Nous allons nous concentrer ici sur le lymphome folliculaire (FL), avec une attention particulière pour l'individualisation éventuelle du traitement.
Évolution de la prise en charge
Le besoin d'un traitement plus personnalisé est réel: il s'agit de sélectionner les patients à haut risque pour les études scientifico-cliniques et les nouvelles formes de traitement, identifier les patients à faible risque en vue d'un traitement plus court et/ou moins toxique, et obtenir de meilleurs résultats avec les traitements futurs. De plus, de meilleurs modèles sont requis pour estimer les récidives, et les professionnels sont demandeurs d'une aide à la décision pour le choix du traitement - comme des biomarqueurs prédictifs - et de traitements innovants. Qu'en est-il aujourd'hui?
- Approche individuelle de la prise en charge en 1re ligne: une approche nuancée et adaptée au patient et à la maladie
Après le spectre de l'épidémiologie avec les facteurs génétiques et environnementaux, la présentation clinique et le bilan diagnostique, y compris l'histopathologie et la stadification, vient la phase de décision pour un traitement initial, qui repose sur les index pronostiques (FLIPI-1 et 2, modèle de risque clinico-génétique m7-FLIPI et index PRIMA-PI). En pratique, tous présentent des points forts et faibles, découlant notamment de la disponibilité des analyses de mutations. Le m7-FLIPI combine des scores cliniques (issus du FLIPI et de l'ECOG) avec 7 mutations génétiques (risque élevé ou faible) et diffère d'un point de vue pronostique (4 catégories) sur le plan de la PFS à long terme.
Le FL est une affection hétérogène, avec une présentation et une évolution variables, reflets de l'hétérogénéité biologique. La classification des patients en vue du traitement, sur base de la stadification et des index GELF/BNLI validés donne 3 possibilités: FL localisé (parfois avec des facteurs défavorables! ) et FL généralisé avec une "charge tumorale" faible ou élevée. Le meilleur schéma de chimiothérapie (CT) initial et la meilleure combinaison d'immunochimiothérapie sont spécifiques au patient, dans la mesure du possible 1.
D'après une méta-analyse en réseau (NMA) des RCT sur l'immunochimiothérapie de 1re ligne, G-Benda-G constitue le meilleur choix (PFS), suivi de R-Benda-R4 et de R-Benda-R. Les schémas R-CHOP-R et R-Len-R n'étaient pas meilleurs que R-Benda. La bendamustine est une meilleure base de CT que CHOP, et un traitement d'entretien par R reste bien évidemment indiqué (ou G = obinutuzumab) 2.
- FL R/R: le nombre de nouveaux traitements possibles ne cesse d'augmenter
Idelalisib, umbralisib, copanlisib, duvélisib, obinutuzumab, tafasitamab, tazemetostat, axicabtagene ciloleucel... Ceci laisse entrevoir l'ère de l'approche individuelle, pour autant qu'elle soit possible et disponible. Les perspectives pour les patients souffrant d'un FL, après le traitement de 1re ligne, dépendent dès lors plutôt de ces choix, étant donné que cet afflux de nouvelles informations complique l'élaboration de recommandations validées.
Et le choix est vaste: reprise de l'immunochimiothérapie (p. ex. l'étude StiL avec B-R ou l'étude de phaseIII de Gadolin avec l'obinutuzumab plus benda, R-L et, R-DHAP, R-DHOAX e. a.), la SCT autologue (compte tenu de la toxicité et des conséquences tardives telles que les SPM), un traitement d'entretien par anti-CD20 après une immunochimiothérapie de 2e ligne (p. ex. de l'obinutuzumab) et la radiothérapie ainsi que la radio-immunothérapie (éventuellement avec de nouveaux conjugués tels que le 177-lu-lilotomab satetraxetan, qui a donné des résultats prometteurs dans une étude de phase II).
L'utilisation de nouveaux agents ciblés a donc déjà le vent en poupe. Et la liste ne cesse de s'allonger: les inhibiteurs de PI3K qui nous sont déjà familiers ou encore à l'étude (parsaclisib, zandelisib) ; les inhibiteurs de BTK (outre l'ibrutinib et l'acalabrutinib, également le zanubrutinib) ; les inhibiteurs de mTOR, connus ; les inhibiteurs de BCL-2 (voir plus loin). La thérapie épigénétique (le FL dépend d'un dérèglement épigénétique) constitue une option prometteuse plus récente, le tazémétostat étant un bon exemple, ou l'inhibition des HDAC avec le vorinostat et autres.
Les immunothérapies offrent également des possibilités additionnelles, depuis les anti-CD20 connus chez des patients sélectionnés aux immunomodulateurs (lénalidomide) en association avec des agents monoclonaux... sans oublier les thérapies cellulaires avec divers produits CAR-T (p. ex. l'étude ZUMA-5) et les anticorps bispécifiques (études de phaseI en cours: mosunetuzumab, odronextamab...), éventuellement aussi les conjugués anticorps-médicaments tels que ceux approuvés par la FDA dans le lymphome à grandes cellules B (p. ex. le polatuzumab vedotin). Les inhibiteurs de la phagocytose et d'autres points de contrôle ainsi que les agents co-stimulateurs des cellules T viennent s'ajouter à cette liste...
Les combinaisons avec les "traitements établis", séquentiels ou non, doivent encore être étudiées. S'il subsiste des lacunes et des questions sans réponse, pour le patient souffrant d'un FL récidivant, l'espoir renaît... 3
- Le traitement du FL avec une maladie systémique sans CT standard (en 1re ligne) est possible
C'est ce qu'a démontré l'étude de phaseII récemment publiée par le groupe LYSA, avec une association d'obinutuzumab et de lénalidomide (protocole GALEN). Après environ 4 ans de suivi, la PFS médiane est de 82%! La CR métabolique (PET-scan) atteignait 80% après la phase d'induction 4. On examine si l'obinutuzumab pourrait devenir le substitut du rituximab.
Éviter la CT standard, si possible, a également des effets bénéfiques à long terme, comme l'a démontré une étude de population suédoise portant sur l'incidence et l'échelle de temps des 2e tumeurs malignes primaires (SPC, second primary cancer) après un lymphome non hodgkinien (NHL). Chez 32.100 patients souffrant d'un NHL, inclus dans le registre suédois des cancers entre 1993 et 2014, on a recensé 3619 tumeurs solides et 217 AML/MDS, soit une augmentation de 40% des tumeurs solides (HR 1,4) et une augmentation d'un facteur5 (HR 5,2) des AML/MDS, comparé à la cohorte témoin.
Sur l'échelle du temps, la prévalence plus élevée des tumeurs solides reste malheureusement stable, en comparaison avec la population générale, même après les modalités de traitement plus récentes du NHL. Après 2009, dans le cas du lymphome folliculaire, on a constaté que l'incidence de AML/MDS avait tendance à diminuer, peut-être en raison de l'augmentation de stratégies non basées sur la CT 5.
Autres lymphomes indolents à cellules B: pas différents des FL
Pour ces patients aussi, l'expression "un paysage thérapeutique en mutation" est presque devenue un cliché. Le lymphome du manteau (MZL) et la macroglobulinémie de Waldenström (MW), du moins si un traitement actif devient nécessaire, surfent sur la vague des nouvelles possibilités. On peut donc citer une liste analogue de "Small Molecule Inhibitors" (souvent déjà approuvés): agents de la voie du récepteur des cellules B (BTKi, ciblés sur PI3K) ; agents ciblant BCL-2 (voir ci-dessous) ou EZH2 (tazémétostat). D'autres médicaments (plus récents) couvrent un éventail de cibles différentes: inhibition de XPO1 (sélinexor), de MCL-1, de MDM2 (idasanutlin), de BET, SYK (fostamatinib), MALT1, NF-kB (pevonedistat), JAK-STAT (cerdulatinib) et NOTCH1. Il va de soi que les immunothérapies gagnent également du terrain.
Il existe une pléthore de choix au-delà ou en parallèle de la CT cytotoxique standard. Par conséquent, il convient de s'interroger sur leur rapport coûts/bénéfices pour ces patients. Le développement systématique et progressif de la prise en charge reste donc essentiel, ce qui prend bien évidemment du temps.
Le MZL étudié de plus près
Il existe 3 sous-types différents de MZL, souvent associés à un micro-organisme: MALT ou extranodal MZL (EMZL, H. Pylori e.a.), nodal MZL (NMZL, virus de l'hépatite C) et spleen MZL (SMZL, virus de l'hépatite C). Les examens complémentaires utiles pour la stadification sont le PET-scan (exclusion d'une maladie systémique ou d'une transformation) et la génétique moléculaire (absence de MYD88: distinction avec le lymphome lymphoplasmocytaire).
Un traitement est initié pour plusieurs raisons, principalement une symptomatologie croissante et des anomalies de la formule sanguine comme une anémie ou une thrombopénie. L'option de traitement local comprend l'utilisation d'antimicrobiens (si possible), la radiothérapie et éventuellement une splénectomie (généralement remplacée par du rituximab).
Le traitement systémique, s'il est nécessaire, est basé sur plusieurs études cliniques. Un exemple est l'étude StiL avec B-R vs R-CHOP en 1re ligne (non-infériorité). D'autres options existent depuis un certain temps, comme chlorambucil-R, R mono, consolidation optionnelle avec R pendant 2 ans...
Cependant, en cas de MZL R/R, de nombreuses options se profilent, en monothérapie ou en association avec R: Len ; ibrutinib ; zanubrutinib (remboursement en préparation pour la MW) ; umbralisib ; parsaclisib ; copanlisib-R et vénétoclax! L'ombralisib a été retiré de la liste, mais, dans une étude de phase III (Chronos-3), le copanlisib-R a donné des résultats significativement meilleurs que le placebo-R en termes de PFS. De multiples études sont en cours avec des agents plus récents ou même en trithérapie chez des patients sélectionnés.
Le vénétoclax en tant que molécule pro-apoptotique en cas de lymphomes: un cas à part
Les BH3 mimétiques constituent une classe distincte de petites molécules qui inhibent BCL-2 et restaurent l'apoptose dans les cellules malignes de diverses origines. L'inhibiteur sélectif le plus connu est le vénétoclax, qui est très efficace en cas de CLL, mais également actif contre les lymphomes à cellules B (en particulier MCL et MW), le myélome, l'ALL et même l'AML.
Il est donc intéressant d'envisager ce médicament dans les lymphomes à cellules B de bas grade. Une revue avec des recommandations sur la sécurité et la toxicité a déjà été abordée dans un numéro précédent, et l'efficacité en cas de CLL, de MCL et de lymphomes de haut grade sera abordée dans un numéro ultérieur. Nous nous concentrons ici sur le FL, le MZL et la MW.
Les meilleures informations sur l'utilité potentielle de combiner le vénétoclax avec la CT conventionnelle en cas de LF proviennent de l'étude de phase II CONTRALTO: choix déterminé par les investigateurs eux-mêmes entre R-Ven (A) et un schéma de CT, ensuite randomisation vers B-R avec (B) ou sans (C) vénétoclax pendant 1 an. Cette étude a permis de tirer 2 conclusions: l'infériorité de R-Ven et la toxicité plus élevée (surtout en termes de neutropénie) sans efficacité supérieure lorsqu'on ajoutait du Ven à B-R. La PFS à 18 mois était de 62 ou 59% dans les 2 populations B-R (NS), mais seulement de 27% avec R-Ven. On continue à chercher la meilleure population souffrant de FL pour Ven.
En cas de MW R/R, Ven a été utilisé en monothérapie (pendant 2 ans) dans une étude de phase II. L'ORR atteignait 84% avec un taux de réponse majeure de 81% et une PFS médiane de 30 mois. Comme la progression se produit souvent après l'arrêt du traitement, on a émis l'idée d'utiliser Ven en traitement d'entretien pendant une période plus longue. Ici aussi, la neutropénie fut le principal effet indésirable.
Les données sur l'utilité de Ven en cas de MZL sont rares. Dans une étude de phase Ib, quelques patients souffrant d'un MZL R/R ont été traités par Ven B-R, avec un ORR de 100% et un CCR de 50%, et avec une PFS et une durée de la réponse (DoR) de 12 et 10 mois. Le faible nombre de cas de MZL constitue un obstacle aux études ciblées.
Comment choisir entre les nombreuses alternatives thérapeutiques: synthèse pragmatique avec l'exemple du FL R/R
Ce choix dépend de nombreux facteurs, incluant les traitements précédents (type, qualité, DoR), les symptômes, la condition physique et les performances des patients, ainsi que de l'évaluation de l'impact du traitement ultérieur sur leur qualité de vie liée à la santé (HR QoL).
Un groupe à haut risque est celui des patients qui présentent une progression précoce 2 ans ou moins après l'immunochimiothérapie initiale: POD24. La POD24 est un puissant indicateur prédictif du résultat final, d'après l'examen d'un groupe de plus de 5000 patients. Les patients qui présentent une récidive précoce ont tout intérêt, s'ils sont suffisamment en forme, à subir une SCT autologue, après une nouvelle immunochimiothérapie (du moins selon 3 études rétrospectives). Il est préférable que le nouveau traitement d'immunochimiothérapie soit constitué d'une autre combinaison, comme G-B ou une combinaison sans CT comme R-Len, avec ou sans phase d'entretien par R ou même R-Len. En cas de nouvelle récidive, il convient d'envisager les options plus récentes décrites précédemment (voir ci-dessus), tant celles qui ont déjà été approuvées que les nouveaux agents et éventuellement des combinaisons (études en cours). Le vénétoclax est donc quelque peu décevant et les inhibiteurs de BTK n'ont apparemment pas beaucoup d'impact non plus.
La route sera donc encore longue et sinueuse, mais on espère que l'identification de biomarqueurs réellement prédictifs (tant ciblés sur les caractéristiques intrinsèques des lymphomes que sur celles de leur microenvironnement) ouvrira la voie au développement ultérieur de nouvelles options thérapeutiques et à la validation de la séquence des stratégies disponibles.
Références:
1. G.Canton, J.Trotman "Time for an individualized approach to first-line management of follicular lymphoma" Haematologica, 2022, 107: 1
2. Y.Wang et al. 'Efficacy of front-line immunochemotherapy for FL: a network meta-analysis of RCT 's' Blood Cancer Journal, 2022 ; 12: 1
3. D.Qualls, G.Salles 'Prospects in the management of patients with FL beyond first-line therapy' Haematologica, 2022, 107: 1
4. E.Bachy et al. 'Obinutuzumab plus lenalidomide in advanced, previously untreated FL in need for systemic therapy: a LYSA study' Blood, 2022, April 14
5. J.Joelsson et al. 'Incidence and time trends of secondary primary malignancies after non-Hodgkin lymphoma: a Swedish population-based study' Blood Advances, 2022, April 26