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En deuxième partie, le panel s'est intéressé au carcinome du côlon métastatique. Le Dr Leen Mortier (AZ St-Maarten Mechelen) a situé la problématique dans son contexte et présenté quelques cas. Le Pr Marc Peeters et le Pr Nicky D'Haene (ULB Erasme) ont donné une présentation, puis approfondi le sujet au sein du panel avec le Dr Javier Carrasco et le Pr Daniël Leonard. Voici le compte rendu de cette réunion. Le Dr Carton a présenté le cas d'une femme de 81 ans après résection d'une tumeur sigmoïdienne non métastatique non accessible par endoscopie. La stadification pathologique était un adénocarcinome MMRp pT3, Lv-, Pn+, pN0(0/12). Une coloscopie, impossible en préopératoire, a montré une deuxième tumeur dans le côlon ascendant. L'examen histologique, après résection R0, a conclu à un adénocarcinome MMRd pT3 Lv+, Pn-, pN0 (0/20) modérément différencié. Le scanner de surveillance après un an a révélé une lésion solitaire de 8 mm dans le segment VII du foie, confirmée comme une métastase du CC (MMRp). Le vote parmi les participants a confirmé la prise de décision difficile après l'opération d'un carcinome du côlon de stade II. En ce qui concerne la première tumeur (un facteur de risque intermédiaire), la moitié des participants a opté pour une attente vigilante. Le Pr Peeters les a rejoints et a, à cet égard, notamment tenu compte de l'âge de la patiente. Pour la deuxième tumeur, la décision de ne pas proposer de chimiothérapie adjuvante était évidente, vu l'absence de facteurs de risque et le statut MMRd. La discussion s'est axée sur le traitement de la métastase hépatique solitaire métachrone. Le panel a estimé à l'unanimité qu'il s'agissait d'une indication pour un traitement local et choisi une résection. Si l'intervention chirurgicale s'avérait techniquement difficile, le panel a proposé l'ablation par radiofréquence ou la radiothérapie (RT). L'administration d'une chimiothérapie (CT) après la métastasectomie est controversée. 36% des participants au webinaire ont voté pour une attitude d'attente vigilante et 64% pour une chimiothérapie. Le Pr Peeters a également préféré ici un suivi. D'autres membres du panel ont partagé son opinion, mais ont indiqué qu'il est difficile de résister à la pression de "devoir faire quelque chose". Le Dr Carrasco a commenté la publication récente de l'ESMO sur le traitement adjuvant du CC de stade II, qui constitue un bon fil conducteur pour notre pratique quotidienne. 1 La première étape consiste à évaluer le statut et les comorbidités du patient, afin de déterminer s'il peut être pris en considération pour un traitement adjuvant.Comme les fluoropyrimidines sont la pierre angulaire du traitement adjuvant du CC, il est obligatoire de dépister un éventuel déficit en DPD. Selon les caractéristiques du patient, le statut MMR/MSI et le statut de risque de la tumeur, l'approche peut consister en une surveillance, une fluoropyrimidine seule ou une CT adjuvante à base d'oxaliplatine (schéma 1). De nouveaux outils tels que l'Immunoscore®2 et l'ADN tumoral circulant3 pourront bientôt contribuer à identifier plus pré cisément les patients présentant une maladie résiduelle minime, en vue d'un traitement personnalisé. La deuxième patiente présentée par le Dr Carton est une femme de 74 ans atteinte d'un adénocarcinome du bas rectum de stade clinique cT4 (invasion du vagin), cN0, cM0. La patiente a reçu un traitement néoadjuvant comportant un schéma court de RT et 9 cycles de FOLFOX, selon le protocole RAPIDO. La restadification par examen numérique, endoscopie et IRM a montré une rémission clinique totale. La politique en cas de carcinome rectal et, en particulier, l'approche " watch and wait" (W&W) restent controversées. Durant la présentation du cas, 54% des participants au webinaire ont voté pour l'approche W&W et 45% pour l'opération. Le Pr Leonard a plaidé, dans le cas présent où la chirurgie est mutilante, pour une attitude d'attente vigilante. Une concertation étroite avec le patient et une planification dans les limites d'un protocole strict, au moins accompagnées d'un enregistrement des données, sont nécessaires. En cas de récidive locale, une opération de rattrapage est une possibilité. Le panel a souligné l'importance d'un suivi méticuleux, avec examen clinique, endoscopie et IRM tous les 3 mois, au moins pendant au moins 2 ans, de préférence 3. Il n'est pas nécessaire de réaliser des biopsies aléatoires. Le panel a indiqué que l'approche W&W, bien qu'elle ne soit pas le standard of care, est plus souvent mise en oeuvre dans la pratique quotidienne. C'est également le cas de la CT néoadjuvante totale. Jusqu'il y a peu, le schéma court de CT et la chimioradiothérapie (CRT) étaient le traitement standard du carcinome du rectum avancé. En association avec une chirurgie aussi bonne que possible, cette approche permet d'obtenir un bon contrôle local, mais l'incidence des métastases à distance reste élevée. Deux études récemment publiées, RAPIDO 4 et PRODIGE 235, ont fait évoluer la politique de la RT adjuvante et CT vers un traitement néoadjuvant total (TNT). Les résultats de ces deux études sont comparables. Elles ont atteint un nombre plus élevé de réponse pathologique complète (pCR) et ont montré une survie sans maladie (DFS) significativement meilleure ainsi qu'un risque plus faible de métastases (DR), avec un risque comparable de récidive locale (LR), lors d'un suivi après 3 ans, par rapport au groupe témoin. Pour l'instant, aucun effet sur la survie n'a été observé. L'approche W&W chez les patients atteints d'un carcinome du rectum qui atteignent une réponse clinique complète (cCR) après un traitement néoadjuvant offre une possibilité d'éviter une résection chirurgicale. Les données les plus solides, selon le Pr Martinive, sont les résultats d'une analyse de 880 patients dans l' International Watch & Wait Database. 6 L'incidence en augmentation à 2 ans de la récidive locale était de 25,2% (IC à 95% 22,2-28,5%), 88% sont apparus au cours des 2 premières années et 8% ont développé des métastases à distance. L'OS à 5 ans était de 85% (80,9-87,7). Ces chiffres sont conformes aux résultats de séries chirurgicales chez les patients présentant une cPR, chez qui l'OS à 5 ans était de 87,6%. 7 La maladie oligométastatique (OMD) est difficile à définir, a affirmé le Dr Leen Mortier en guise d'introduction. Les directives de l'ESMO décrivent l'OMD comme un nombre limité de métastases principalement viscérales, localisées à 3 endroits au maximum (tumeur primitive comprise). Un traitement local est possible et le pronostic est bon, avec une chance de guérison.8 Lors du diagnostic, la différence entre une "vraie" et une "fausse" OMD, dans laquelle les métastases systémiques ne sont pas visibles à l'imagerie, n'est pas claire. Dans une recommandation de consensus, l'ESTRO/EORTC classe l'OMD comme "induite" si elle apparaît après un traitement systémique d'une maladie polymétastatique ou comme "vraie" s'il n'existe aucun antécédent de maladie polymétastatique. La maladie oligométastatique vraie peut être présente lors du premier diagnostic ou en récidive après une OMD antérieure. Les lésions peuvent être synchrones ou métachrones, et se présenter sous une forme récidivante, persistante ou progressive, en fonction de leur évolution pendant le traitement systémique.9 Le Dr Mortier a présenté le cas d'un homme de 48 ans atteint d'une occlusion due à un cancer de l'intestin du côté droit avec métastases péritonéales (cT4 cN2 cM1). Le patient a subi une hémicolectomie droite d'urgence. L'histologie a révélé un adénocarcinome RAS WT /avec mutation BRAF V600E / MMRp. Le schéma de traitement consistait en un protocole mFOLFIRINOX, débuté en février 2021, qui a conduit à une chirurgie cytoréductrice (CRS) et une HIPEC, en juin 2021. Après l'opération, un protocole FOLFIRINOX pseudo-adjuvant a été administré jusqu'en novembre 2021. Le panel a débattu de la CRS et de l'HIPEC dans le mCRC. Le Pr Leonard a fait remarquer que les preuves sont insuffisantes en ce qui concerne l'HIPEC. L'étude PRODIGE 7 de phase III n'a pas mis en évidence d'amélioration de l'OS avec la CRS + HIPEC à base d'oxaliplatine, par rapport à la CRS seule. L'ajout de l'HIPEC a provoqué davantage de complications postopératoires tardives.10 L'essai a toutefois confirmé les excellents résultats de la CRS dans cette indication. Ces résultats sont conformes aux observations rétrospectives antérieures et à l'étude randomisée originale qui a comparé la CRS + HIPEC à la CT systémique par 5FU. 11 Le Pr Leonard nous a mis en garde de ne pas "jeter le bébé (CRS) avec l'eau du bain (HIPEC)". De plus amples études sur l'HIPEC, la dose et le protocole d'administration optimaux sont indiquées, a conclu le Pr Leonard. Le Pr Marc Peeters a confirmé que les patients atteints d'un mCRC forment un groupe hétérogène et que le caractère oligométastatique ou multimétastatique seul ne détermine pas le traitement. Il a expliqué que la prise en charge d'un mCRR repose sur le profil moléculaire de la tumeur, les paramètres cliniques et l'imagerie. Le bilan moléculaire comprend au moins les mutations KRAS/NRAS, la mutation BRAF V600E et le statut MMR. L'amplification du gène HER2 et les fusions NTRK sont rares et peuvent être pertinentes dans une ligne ultérieure du traitement. Un dosage doit être pertinent, a souligné le Pr Peeters. Nous devons comparer le coût et la charge de travail du laboratoire à l'utilité et la disponibilité de médicaments ciblés. D'un point de vue clinique, il a retenu le statut de performance, la comorbidité, la localisation de la tumeur primitive et les métastases comme facteurs déterminants. L'imagerie est classiquement réalisée par scanner, mais en cas d'OMD, l'IRM et le PET-scan offrent souvent une valeur ajoutée. L'équipe pluridisciplinaire discute de la planification sur la base de ces données et détermine le but du traitement, à savoir la guérison ou le contrôle de la maladie. Il n'est pas évident de choisir et de déterminer du mieux possible une séquence optimale parmi les nombreuses options thérapeutiques. Les preuves disponibles peuvent étayer plusieurs décisions. Le Pr Peeters a insisté sur la nécessité d'un traitement personnalisé. Il souligne ainsi l'importance de la concertation pluridisciplinaire et d'une politique dynamique, qui exigent une flexibilité et un engagement importants de la part des prestataires de soins. Fin octobre 2016, un homme de 49 ans s'est présenté avec un CC BRAF/RAS WT du côté gauche, avec métastases hépatiques diffuses. Le traitement a consisté en une CT et un anti-EGFR, puis une métastasectomie. Le patient était atteint de métastases hépatiques récidivantes à répétition, pour lesquelles un traitement comparable a été administré à plusieurs reprises avec succès. En juillet 2021, sa maladie a de nouveau progressé, avec deux métastases hépatiques, ainsi que des métastases surrénaliennes. Après le début d'une deuxième ligne de mFOLFIRI, avec maintien de l'anti-EGFR, la maladie était stable lors du suivi en octobre 2021. Les membres du panel ont débattu afin de déterminer si, dans cette situation, un traitement ciblant les métastases et/ou un traitement systémique est à préférer. Le vote parmi les participants au webinaire a reflété la controverse, puisqu'un tiers a opté pour le traitement local, un tiers pour le traitement local + traitement systémique et un tiers pour le traitement systémique seul. Les avis étaient également partagés au sein du panel. Les membres étaient toutefois d'accord sur le fait que lors de la prise d'une décision, il convient de tenir compte de l'état physique du patient, de la complexité de l'intervention, des attentes du patient et de la fonction hépatique restante. Le Pr Peeters et le Pr Leonard ont défendu le concept selon lequel le traitement local est ici une ligne thérapeutique supplémentaire dans la continuité des soins. Le Pr D'Haene a abordé le rôle des biomarqueurs dans le traitement personnalisé du CRC, pour lequel il est indiqué de déterminer la MMR et/ou la MSI. Dans le mCRC, un bilan moléculaire, avec analyse approfondie des mutations du gène RAS et exclusion de la mutation BRAF V600E, est indiqué au début d'un traitement. L'analyse de l'expression/amplification de HER et des fusions NTRK peut trouver un champ d'application dans des lignes de traitement ultérieures. Selon des indications, un traitement combinant des anti-HER2 fonctionne chez les patients présentant une expression/amplification de HER2, mais uniquement si leur tumeur est de type RAS/BRAF WT. Il n'existe pas encore d'autorisation pour cette indication en Belgique et le test n'est pertinent que si un médicament ciblé est disponible. Les fusions NTRK sont rares dans le mCRC, mais plus fréquentes en cas de mCRC à statut MSI élevé, qui sont des KRAS, NRAS et BRAF de type sauvage. Les fusions NTRK répondent à la thérapie ciblant les TRK. Le séquençage basé sur l'ADN n'est pas un test sensible pour détecter les fusions NTRK. Pour ce faire, un examen ciblé, non remboursé, est nécessaire. Le Groupe de travail belge de Pathologie moléculaire recommande que si le patient présente une mutation oncogène dans le panel NGS, une recherche plus approfondie des fusions NTRK n'est pas nécessaire, car celles-ci sont rares. En l'absence de mutation oncogène, un dépistage par immunohistochimie pan-TRK est indiqué et, si le résultat est positif, un séquençage de l'ARN est nécessaire. 12