...

Au XXe siècle, le principe de la prise en charge en oncologie reposait essentiellement sur une thérapie unique et identique pour toutes les patientes. L'amélioration des programmes de dépistage a conduit à la détection plus précoce du cancer du sein (CS), permettant des traitements plus spécifiques et individualisés. " Le risque de récidive a fortement diminué par rapport à il y a 20 ou 30 ans. Cela signifie qu'un bénéfice relatif constant d'un traitement se traduit aujourd'hui par un bénéfice absolu plus faible. D'autre part, la RT est devenue plus efficace et plus sûre au fil des ans, le bénéfice proportionnel étant dès lors probablement plus important que lors du siècle dernier ", déclare le Pr Poortmans. -Traitement conservateur Le Pr Poortmans plaide d'emblée en faveur du traitement conservateur du sein (BST, ou breast sparing treatment). En s'appuyant sur trois études contrôlées et randomisées, il indique que le risque de récidive locale (LRR) après un BST (chirurgie de conservation du sein (BSC) + RT) n'a cessé de diminuer au fil des années (1). Au cours des années 1980, l'étude 10801 de l'EORTC (BST vs mastectomie radicale (RM)) a montré un LRR de ±20% après 10 ans de suivi dans le bras BST. L'étude suivante de l'EORTC, à savoir l'étude Boost No-Boost menée dans les années 90 auprès de patientes jeunes (40-50 ans), a montré un LRR de ±10% après 10 ans pour le bras " boost " (= complément de dose au lit tumoral). La dernière analyse intermédiaire du Young Boost Trial (2016), qui a examiné l'effet d'un " boost " élevé (26Gy) avec celui d'un " boost " faible (16Gy) dans le BST chez des patientes jeunes (<50 ans), a mis en évidence un LRR de seulement 1,8% après un suivi de 9 ans. Dans deux grandes études de population néerlandaises, la survie à long terme avec un BST a été comparée à celle observée avec la mastectomie radicale modifiée (MRM) (2,3). Ces études basées sur le registre du cancer ont permis d'analyser la survie spécifique du cancer du sein à 10 ans (BCSS) chez des patientes non sélectionnées. Tant pour les stades précoces (T1-2N0-1 ; n=37.202) que tardifs (T1-2N2 ; n=3.071), le BST a induit une meilleure BCSS. Par la suite, cette étude a été étendue pour inclure 129.692 patientes atteintes d'un cancer du sein issues du registre du cancer néerlandais (4). Elle a été divisée en deux périodes (cohortes) ; pour la première (1999-2005), aucune information n'était disponible concernant les récepteurs hormonaux et l'expression de HER2. La population de l'étude englobait toutes les patientes de stade T1-2N0-2 ayant bénéficié d'un suivi d'au moins 10 ans. Tant durant la première que la seconde période (2006-2012), le BST a conféré un bénéfice manifeste par rapport à la RM, indépendamment du stade tumoral, de l'âge, du traitement systémique (ST), des comorbidités et, pour la dernière cohorte, du statut hormonal/HER2. Toutes proportions gardées, la BCSS avait presque augmenté de 30% après le BST. Le bénéfice était cependant le plus élevé dans la 1re cohorte, peut-être parce qu'un ST plus efficace avait été administré dans la 2e cohorte, a indiqué le Pr Poortmans qui conclut: " Le BST est à privilégier lorsque la patiente est éligible pour les deux traitements. Selon moi, environ 80% de l'ensemble des patientes peuvent en tirer un bénéfice ". - DésescaladeQue ce soit pour un traitement local, de la chirurgie ou de la RT, le principal message est qu'il faut une désescalade lorsqu'elle est possible, en tenant compte des différents facteurs liés à la patiente et à la tumeur. Concernant l'ampleur du volume cible pour la RT, on sait qu'une irradiation partielle du sein (PBI) constitue un traitement local adéquat pour les patientes à faible risque. " Selon les estimations, quelque 30% des patientes sont éligibles pour une PBI afin de réduire le volume traité ". À ce propos, le Pr Poortmans souligne l'importance d'une sélection adéquate des patientes, ainsi que d'une technique efficace et de l'expérience du thérapeute. Il illustre son propos par la description claire des volumes cibles à traiter en cas de reconstruction mammaire immédiate figurant dans les recommandations récentes de l'ESTRO. Ainsi, l'implant ou le tissu transplanté n'appartient pas au volume cible qui, chez les patientes à faible risque, concerne seulement les vaisseaux lymphatiques de drainage sous-cutanés. Chez celles qui présentent une tumeur primitive étendue, une tumeur située en profondeur ou une extension nodale étendue, le plexus lymphatique profond fait aussi partie de la zone irradiée. "L'implant est de plus en plus placé en position prépectorale. Mais ici aussi, les vaisseaux lymphatiques de drainage sous-cutanés restent le principal volume cible: la zone plus profonde, avec les muscles pectoraux, peut généralement être épargnée." Quant à la dose d'irradiation, l'étude " Boost No-Boost " (irradiation du sein entier (WBI) vs WBI + " boost " de 16 Gy administrée au lit tumoral primitif) a mis en évidence une réduction d'environ 5% des mastectomies après 20 ans dans le bras " boost " (5). " Si l'OS n'est pas augmentée, cela permet d'épargner le sein. Le 'boost' a toutefois augmenté le risque de fibrose, avec un impact esthétique négatif. " Par ailleurs, de nombreuses études ont également évalué l'abandon de la RT après une BSC ; le Pr Poortmans y relève l'importance d'une sélection adéquate des patientes. Chez celles à faible risque, l'étude BASO II a mis en évidence un risque élevé de récidive locale (LRR) lorsqu'aucun traitement adjuvant n'était administré, un faible LRR en cas d'administration d'une hormonothérapie (HT) ou d'une RT, et pour ainsi dire aucun LRR lorsqu'on avait associé ces deux traitements (6). Dans l'étude PRIME-2, des patientes plus âgées, à faible risque et atteintes d'un CS ER+ ayant déjà subi une BRC et recevant une HT ont été randomisées pour recevoir ou non une WBI post-opératoire (7). Les résultats à 10 ans ont montré une baisse du LRR de 8,9% en faveur de la RT ; dans certains cas, le LRR en cas d'abandon de la RT (9,8% vs 0,9%) pourrait être accepté. Actuellement, plusieurs études randomisées prospectives évaluent l'abandon de la RT tout en examinant en parallèle les sous-types moléculaires. Enfin, Philip Poortmans a plaidé en faveur de la RT hypofractionnée. En post-opératoire, elle est devenue le traitement de référence pour toutes indications. " Ayez confiance en l'hypofractionnement, mais veillez à assurer une distribution homogène de la dose ": tel est le message. Pour l'irradiation du sein uniquement ou de la paroi thoracique uniquement, ainsi que pour la PBI, le Pr Poortmans donne sa préférence au schéma d'hypofractionnement de l'étude FAST Forward (8): 5F de 26Gy sur 1 semaine. Chez les patientes en mauvaise condition physique (affaiblies), on peut opter pour le schéma de l'étude Fast (9): 30Gy/5F/5 semaines. " Concernant l'irradiation lymphatique locorégionale, j'envisagerais toujours actuellement de limiter la dose de fractionnement à 2,67 Gy, en attendant de disposer des résultats de l'étude FAST Forward sur l'irradiation nodale. " Toutefois, les remboursements de l'hypofrac-tionnement restent problématiques: selon une analyse internationale menée auprès de 60% des services de radiothérapie-oncologie, le remboursement serait réduit de 30 à 40% si l'on opte pour une dose de 40 Gy en 15F par rapport à 50 Gy en 25F (10,11).- EscaladeEn cas de nécessité, le traitement local peut être intensifié. " À cet égard, la RT préopératoire pourrait constituer un chaînon manquant. Certaines patientes pourraient en tirer un bénéfice, et cet aspect fait heureusement l'objet depuis peu d'une attention accrue. " Ainsi, l'étude Neo-CheckRay de phase II examine l'intensification thérapeutique chez les patientes atteintes d'un CS luminal non métastatique. Chez elles en effet, la CT primaire induit une moins bonne réponse que chez celles présentant des sous-types triple négatif (TNBC) et HER2+. Utiliser une asso-ciation d'inhibiteurs du point de contrôle immunitaire avec une RT préopératoire (3x 8Gy sur la masse tumorale) pour accroître l'immunogénicité permettrait d'améliorer la réponse tumorale. Ces dernières années, l'irradiation régionale des ganglions lymphatiques (RNI) fait l'objet d'une prise en charge plus personnalisée. Chez les patientes à haut risque avec au moins 4 ganglions lymphatiques envahis, la prise en charge standard recommandée est la RT post-mastectomie (PMRT) ; cette approche est controversée lorsque 1 à 3 ganglions lymphatiques (N1) sont envahis. Les progrès récents enregistrés dans le domaine du profilage ( profiling) moléculaire permettent de déterminer si certains sous-types biologiques de patientes N1 peuvent tirer plus de bénéfice de la PMRT que d'autres. Kyndi et al. (2008) ont montré, dans une analyse de 2 études danoises des années 80, que les sous-types exprimant les récepteurs hormonaux (HR) (ER+ et/ou Pgr+) tirent un plus grand bénéfice (OS et LRR) de la PMRT après une ST adjuvante que le TNBC et les sous-types HR-/HER2+ (12). Leurs résultats confirment l'hypothèse du spectre: le cancer du sein est une maladie englobant un large spectre de pathologies, allant de tumeurs qui restent localisées (type luminal A) à des tumeurs avec micrométastases à distance lors du diagnostic (TNBC ' basal like' et HER2+), en passant par un sous-type intermédiaire (type luminal B). Retenons que la ST adjuvante utilisée à l'époque ne convient pas pour le TNBC ni pour le cancer du sein HER2+. Dès lors, une analyse de sous-groupes de l'étude HERA-2 de phase III a examiné l'effet de la ST adjuvante contemporaine chez des patientes avec un CS HER2+ (13). Chez les patientes N1, la PMRT a conféré un bénéfice statistiquement significatif et cliniquement pertinent en termes de survie sans LRR à 10 ans, par rapport au bras N1 sans PMRT. C'était le cas tant pour les patientes HR-négatives que HR-positives. Selon les investigateurs, l'administration d'une ST plus efficace à des patientes à haut risque, chez lesquelles la mortalité imputable à des métastases à distance est ainsi réduite, souligne une nouvelle fois l'importance du contrôle locorégional de la maladie. Dans le contexte de la pluridisciplinarité également, le Pr Poortmans a souligné l'importance des interactions positives entre les thérapies systémiques et locorégionales. " Chez les patientes à haut risque, un traitement local n'apporte aucun bénéfice en l'absence d'une ST efficace. Plus la ST est efficace et le risque de métastases à distance diminue, plus le bénéfice augmente jusqu'à ce que le risque devienne tellement faible ou la ST tellement efficace que le bénéfice devient à nouveau plus faible. Ainsi, dans un type luminal A qui présente une réponse limitée à la ST, le contrôle locorégional reste important. Le même principe s'applique aux patientes TNBC qui montrent une réponse complète à la ST. " Le Pr Poortmans conclut par les facteurs de risque connus après la mastectomie et après un schéma BSC +/- WBI +/- boost, qui varient au fil du temps, notamment en raison du rôle joué par la ST à cet égard. " La voie à suivre inclut le traitement conservateur du cancer du sein. Lorsqu'une mastectomie est malgré tout indiquée chez certaines patientes et que celles-ci bénéficient immédiatement d'un BRC, cela doit se passer de façon adéquate. " Par ailleurs, il souligne l'importance d'une collaboration étroite entre radiothérapeutes-oncologues et chirurgiens. Enfin, il attire l'attention sur la sur-irradiation, encore observée chez un grand nombre de patientes. L'étude EUROPA démarrée récemment constitue à cet égard un pas dans la bonne direction: cette étude randomise les patientes plus âgées à faible risque (type luminal A) pour recevoir uniquement une HT ou uniquement une irradiation partielle du sein (PBI) après le BSC. " L'avenir réside dans la médecine personnalisée, qui vise non seulement le bon médicament pour la bonne tumeur, mais aussi une irradiation sur mesure. En unissant nos efforts, nous serons en mesure d'obtenir les meilleurs résultats ".`