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Quand votre cancer a-t-il été constaté pour la première fois? Dr Kristine Rommens: À l'automne 2014, j'ai senti un petit nodule dans mon sein droit. Or, quelques mois auparavant, on m'avait ponctionné deux kystes bénins, dont l'un se trouvait à cet endroit. Comme le radiologue m'avait avertie que les kystes reviendraient certainement, j'ai supposé que ce petit nodule était de nouveau un kyste, et je n'y ai guère prêté attention. J'étais également très occupée à l'époque, car j'étais en dernière année de master en épidémiologie. Ce n'est qu'après mes examens, en juin 2015, quand j'ai eu un peu de temps, que j'ai pris rendez-vous chez le radiologue. Entre-temps, le nodule avait assez bien grossi. C'est immédiatement après l'échographie que j'ai appris la mauvaise nouvelle... ça m'a vraiment fait l'effet d'une douche froide. En tant que médecin, avez-vous été traitée différemment? Oui, en tant que médecin, on bénéficie d'une sorte de "traitement de faveur". Le radiologue m'a immédiatement annoncé le diagnostic, directement suivi d'une mammographie et, quelques heures plus tard, j'étais déjà dans le bureau du chirurgien. On a le sentiment qu'ils se soucient vraiment de nous et qu'ils font le maximum. Quel traitement vous a-t-on proposé, et avez-vous eu un regard critique? Après le diagnostic, j'ai passé des heures devant mon ordinateur, à éplucher la littérature médicale. Ma formation complémentaire d'épidémiologiste avec une spécialisation en épidémiologie génétique m'a beaucoup aidée à comprendre les articles. Bien sûr, cela ne faisait pas de moi la patiente la plus facile et je n'ai jamais complètement renoncé au contrôle, peut-être au grand dam de certains. ( rires) La tumeur mesurant déjà 3,5 cm, ils n'ont pas opté pour une chirurgie conservatrice, mais bien une mastectomie. Ma demande de mastectomie d'épargne cutanée (peau et mamelon), en vue d'une reconstruction ultérieure, a été rejetée. Rétrospectivement, je me dis que j'aurais dû demander l'avis d'un chirurgien plasticien mais, à ce moment, j'étais déjà contente d'être prise en charge si vite... J'ai subi une mastectomie radicale, en pensant que le tour serait joué: le ganglion sentinelle était en effet négatif. Mais malgré cela, une chimiothérapie, une radiothérapie et un traitement hormonal pendant au moins 5 ans étaient préconisés. Mon mari et moi avons failli tomber de nos chaises quand nous avons entendu cela. Pour moi, c'était tout à fait contraire à la logique. J'ai alors demandé un deuxième avis à un autre oncologue. Selon lui, étant donné mon stade et la taille de la tumeur, nous devions partir du principe que le cancer s'était propagé et qu'il y aurait des cellules tumorales dans le sang. Comme une biopsie liquide n'était pratiquée que dans le cadre d'une étude clinique, j'ai contacté un laboratoire à Amsterdam de ma propre initiative, et j'ai pris les dispositions pour qu'ils effectuent un test MammaPrint sur la pièce chirurgicale. Cela a montré que j'avais une tumeur à croissance lente et que la chimiothérapie aurait peu d'impact sur le pronostic de ma tumeur. Selon eux, j'avais un très bon pronostic mais, comme les marges saines n'étaient que de 1 mm, j'ai néanmoins accepté la radiothérapie. Malheureusement, personne ne m'a dit à l'époque qu'une reconstruction mammaire avec une prothèse ne serait plus jamais possible. J'ai refusé le traitement hormonal, en partie à cause du résultat du MammaPrint, mais aussi parce que j'ai toujours été très sensible aux fluctuations hormonales par le passé. Comment avez-vous vécu le traitement? Pendant mon séjour à l'hôpital, j'ai été bien prise en charge par l'infirmière spécialisée en sénologie, qui m'a beaucoup soutenue. Je connaissais l'immense impact émotionnel de la mastectomie ; on s'y prépare un peu en s'informant. En tant que femme, je me suis sentie mutilée et il a fallu beaucoup de temps avant que je puisse à nouveau me regarder dans le miroir. Heureusement, j'ai toujours pu compter sur le soutien de mon mari. Toutefois, je n'avais pas été préparée à l'impact physique de l'opération. Il m'a fallu beaucoup de temps avant de pouvoir à nouveau utiliser mon bras droit normalement. J'ai aussi eu des douleurs quotidiennes pendant au moins deux ans, et les démangeaisons fantômes étaient très gênantes. Durant les séances, j'ai bien supporté la radiothérapie mais, après le traitement, j'ai souffert d'une grande fatigue pendant plusieurs mois. Et quelques années plus tard, vous avez rechuté... À l'automne 2018, une prise de sang de routine a montré une augmentation du marqueur tumoral. La réaction a de nouveau été immédiate: j'ai fait une IRM qui a révélé la présence d'oligométastases dans le foie. J'ai alors malheureusement dû me résoudre au traitement oncologique "standard", avec tous ses effets secondaires. J'ai reçu du ribociclib et un traitement hormonal à base de goséréline et de létrozole. Mais je n'en suis pas restée là: je me suis replongée dans la littérature médicale, et j'ai en grande partie repris les rênes... Initialement, l'oncologue avait proposé d'irradier éventuellement les métastases hépatiques mais, après quelques recherches, la microablation s'est avérée être une meilleure option, avec des chances de rémission définitive. J'ai alors contacté moi-même un chirurgien du foie dans un autre hôpital. Il était prêt à m'opérer, à condition que la plus grosse tumeur ne dépasse pas 3 cm. J'ai donc dû poursuivre le traitement, malgré les énormes effets indésirables. Après 7 mois, j'ai été opérée. Deux grosses métastases ont été enlevées avec succès mais, en peropératoire, il s'est avéré qu'il y avait 3 autres micrométastases, invisibles à l'échographie. Par la suite, avez-vous continué le traitement? Idéalement, j'aurais dû continuer, mais pour moi ce n'était pas envisageable. Je souffrais de neutropénie, et malgré la réduction de la dose de ribociclib, mon taux de globules blancs restait terriblement bas. Les bouffées de chaleur, ou hot flushes, qui se produisaient toutes les 20 minutes, même la nuit, étaient bien pires, entraînant un manque de sommeil chronique. Les médicaments utilisés pour les traiter ont à leur tour eu de nombreux effets secondaires inacceptables. J'avais aussi beaucoup de douleurs articulaires, qui s'aggravaient chaque mois. Mais c'est surtout le déclin cognitif qui a été horrible: à un moment, je n'étais même plus capable de conduire, tant j'étais peu concentrée. Certains jours, je refusais de sortir du lit. Avant l'opération, la seule chose qui me faisait tenir était qu'il y avait une lumière au bout du tunnel, et que je devais tenir bon pour ma famille. Mais après l'opération, je ne voulais plus de tout ça: je voulais une qualité de vie. Car un traitement hormonal n'est pas une partie de plaisir: il ralentit effectivement la croissance des cellules cancéreuses, mais à quel prix! Les effets indésirables du ribociclib avaient été minimisés, alors que leur toxicité a été importante dans mon cas. Une autre chose que je veux mentionner est la dysfonction sexuelle. Elle a un impact énorme sur soi et sur le couple, mais cet effet n'est pas suffisamment pris en compte. On vous conseille de dialoguer avec votre partenaire, alors qu'en réalité, on doit tirer définitivement un trait sur sa vie sexuelle... Avez-vous essayé d'autres choses, en plus des traitements proposés? Oui, je savais que ne rien faire n'était pas une option. J'avais déjà modifié mon alimentation, je me promenais tous les jours et, l'été, j'allais aussi nager. J'ai aussi fait de l'acupuncture chaque semaine, pratiqué le Qi gong et pris des suppléments (curcuma et Boswellia). Mais je savais que ce n'était pas suffisant. J'ai finalement trouvé un médecin spécialisé dans les traitements complémentaires du cancer. Il a ajusté mes suppléments et m'a prescrit des perfusions de vitamine C et des injections d'Helixor (extrait de gui). La vitamine C per os a un effet antioxydant, mais elle peut être donnée à de très fortes doses par voie intraveineuse, pour qu'elle agisse comme un pro-oxydant. Les cellules cancéreuses, en particulier, sont très sensibles aux dommages oxydatifs. En combinaison avec la chimiothérapie, elle a également un effet synergique. Sur les conseils de ce médecin, j'ai lu l'ouvrage de Jane McLelland ' How to starve cancer without starving yourself', dans lequel il est question de ' repurposed medication', qui tente d'attaquer le cancer par voie métabolique. J'ai donc sélectionné certains traitements, comme l'acide acétylsalicylique en alternance avec le célécoxib, le mébendazole, la doxycycline, la simvastatine, le dipyridamole et la metformine, et cela s'est incroyablement bien passé. Mon marqueur tumoral diminuait chaque mois en décembre 2019, l'IRM a mis en évidence la disparition d'une micrométastase la diminution des 2 autres. J'étais extrêmement optimiste et je pensais avoir gagné la bataille... Jusqu'en février 2020, lorsque le marqueur tumoral a recommencé à monter. En avril, l'IRM a montré non seulement des métastases hépatiques, mais aussi des métastases osseuses... À ce moment, notre pays faisait face au covid-19. Cela a-t-il eu un impact sur votre trajet de soins? Cela a évidemment apporté son lot de stress. Heureusement, l'IRM a pu avoir lieu en avril, mais le résultat m'a été communiqué par téléphone par le chirurgien hépatologue. Ce fut un choc, d'autant qu'il m'a dit qu'il n'y avait plus de raisons qu'il me suive. Il m'a suggéré de discuter de ma situation en COM. Les options proposées m'ont été communiquées par téléphone et de manière brutale ; cela a été très difficile pour moi. Malheureusement, il s'agissait de préparations hormonales ayant des effets secondaires similaires... no way! Comble de malchance, les consultations au service d'oncologie où j'avais été soignée auparavant n'étaient plus possibles. Heureusement, j'ai pu voir un oncologue dans un autre hôpital. À cause du coronavirus et du diagnostic, j'ai fini par arrêter de travailler. Je voulais me concentrer pleinement sur ma santé. L'impact de la crise du coronavirus sur ma vie personnelle est également double. D'une part, il est plus difficile pour moi de voir mes amis, mais d'autre part, mes enfants, qui sont normalement en kot, sont maintenant à la maison toute la journée. Mon mari travaille aussi principalement à la maison. C'est donc formidable que nous puissions être ensemble tous les jours. Quelle fut l'étape suivante? Après quelques recherches, j'ai contacté un Professeur aux Pays-Bas, qui travaillait sur une nouvelle préparation hormonale. Les études expérimentales montraient des résultats prometteurs et beaucoup moins d'effets secondaires. Physiquement, je me suis sentie très bien avec ce produit mais, malheureusement, il n'a pas permis de contrôler le cancer. Néanmoins, le marqueur tumoral augmentait à un rythme plus lent. En septembre 2020, une nouvelle IRM a montré une nouvelle expansion des métastases, qui affectaient désormais également les poumons et les ovaires. Entre-temps, j'avais arrêté les perfusions de vitamine C et les injections d'Helixor, et je ne prenais plus que de la metformine et du célécoxib en tant que ' repurposed medication'. Êtes-vous encore en traitement actuellement? Oui, depuis novembre 2020, je suis en traitement à Cologne. J'y reçois un traitement personnalisé avec la thérapie cellulaire dendritique, l'hyperthermie locale et totale du corps, ainsi que la virothérapie oncolytique. Sur base de mes analyses sanguines, je reçois également de l'ozone, entre autres choses. Toutes les trois semaines, je suis traitée pendant 5 jours consécutifs, et mes symptômes s'en trouvent considérablement améliorés. Ce que je ne savais pas auparavant, c'est que la chimiothérapie et la radiothérapie ne ciblent que les cellules qui se divisent rapidement, et non les cellules souches cancéreuses. La thérapie cellulaire dendritique le fait. Il est dommage que personne ne vous offre de telles connaissances et options, même si elles ne sont actuellement disponibles, en dehors du cadre d'une étude clinique, qu'à l'étranger. Je suis convaincue que si j'en avais bénéficié après la microablation, j'aurais eu de très grandes chances de m'en sortir. J'espère donc que tous les oncologues qui liront cet article ne priveront pas des patients comme moi de ce traitement. L'éternel argument est qu'il n'y a pas encore eu assez de recherches dans ce domaine, mais les patients n'ont pas le temps d'attendre. Et il s'agit d'un traitement non toxique avec des effets secondaires minimes... Du coup, avez-vous un autre regard sur la médecine, et qu'aimeriez-vous dire à nos lecteurs? Au cours des cinq dernières années, je me suis énormément documentée, et j'ai beaucoup appris. J'ai remarqué qu'il est extrêmement difficile pour les patients de séparer le bon grain de l'ivraie, et même quand on est médecin, c'est parfois difficile. J'ai constaté par moi-même que l'oncologie n'est pas du tout personnalisée en Belgique: tout le monde reçoit le même protocole. Pour le moment, un large éventail de traitements complémentaires qui pourraient améliorer considérablement la qualité de vie du patient, mais aussi l'efficacité du traitement du cancer, sont complètement sous-utilisés. Je plaide donc pour l'introduction de l'oncologie intégrative avec une prise en charge individualisée, incluant non seulement les traitements classiques, mais aussi des traitements complémentaires, car ceux-ci peuvent vraiment faire la différence. Idéalement, il faudrait établir un profil génétique et métabolique de chaque patient cancéreux, afin de pouvoir choisir le traitement qui offre le plus de chances de succès. Il intégrerait le traitement standard, ainsi que les ' repurposed medications' et les suppléments, qui ont également leur place. L'avantage est que leur sécurité est connue, qu'il y a peu d'effets secondaires par rapport aux traitements actuels, et qu'ils sont abordables. La Care Oncology Clinic de Londres mène actuellement une étude à grande échelle sur ce sujet. Dans le cas de la chimiothérapie, elle doit être administrée avec le moins de toxicité possible et avec une efficacité maximale. Actuellement, il existe des arguments très forts pour combiner la chimiothérapie avec un programme de remise en forme adapté et le jeûne. À cet égard, Valter Longo (professeur de gérontologie et de biologie cellulaire, ndlr) a spécialement mis au point un ' fasting mimicking diet'. L'établissement d'un plan de nutrition basé sur le profil métabolique est tout aussi important. Il n'existe pas d'approche universelle, et le patient doit être accompagné. Ce n'est pas encore le cas ; mais on peut entre-temps recommander à chaque patient cancéreux un régime alimentaire ' whole-foods, plant-based' à faible indice glycémique, avec le moins d'aliments transformés possible. Il faudrait former des diététiciens spécifiquement sur le sujet. En outre, chaque patient devrait se voir proposer un plan d'exercice physique. Marcher une demi-heure 3 fois par semaine, c'est insuffisant. Cette activité devrait être effectuée quotidiennement, en combinaison avec un entraînement musculaire 3 fois par semaine. Nous avons besoin de toute urgence de kinésithérapeutes spécialisés dans ce domaine. En outre, les patients devraient commencer ce programme dès le début de leur trajet de soins, et pas après, comme c'est actuellement le cas avec les programmes d'oncorevalidation disponibles. Le stress est un autre pilier qui n'est actuellement pas systématiquement abordé. Il peut être un facteur déclenchant très important dans le processus de la maladie, et doit être examiné individuellement. De plus, l'influence psychologique ne doit pas être sous-estimée. La ' mind-body medicine' est un outil important qui n'est pas encore utilisé. Ainsi, c'est le patient qui doit prendre l'initiative de parler à l'oncopsychologue, qui se contente en général d'écouter son histoire. Il existe pourtant des outils utiles, ainsi que des visualisations accompagnées sur Internet, comme les ' guided imagery and affirmations' de Kaiser Permanente, qui sont gratuites. Enfin, le soutien de la famille et l'influence des contacts sociaux sont extrêmement importants. Ces dernières années, j'ai eu la chance de recevoir beaucoup de soutien et de témoignages d'amitié. Chaque petit geste, comme une carte ou un gentil SMS, est réconfortant et amène un peu de positif. Cette maladie m'a surtout appris que la famille et les amis sont vraiment votre plus grande richesse. J'aurais abordé certaines choses différemment si j'avais su au début ce que je sais aujourd'hui ; mais je ne regrette pas mon parcours. Je trouve que ma qualité de vie est plus importante que le seul gain de temps de vie supplémentaire, et je suis convaincue que, depuis deux ans, elle est déjà beaucoup plus élevée que si j'avais suivi le trajet classique...