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Tout d'abord, des données provenant d'études cliniques manquent pour ce groupe de patients. Les critères d'inclusion et d'exclusion des études cliniques sont stricts : les patients doivent avoir un bon indice de performance, ils ne peuvent pas présenter de comorbidités et ne peuvent également pas être polymédiqués. Les patients qui répondent à ces critères sont presque toujours des patients plus jeunes. Les patients plus âgés sont traités sur base des résultats de ces études, alors qu'il est possible qu'ils réagissent totalement différemment aux traitements, en raison de différences de pharmacocinétique et/ou -dynamique, de la présence de comorbidités ou d'interactions avec des médicaments concomitants. Un deuxième défi lors du traitement de patients âgés est la grande hétérogénéité de cette population, tant en termes de condition physique, d'espérance de vie et de qualité de vie que d'attentes des patients eux-mêmes. Il faut tout d'abord déterminer si une personne est en bonne forme physique ( fit) ou fragile ( frail), afin de proposer le traitement idéal. Des études montrent que plus de 60 % des patients sont considérés comme aptes à recevoir un traitement par l'oncologue, alors qu'une évaluation gériatrique pratiquée chez les mêmes patients estime que seuls 25 % sont suffisamment en forme. Une autre étude montre que 50 % des patients souffrant d'un cancer colorectal et pratiquement tous les patients souffrant d'un cancer du poumon présentent des déficits dans leur évaluation gériatrique, alors que leur indice de performance était prétendu bon. Nous pouvons en conclure que les scores de l'indice de performance ne sont pas adaptés pour déterminer la forme physique chez les patients gériatriques. En outre, il est également important de prendre en compte l'espérance de vie du patient. Des études montrent que chez les personnes de 80 ans, quel que soit le type de tumeur, l'espérance de vie est de 10,8 ans chez les patients en forme et de 3,3 ans chez les patients affaiblis. Il apparaît également que les oncologues n'arrivent pas toujours à bien estimer l'espérance de vie, surtout lorsqu'il s'agit d'une survie de moins d'un an. Il est donc nécessaire de disposer d'un bon outil pour estimer l'espérance de vie, comme le Lee Schonberg Index. Sur base de 15 questions (e.a. l'âge, le sexe, les maladies chroniques, l'IMC, le tabagisme, les morbidités...), il détermine un score qui donne le risque de mortalité dans les 5, 10 et 14 ans. La qualité de vie (QoL) est un autre sujet important chez les patients âgés. Nous voyons que la QoL diminue à mesure que le patient s'affaiblit. Les patients plus âgés choisissent parfois de maintenir ou d'améliorer leur QoL plutôt que de (sur)vivre plus longtemps. Lors du choix d'un traitement, il faut donc tenir compte de sa toxicité. Une étude multicentrique belge portant sur près de 3 000 patients de plus de 70 ans indique que le traitement améliore la QoL chez 35 % d'entre eux, mais la réduit chez 28 % de cette population. La présence d'une comorbidité est un facteur prédictif important de diminution de la QoL. Lorsque toutes les informations sur la forme physique du patient, son espérance de vie et sa qualité de vie sont disponibles, il est également important de s'enquérir des désirs réels du patient. Des études indiquent que 56 % des patients estiment que la survie est importante, que 34 % trouvent que rester autonome est plus important que vivre plus longtemps, tandis que pour 10 % d'entre eux, la réduction des symptômes est prioritaire. Cela signifie que près de la moitié des patients souhaitent autre chose qu'un simple allongement de leur vie. Il est donc très important d'en discuter au préalable avec eux. L'évaluation gériatrique approfondie (EGA) est un outil important pour déterminer les défis susmentionnés chez les patients âgés et pour leur offrir des solutions. Il s'agit d'un processus graduel qui commence par un outil de dépistage, suivi d'une évaluation gériatrique, de recommandations, d'interventions éventuelles et d'un suivi. Un exemple d'un tel outil de dépistage est l'outil G8, spécialement conçu pour les patients âgés atteints d'un cancer. Un score est déterminé sur la base de 8 questions : s'il est supérieur à 14, cela indique que le patient est en état de recevoir le traitement. Les patients qui obtiennent un score inférieur ou égal à 14 ont un risque de fragilité, et doivent faire l'objet d'une EGA, à savoir une évaluation pluridisciplinaire de divers aspects (e.a. MMSE, Mob-T, MNA-MUST...). Dans 50 % des cas, l'EGA détecte des problèmes antérieurs non traités, et ce dans tous les domaines (nutritionnel, cognitif, fonctionnel...), où il est possible d'intervenir et d'essayer un traitement avant de commencer le traitement de la tumeur. En outre, l'EGA fournit également des informations pronostiques. Les patients ayant une bonne fonctionnalité vivent plus longtemps, les patients courant un risque de dépression ont une survie plus faible. L'EGA peut également donner des informations sur la toxicité du traitement. Ainsi, l'outil du CARG ( Cancer Aging Research Group) donne une idée de la toxicité de la chimiothérapie et englobe également un certain nombre de variables gériatriques (audition, nombre de chutes...). Les patients ayant un score élevé ont également un risque de toxicité plus élevé. En outre, l'EGA améliore la communication avec le patient. Des études indiquent que les patients sont plus satisfaits de la communication et des soins dans leur ensemble. On ne sait toujours pas si l'EGA a également une influence sur le traitement. À l'heure actuelle, on n'a pas encore conduit d'études randomisées qui le démontrent. L'étude ESOGIA, dans laquelle des patients souffrant d'un cancer du poumon sont randomisés entre une prise en charge standard ou guidée par l'EGA, ne montre aucune influence sur la survie, mais bien une diminution de la toxicité de grade I et II et une amélioration de la QoL. Des études montrent également que des interventions ont été effectuées chez 79 % des patients, sur base de l'EGA. Ces interventions consistent principalement à adresser les patients aux diabétologues, à des travailleurs sociaux, des gériatres... Cependant, seuls 46 % des interventions ont bénéficié d'un suivi. Actuellement, une étude randomisée est menée à l'UZ Brussel et à l'UZ Leuven pour déterminer si ces interventions ne sont pas mieux suivies par une équipe gériatrique en combinaison avec le coaching du patient, plutôt que par l'oncologue. Chez les patients âgés, il est donc important de considérer non seulement la tumeur, mais aussi les caractéristiques du patient. L'EGA peut fournir des données supplémentaires afin de prendre la bonne décision pour ces patients, et ce en concertation avec eux.