération, mon compagnon m'attendait dehors. Ce que j'ai ressenti, la sensation qui m'a traversé quand j'ai enfin pu le prendre dans mes bras sans me mouiller, c'est absolument indescriptible! Maintenant, j'ai hâte de pouvoir me remettre à voyager, quand le confinement du coronavirus sera levé. (rire)Cette expérience a-t-elle changé votre regard sur la médecine et pensez-vous qu'il soit possible d'améliorer les choses? Elle a certainement influencé ma vision. Quand on est de l'autre côté de la barrière, on appréhende la situation différemment. Si je recevais encore des patients aujourd'hui, je leur poserais des questions très ciblées sur cette incontinence. Je ne l'ai pas fait à l'époque, car j'ignorais tout cela. Les hommes n'en parlent pas. Mais quand je me suis mis à souffrir moi-même d'incontinence urinaire, j'ai commencé à prévenir les gens, et les langues se sont déliées. Pouvoir en parler est déjà rassurant, pour pouvoir se préparer un peu mieux psychologiquement. Qui plus est, le patient se sent énormément soutenu lorsque son médecin lui demande comment il va, au lieu de prétendre comprendre ce qu'il traverse. On n'attend pas d'un médecin qu'il sache tout, mais parfois il vaut mieux se taire plutôt que de servir toute cette rhétorique creuse que nous, médecins, utilisons souvent. Le contact non verbal véhicule beaucoup plus d'empathie, car nous ne savons pas ce que c'est tant que nous n'en avons pas souffert nous-mêmes. Il serait bon également d'améliorer la façon dont on traite les résultats d'un examen, aussi bien en ce qui concerne l'attente que l'approche. Je me pensais capable de supporter l'attente (interminable) entre le scan et l'annonce du résultat, mais je n'ai pas pu. J'étais si angoissé que j'en aurais grimpé aux murs! Finalement, j'ai décidé de crever l'abcès et je suis allé voir un collègue pour connaître le résultat, ce que vous avez le droit de faire en tant que médecin. Et que le résultat soit bon ou mauvais, il est important de le dire sans détours, car cela enlève immédiatement la tension. C'est aussi une chose que je ne faisais pas lorsque j'étais actif. À moins d'être sûr à 100%, je ne disais rien. Mais cette attente est terrifiante. Et en parlant d'attente... Au service de médecine nucléaire, ils prennent leur temps. En tout cas avec moi, mais apparemment, c'est comme cela pour tout le monde. Je comprends qu'il y ait des couacs de temps en temps, mais pas à chaque fois, tout de même? Vous restez assis là à attendre pendant des heures, au milieu de gens occupés à mourir ou à attendre la mort. Vous commencez donc à vous inquiéter, vous vous dites "c'est mauvais signe". Et pour terminer, le patient gagnerait à être mieux traité lors de l'entretien où il reçoit la nouvelle. Un autre patient m'a raconté que juste après avoir appris qu'il avait le cancer de la prostate, il a dû encaisser le mot "castration". Si vous n'avez toujours aucun tact après des années de formation académique, ne vaudrait-il pas mieux confier ce genre d'annonce à du personnel formé en psychologie? Je reste convaincu de l'efficacité des soins médicaux en Belgique. Les interventions chirurgicales, par exemple, sont très au point techniquement. Mais il faut savoir prendre les gens en charge. Et pas seulement le patient, mais aussi son partenaire. Malheureusement, il est souvent abandonné à son sort.