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La première partie du congrès a été consacrée aux possibilités, mais aussi aux limitations de l'endoscopie interventionnelle et de la chirurgie dans les lésions (pré)malignes. Quelques nouvelles perspectives concernant la chirurgie après une thérapie néoadjuvante ont ensuite été présentées. La question de savoir si la radiothérapie/chimioradiothérapie néoadjuvante reste indiquée dans tous les cas de cancers du rectum avancés ou si elle pourrait être remplacée par une chimiothérapie néoadjuvante a ensuite été abordée. Le congrès s'est conclu sur un débat passionnant, modéré par le Pr Eric Van Cutsem de l'UZ Leuven, relatif aux différentes options thérapeutiques néoadjuvantes et aux futures stratégies. Le Pr Arnaud Lemmers, gastro-entérologue et endoscopiste (Hôpital Erasme, ULB) a affirmé d'emblée qu'une résection endoscopique n'a pas sa place dans le cas d'un cancer avec envahissement sous-muqueux profond, qui requiert plutôt une chirurgie. La résection endoscopique ne peut être envisagée qu'en cas de lésions bénignes, de carcinome in situ et de carcinome avec suspicion d'envahissement sous-muqueux superficiel. Le Pr Lemmers renvoie dans ce cadre à la séquence adénome-carcinome. Ainsi, lors de l'évaluation endoscopique d'une lésion, il convient d'abord et avant tout de déterminer le risque de cancer infiltrant la sous-muqueuse ( submucosal invasive cancer, SMIC). Dans un premier temps, la propagation latérale de la tumeur devra être classifiée selon l'aspect. Les plus fréquentes sont les lésions granulaires mixtes, pour lesquelles le risque de SMIC atteint 10%. Mais les lésions non granulaires à pseudo-dépression, moins fréquentes, sont assorties du plus haut risque de malignité. Dans un deuxième temps, la forme générale ou la morphologie de la lésion est examinée à l'aide de la classification de Paris. Le troisième instrument utile dans l'évaluation est le " pit pattern", une classification d'origine japonaise qui est de plus en plus utilisée en Europe grâce à la progression de la chromoendoscopie virtuelle. Si l'évaluation est favorable, la résection endoscopique peut alors être réalisée par mucosectomie endoscopique de type piecemeal ( piecemeal endoscopic mucosal resection, pEMR) ou par dissection sous-muqueuse endoscopique ( endoscopic submucosal dissection, ESD). Après résection, l'examen pathologique doit établir s'il s'agit d'une résection à faible risque, auquel cas un suivi endoscopique suffit. Cela implique une résection R0 ainsi que l'absence d'invasion lymphovasculaire, de différenciation, et de bourgeonnement tumoral. En outre, la profondeur du cancer doit être ? 1000 µm. Comme l'a souligné le Pr Lemmers, les données européennes indiquent qu'en dépit d'une prévision de cancer non invasif, le risque de constater un SMIC après la résection endoscopique reste malgré tout de l'ordre de 16 à 30%. Ce pourcentage élevé est un argument en faveur de la réalisation systématique d'une résection en bloc de la tumeur par ESD plutôt que par pEMR. Un autre avantage de l'ESD est que cette technique est associée à un risque moindre de récidive locale de la tumeur et qu'elle permet une meilleure évaluation histologique de la lésion. Le Pr André D'Hoore a d'emblée souligné que la chirurgie radicale ou l'excision mésorectale totale ( total mesorectal excision, TME) reste la norme pour le traitement du cancer du rectum. Toutefois, l'excision locale peut être une option envisageable pour un groupe de patients sélectionnés. Les indications d'excision locale de la tumeur primitive (par ESD, EMR, TA, TEM ou TAMIS) et de TME sont très différentes. L'excision locale ne peut être envisagée que lorsque les critères suivants sont remplis: cancer du rectum T1, < 3 cm, circonférence < 30%, pas de tumeur ulcérée, sm1 ou sm2 et absence de caractéristiques histologiques défavorables. Si l'excision locale est choisie, il convient de se forger préalablement une idée claire de la manière de sauver le patient au cas où l'histologie se révèlerait malgré tout négative. Dans ce cas, la TME reste la norme mais est également associée à une morbidité élevée. L'on pourrait peut-être, dans le cas d'un cancer du rectum pT1, opter pour la radiochimiothérapie au lieu de la TME. Cette possibilité est actuellement en cours d'évaluation dans l'étude clinique randomisée TESAR. Si la TME laparoscopique présente l'avantage d'une procédure extrêmement standardisée, elle a aussi ses limites: il est plus difficile d'atteindre la partie plus profonde du pelvis, la transsection du rectum distal est difficile et il n'y a aucun contrôle de la marge distale. La technique de TME transanale (TaTME) a d'ailleurs été développée afin de remédier à ces inconvénients. Mais un risque majoré de récidive locale est apparu lorsque les centres de bénéficiaient pas d'une grande expérience de cette technique. Le spécialiste cite l'exemple de la Norvège, où la TaTME ne peut plus être utilisée actuellement. Il est donc important de pouvoir acquérir un savoir-faire suffisant avant de proposer cette technique. Le gros inconvénient de la TME, même lorsque des techniques mini-invasives sont réalisées, est le profil d'effets indésirables, en particulier le syndrome de résection antérieure basse ( low anterior resection syndrome, LARS - voir figure 1). Pour une grande partie des patients, la chirurgie entraînera un sérieux inconfort impactant la qualité de vie. Il est dès lors important d'évaluer, même en cas de cancer localisé, la possibilité d'une prise en charge non chirurgicale pour certains patients, en choisissant délibérément la chimioradiothérapie et en adoptant une stratégie de surveillance active ( watch and wait). Si ce traitement s'avère possible, il faut garder à l'esprit que nous ne disposons actuellement pas de prédicteurs de la réponse à la chimioradiothérapie. Si la TME se révèle finalement nécessaire après l'irradiation, nous savons en outre que la morbidité est plus élevée, avec un impact important sur le risque de survenue du LARS. Le Pr D'Hoore conclut en insistant sur la nécessité de sélectionner de manière stricte les patients lors du choix de la stratégie. Il est par ailleurs essentiel qu'ils soient bien informés au préalable, non seulement des avantages, mais aussi des risques associés aux différentes manières de traiter le cancer du rectum. Le Pr Yves Panis, chirurgien à l'hôpital Beaujon et professeur à l'université de Paris, a pour sa part détaillé divers aspects relatifs à la chirurgie après une thérapie néoadjuvante. Jusqu'à présent, celle-ci consistait en une chimioradiothérapie, mais l'on présume que, pour certains cancers du rectum, l'ajout d'une chimiothérapie systémique s'apprête à devenir la norme. En ce qui concerne la TME, il a rappelé tout d'abord qu'il vaut mieux allonger l'intervalle entre la chimioradiothérapie et la chirurgie à 10-12 semaines, au lieu des 4-8 semaines qui ont longtemps été la norme. Dans le cas d'une TME, une intervention avec conservation du sphincter est d'abord tentée. Le Pr Panis a toutefois signalé que cela entraîne plus souvent une moins bonne fonction intestinale et des fuites anastomotiques (voir figure 2). Longtemps, on a cru que les techniques de la J-Pouch et de l'anastomose side-to-end donnaient de meilleurs résultats au niveau de la fonction intestinale que l'anastomose end-to-end. Deux récentes études cliniques randomisées n'ont cependant pas pu démontrer de différence entre les trois techniques sur le plan de la fonction intestinale et de la qualité de vie. En revanche, l'expérience au sein du centre du Pr Panis montre bel et bien que l'anastomose end-to-end peut réduire le risque de fuite anastomotique. Raison pour laquelle cette technique y est privilégiée. Pour prévenir les fuites chez les patients atteints d'un cancer du bas rectum, la bonne vieille technique du " pull-through" avec anastomose end-to-end manuelle y prend en outre la place de l'anastomose colo-anale end-to-end avec stomie temporaire. Concernant la TME transanale (TaTME), le Pr Panis a souligné l'importance d'une expérience suffisante de la technique afin de limiter la récidive locale du cancer. De son avis, cette raison justifie que la TaTME ne soit maintenue que dans un nombre limité de centres d'expertise. Pour conclure, le Pr Panis a partagé quelques considérations relatives à la conservation d'organes, qui peut être envisagée lorsqu'une réponse clinique complète après la chimioradiothérapie est présumée. Dans ce cas, il est possible d'opter pour une stratégie de surveillance active ou pour une excision locale. Le Pr Panis a indiqué que, dans le cas d'une stratégie de surveillance active, on observe une récidive locale de la tumeur dans 25 à 30% des cas. Lorsqu'une TME est finalement réalisée, la survie de ces patients semble malgré tout moins bonne que la survie des patients qui ont subi une TME juste après la chimioradiothérapie. L'incidence de métastases à distance semble également augmentée dans ce groupe. Le Pr Panis a souligné que la stratégie de surveillance active exige un suivi très strict, avec TME de sauvetage immédiate si nécessaire. Pour ce qui est de l'excision locale, le Pr Panis a indiqué qu'il existe un consensus parmi les chirurgiens, selon lequel la TME doit être pratiquée d'emblée, en cas de tumeurs ypT2 ou ypT3. En effet, le risque de récidive est alors trop élevé. Pour terminer, il a encore mentionné que la morbidité consécutive à une TME après une excision locale est plus élevée que lorsque la TME est choisie d'emblée. Dans son centre, l'excision locale n'est choisie que pour un groupe très restreint de patients. Le Pr Michel Ducreux, spécialiste en oncologie digestive (Centre Gustave Roussy - France), s'est penché sur les raisons de n'envisager qu'une chimiothérapie néoadjuvante, et non une radiothérapie ou une chimioradiothérapie, dans le cancer du rectum localement avancé. Bien qu'il ait été démontré qu'une radiothérapie ou une chimioradiothérapie néoadjuvantes induisent une amélioration du contrôle local, aucun impact sur la survie globale n'a été démontré. D'autre part, la radiothérapie et la chimioradiothérapie sont bel et bien associées à une toxicité et à une morbidité importantes. Le Pr Ducreux a ensuite parcouru les données de quelques études cliniques mettant en lumière l'efficacité d'une chimiothérapie systémique dans le contexte néoadjuvant. Dans ce cadre, il a également renvoyé aux récents résultats des études de phase III RAPIDO et PRODIGE 23, qui ont démontré l'efficacité d'une chimiothérapie néoadjuvante après ou avant une radiothérapie/chimioradiothérapie. Jusqu'ici, une seule étude - l'étude FORWARC - avait directement comparé une chimiothérapie à une association de chimiothérapie et de radiothérapie. Cette étude n'avait pu démontrer aucune différence en termes de récidive locale et de survie sans maladie/globale, mais elle avait relevé une importante diminution de la toxicité. Deux études cliniques randomisées en cours comparent en ce moment même une chimiothérapie à une chimioradiothérapie (PROSPECT et NORAD 01). Les résultats des deux études sont attendus avec impatience afin de poursuivre l'évaluation de la seule administration d'une chimiothérapie néoadjuvante. Le Dr Robert Glynne-Jones, radio-oncologue (Mount Vernon Cancer Centre, Londres) a aussi indiqué que la chimiothérapie néoadjuvante seule pourrait être une option à envisager pour un groupe de patients sélectionnés. Il pense toutefois que la chimioradiothérapie ou la radiothérapie restera nécessaire afin de réduire le risque de récidive locale. De même, dans les situations où une résection R0 est présumée difficile ou en cas d'atteinte des ganglions lymphatiques latéraux pelviens, la radiothérapie doit de préférence être maintenue. Pour conclure, le Pr Glynne-Jones a insisté également sur l'intérêt de maintenir la chimioradiothérapie/radiothérapie lorsqu'aucune chirurgie radicale n'est programmée. Et ce, que ce soit pour des raisons médicales ou parce que le patient refuse expressément de subir une chirurgie radicale. Les présentations ont été suivies d'un débat, lors duquel divers aspects du traitement du cancer du rectum ont été abordés sur la base de deux cas. Les participants se sont accordés à dire que la prise de décision dans le traitement du cancer du rectum devenait toujours plus un processus dynamique. Outre l'importance de la discussion relative aux options au sein de l'équipe multidisciplinaire, la concertation avec le patient est également essentielle.