Lors d'une cérémonie en présence du ministre Frank Vandenbroucke, le Prix Galien du médicament a été décerné cette année au Trodelvy, de la société Gilead, face à un public bien fourni. Le prix Galien du dispositif médical a été décerné à Farapulse, un dispositif contre les arythmies cardiaques, de Boston Scientific. La chercheuse Ana Beloqui (UCLouvain) a obtenu le prix de pharmacologie pour ses travaux sur l'administration de peptides par voie orale.
...
Dans cet article, nous nous concentrerons sur le Trodelvy, un nouveau traitement pour les patients atteints d'un cancer du sein triple négatif (TNBC). Le Dr Kevin Punie, attaché à l'UZ Leuven et qui exerce ses activités dans le centre multidisciplinaire du sein, explique le développement de cette molécule prometteuse et des derniers résultats d'études. Le sacituzumab govitecan (SG) peut être utilisé dans le traitement d'un TNBC non résécable ou métastatique. Il peut être utilisé chez les patients qui ont reçu au moins 2 traitements systémiques antérieurs, dont au moins 1 pour une forme avancée de la maladie. Il représente ainsi une option thérapeutique pour la majorité des patients atteints d'un TNBC métastatique (mTNBC) de stade avancé, à partir de la 2e ligne de traitement. Le SG est un conjugué anticorps-médicament qui comprend 3 composants: un anticorps monoclonal lié par un agent de liaison ("linker") à une petite molécule, le SN-38. L'anticorps monoclonal est conçu pour reconnaître et se lier à la protéine Trop-2, un transducteur transmembranaire de signaux calciques exprimé dans plus de 90% des cellules du cancer du sein. Fixé à la protéine, le SG est absorbé par la cellule et le SN-38 est ensuite activement libéré. Le SN-38, le métabolite actif de l'irinotécan, appartient au groupe des inhibiteurs de la topoisomérase. Il bloque la topoisomérase, une enzyme impliquée dans la copie de l'ADN cellulaire, nécessaire pour créer de nouvelles cellules. Sur les 11.000 cancers du sein diagnostiqués chaque année en Belgique, environ 1000 sont triples négatifs: la tumeur ne possède pas de récepteurs pour l'oestrogène et la progestérone et il n'y a pas de surexpression ou d'amplification de la protéine HER2. Le TNBC touche une population plus jeune que les autres sous-types de cancers du sein. Malheureusement, son pronostic est beaucoup plus défavorable et les options de traitement ont longtemps été limitées. Comparé à d'autres types de cancer du sein métastatique, le pronostic du mTNBC est nettement plus sombre: la survie globale médiane (OS) est d'environ 17mois, soit une durée nettement inférieure à l'OS médiane observée chez les patients ayant un cancer du sein à récepteurs hormonaux positifs ou HER2 positif. Contrairement aux autres sous-types de cancer du sein, le pronostic du mTNBC ne s'est pas amélioré au cours des deux dernières décennies. Une étude de phase I-II menée auprès de 108 patients atteints de mTNBC a montré un taux de réponse objective au traitement (RR) de 33%, une survie médiane sans récidive (PFS) de 5,5mois et une OS médiane de 13 mois. Ces résultats ont conduit à la conception d'une étude de phase III, l'étude ASCENT. Cette étude internationale de phase III, multicentrique et en ouvert a inclus 529 patients présentant un cancer du sein localement avancé non résécable ou mTNBC. Les patients devaient avoir reçu au moins un traitement antérieur pour une maladie métastatique lors de la progression dans les 12 mois suivant l'arrêt de la chimiothérapie (CT) néoadjuvante ou adjuvante, ou avoir reçu deux traitements antérieurs dans le cadre d'une maladie métastatique lors d'une rechute ou d'une maladie métastatique initiale. Aucun nombre maximal de lignes de CT préalables n'était imposé, fait exceptionnel pour une étude d'enregistrement. Aussi, les patients inclus dans l'étude ASCENT avaient été lourdement prétraités (médiane de 4lignes antérieures de CT). Ceux présentant des métastases cérébrales étaient également admis dans l'étude s'ils avaient reçu un traitement et étaient cliniquement stables à l'inclusion. Les patients ont été stratifiés selon le nombre de schémas de CT antérieurs pour une maladie avancée et selon la présence ou l'absence de métastases cérébrales. Les patients ont été randomisés selon un schéma 1/1 pour recevoir soit le SG, à raison de 10mg/kg par voie intraveineuse, les jours1 et 8, tous les 21 jours, soit une monochimiothérapie selon le choix du médecin traitant (entre la capécitabine, l'éribuline, la vinorelbine et la gemcitabine). Le traitement a été poursuivi jusqu'à la progression ou jusqu'à l'apparition d'une toxicité inacceptable. Le critère d'évaluation principal de l'étude était la PFS dans la population sans métastases cérébrales à l'inclusion (sur base d'une évaluation centrale en aveugle, compte tenu de la conception ouverte de l'étude). Les critères d'évaluation secondaires comprenaient la PFS au sein de la population générale, l'OS, le RR global, la durée de la réponse, le délai avant l'obtention d'une réponse, la sécurité et la qualité de vie. La PFS dans la population sans métastases cérébrales était 3 fois plus longue chez les patients traités par SG, par rapport aux patients traités par CT.2 La PFS médiane était de 5,6 mois chez les patients traités par SG contre 1,7 mois chez les patients du bras CT, soit une réduction de 59% du risque de progression ou de décès. La durée médiane d'OS était de 12,1 mois pour les patients sans métastases cérébrales traités par SG contre 6,7 mois pour les patients du groupe CT. Une réduction de 52% du risque de progression ou de décès a été constatée chez les patients traités par SG, avec un HR de 0,48, ce qui correspond à une réduction de 52% du risque de décès. Le bénéfice associé au SG a été observé dans tous les sous-groupes pré-spécifiés, y compris chez les patients qui avaient reçu un traitement antérieur par des inhibiteurs de PD-1 ou de PD-L1. Le pourcentage de patients présentant une réponse objective était significativement plus élevé avec le SG qu'avec la CT (35% contre 5%). Ce bénéfice incontestable en termes d'efficacité en faveur du SG, par rapport à la CT, est donc extrêmement significatif et cliniquement pertinent dans un contexte où la CT standard est malheureusement très peu efficace. Dans le sous-groupe qui a présenté une récidive rapide et n'a reçu qu'une seule CT pour la maladie métastatique, on observe, par rapport à la CT, un bénéfice similaire en faveur du SG dans la population globale, tant sur le plan de la PFS que de l'OS.3 Les effets indésirables (AE) les plus fréquents liés au traitement étaient les suivants: neutropénie (63% avec le SG vs 43% avec la CT), diarrhée (59% vs 12%), nausées (57% vs 26%), alopécie (46% vs 16% ; si l'interprétation des résultats n'était pas optimale vu la fréquence élevée d'alopécie préexistante au début du traitement, une alopécie est prévisible avec le SG), fatigue (45% vs 30%) et anémie (34% vs 24%). Les AE de grade? III observés le plus fréquemment étaient les suivants: neutropénie (51% avec le SG vs 33% avec la CT), leucopénie (10% vs 5%), diarrhée (10% vs <1%), anémie (8% vs 5%) et neutropénie fébrile (6% vs 2%). En cas de neutropénie, 49% des patients traités par SG dans le cadre de l'étude ASCENT ont reçu un traitement de soutien à base de facteurs de croissance. Les réductions de dose imputables à des AE sont survenues à une fréquence similaire dans les deux groupes (22% avec le SG vs 26% avec la CT). Rappelons également que le traitement par SG n'a pas entraîné de toxicité cardiovasculaire, et qu'aucune neuropathie grade II ou pneumopathie interstitielle grade III n'ont été observées. Le traitement par SG présente un profil de tolérance globalement acceptable, à condition de réduire la dose selon les besoins. L'arrêt du traitement par SG en raison d'AE ne s'est avéré nécessaire que dans 4,7% des cas, alors que ces patients de l'étude ASCENT avaient reçu de nombreux traitements antérieurs. Par rapport à la CT, le traitement par SG est également associé à un bénéfice au niveau de la qualité de vie. Le délai avant une détérioration pertinente était significativement plus long chez les patients sous SG. Au vu de l'efficacité du SG, la nette amélioration de la PFS et de l'OS par rapport à la CT, les AE gérables et une détérioration tardive de la qualité de vie, ce produit doit être considéré comme le nouveau traitement de référence du mTNBC après 2 lignes de CT antérieures, dont au moins une pour une forme avancée de la maladie. Dans cette indication du mTNBC prétraité, les options de CT actuellement disponibles offrent malheureusement peu de perspectives. Il est donc à espérer que Trodelvy soit bientôt remboursé en Belgique pour les patients atteints de mTNBC qui remplissent les conditions requises pour ce traitement. Le mécanisme d'action innovant du Trodelvy et son efficacité clinique justifient amplement l'attribution du Prix Galien2021.