En 2020, le cancer colorectal occupait la seconde place du classement européen du nombre de nouveaux diagnostics oncologiques (520.000) et du nombre de décès par cancer (245.000). Pourtant, une grande partie de ces tumeurs sont évitables. Une étude réalisée précédemment dans 9 pays d'Europe a ainsi démontré que 20% des cas peuvent être attribués au non-respect des recommandations pour un mode de vie sain telles que le maintien d'un poids normal, une activité physique suffisante, l'abstention tabagique et une consommation d'alcool limitée.
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Sachant qu'il faut parfois 10 à 15 ans pour qu'une tumeur colorectale se développe, on peut aussi investir dans la détection et l'élimination des lésions précancéreuses et des tumeurs à un stade précoce qui peuvent être traitées avec succès. Au cours des trois dernières décennies ont été développés plusieurs outils de dépistage qui ont permis d'abaisser sensiblement l'incidence et la mortalité du cancer colorectal. On peut citer ainsi les tests de dépistage de sang occulte dans les selles, dont les tests immunochimiques fécaux (TIF) sont actuellement les plus utilisés, puisqu'ils livrent des résultats plus fiables que les tests traditionnels au gaïac (gFOBT), la sigmoïdoscopie flexible et la colonoscopie. Plusieurs États européens ont lancé des programmes de dépistage du cancer colorectal dans la population à risque (50-74 ans), dont les modalités diffèrent toutefois fortement d'un pays à l'autre, avec à la clé d'importantes variations dans l'incidence de la maladie à travers l'Europe. L'étude qui nous intéresse ici, publiée dans The Lancet et réalisée par Rafael Cardoso et al., s'est concentrée sur l'incidence, la stadification et la mortalité du cancer colorectal au cours des deux premières décennies du 21e siècle, en tenant compte des programmes de dépistage implémentés dans les différents pays d'Europe. Elle s'est aussi intéressée plus spécifiquement aux différences entre les tumeurs du côlon proximal, du côlon distal et du rectum, des études antérieures ayant suggéré que le dépistage colorectal est moins efficace pour détecter les lésions précancéreuses dans le côlon proximal. Cette étude de population a repris les données de 3.078.218 tumeurs colorectales diagnostiquées entre 2000 et 2016 dans 21 pays d'Europe.Des résultats nationaux ont pu être obtenus pour 16 des 21 pays concernés ; pour les cinq autres, il n'existait que des données régionales. Les informations récoltées portaient aussi bien sur les caractéristiques des patients que sur celles des tumeurs: sexe, année du diagnostic, âge lors du diagnostic, topographie, morphologie et classification TNM lorsque celle-ci était disponible. Dans les pays où les programmes de dépistage existaient de longue date et où plus de la moitié de la population à risque était à jour sur ce plan, comme l'Autriche, la Tchéquie ou l'Allemagne, on observait une baisse de l'incidence, avec une évolution de l'ordre de -2,5% à -1,6% par an en moyenne chez les hommes et de -2,4% à -1,3% chez les femmes. En Angleterre et en Finlande, où des programmes de dépistage existent également depuis un bon moment, l'incidence était au contraire restée stable ou avait même augmenté au cours de la période étudiée. Dans des pays comme la Belgique, le Danemark, l'Irlande, la Lituanie, les Pays-Bas ou la Slovénie, où le dépistage a été introduit plus récemment, l'incidence était stable ou en augmentation jusqu'à l'année d'introduction du dépistage. Lorsque celui-ci était rapidement adopté par le public-cible et atteignait un taux de participation de plus de 50% à la première invitation, comme c'était le cas en Belgique, au Danemark, aux Pays-Bas et en Slovénie, on observait initialement une augmentation de l'incidence, suivie dans un second temps d'un net recul. Dans les pays où il n'existait pas de programme de dépistage national, enfin, l'incidence augmentait de façon progressive. La mortalité, elle, avait diminué dans tous les pays, sauf en Lituanie et en Bulgarie chez les hommes et en Estonie et en Ukraine dans les deux sexes. Indépendamment de la diminution globale, l'ampleur du recul différait d'un pays à l'autre. La baisse de mortalité la plus marquée s'observait dans les pays où un programme de dépistage existait depuis plus longtemps (Autriche, Tchéquie, Allemagne). Dans les pays sans programme de dépistage national, comme la Norvège ou la Suède, la réduction de la mortalité était beaucoup plus modeste. En ce qui concerne les pays où le dépistage avait été introduit de façon précoce, on observait une légère augmentation du nombre de tumeurs de stade I et une faible baisse du nombre de tumeurs de stade IV en Tchéquie suite à l'introduction des TIF et de la colonoscopie en 2009, ainsi qu'en Allemagne après l'introduction de la colonoscopie en 2002. Il n'existait pas de données détaillées sur la classification TNM pour l'Autriche et la Finlande. Dans les pays où le programme de dépistage avait été introduit plus récemment, on observait une nette augmentation du nombre de tumeurs de stade I, et ce pour toutes les localisations (proximale, distale, rectale). Cette étude réalisée dans 21 États européens met au jour d'importantes différences entre pays quant à l'incidence, à la mortalité et aux différents stades du cancer colorectal. Dans ceux où un programme de dépistage existe de longue date et où une part importante de la population à risque y participe, on constate initialement une progression de l'incidence au cours des deux premières années qui suivent son introduction, doublée d'une augmentation du nombre de tumeurs de stade I. Dans les pays sans programme de dépistage, l'incidence du cancer colorectal augmente ou reste stable. En parallèle, la baisse la plus marquée de la mortalité par cancer colorectal est observée dans les pays dont les programmes de dépistage existent depuis plus longtemps. L'objectif ultime du dépistage du cancer colorectal est de faire reculer la mortalité qui y est associée. Des études antérieures avaient déjà observé des baisses de mortalité significatives avec les tests gFOBT et TIF, la sigmoïdoscopie flexible et la colonoscopie. Une réduction de la mortalité colorectale peut être obtenue en détectant et en éliminant les tumeurs malignes à un stade précoce ou en s'attaquent aux lésions précancéreuses susceptibles d'évoluer en tumeurs malignes, ce qui abaisse aussi l'incidence du cancer colorectal proprement dit. De précédentes études ont également démontré que le dépistage par sigmoïdoscopie flexible, colonoscopie et TIF est associé à une baisse de l'incidence du cancer colorectal. Pour les gFOBT, les preuves d'une telle baisse d'incidence sont par contre peu nombreuses ; seul l' US Minnesota trial a mis au jour une réduction de 17% avec cette approche. Contrairement à ce qui se passe pour la mortalité, l'introduction d'un programme de dépistage aura des répercussions immédiates sur l'incidence. Celle-ci augmente d'abord au cours des deux premières années - vraisemblablement sans qu'il ne soit question d'un surdiagnostic - avant d'entamer une baisse pour les tumeurs aussi bien précoces que plus avancées. Nous pouvons en conclure que la modification de l'incidence influence surtout les tumeurs de stade I. Des études antérieures concernant le dépistage par TIF avaient déjà démontré que des modifications d'incidence comparables débouchaient sur un recul de la mortalité au cours des années suivantes. En Autriche, en Tchéquie et en Allemagne, aucune augmentation de l'incidence n'a été observée immédiatement après l'introduction des programmes de dépistage, ce qui s'explique vraisemblablement par les modalités choisies dans ces pays - une participation sur base volontaire, sans système d'invitation centralisé. Lorsque la localisation spécifique de la tumeur était prise en compte, on observait des différences dans l'évolution de l'incidence même dans les pays disposant d'un programme de dépistage. Ce constat est dans la lignée de résultats antérieurs, qui suggèrent que la colonoscopie est moins efficace pour le dépistage des tumeurs dans le côlon proximal que dans le côlon distal ou le rectum - une différence qui peut s'expliquer par une prédisposition plus élevée du côlon proximal aux lésions précancéreuses dites "festonnées", plus difficiles à identifier au moyen des TIF et de la colonoscopie et qui évoluent aussi plus rapidement en tumeurs. La mortalité associée au cancer colorectal diminuait dans la plupart des pays. Ce constat se vérifiait même en l'absence de baisse d'incidence dans ceux qui ne disposaient pas d'un programme de dépistage, ce qui suggère que cette évolution est surtout, dans ces régions, la conséquence d'une amélioration du diagnostic et du traitement. Le recul de la mortalité était néanmoins plus marqué dans les pays où un programme de dépistage existait de longue date, tels que l'Allemagne et l'Autriche. Ceci donne à penser que cette différence dans l'ampleur de la baisse de mortalité découle de l'implémentation des programmes de dépistage, qui réduisent l'incidence du cancer colorectal et donc aussi sa mortalité. Il est frappant de constater que, alors que les résultats étaient relativement comparables dans la plupart des pays, ces tendances étaient complètement absentes dans certains pays dont l'Angleterre, la Finlande, l'Irlande et la Lituanie. Cette fracture pourrait s'expliquer par un faible taux de participation ou par le type de test (l'Angleterre et la Finlande utilisent le gFOBT). En résumé, l'étude dévoile une série de tendances distinctes quant à l'incidence, à la mortalité et aux différents stades du cancer colorectal et suggère que le dépistage a apporté une contribution majeure à la baisse d'incidence et de mortalité surtout dans les pays où il est organisé de longue date. Ces résultats positifs peuvent inciter ces pays à continuer à investir dans les programmes de dépistage du cancer colorectal, mais aussi contribuer à mettre en avant l'importance de tels programmes pour ceux qui n'en disposent pas encore. Depuis la fin de l'étude, l'Estonie et la Norvège ont commencé à déployer un programme de dépistage organisé. De meilleures méthodes pour la détection des lésions précancéreuses dans le côlon proximal pourraient par ailleurs contribuer à améliorer encore la prévention, l'incidence et la mortalité du cancer colorectal.