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Dans la pratique clinique, il est parfois difficile d'évaluer quelles patientes atteintes d'un cancer du sein HR+/HER2- peuvent tirer un bénéfice d'une chimiothérapie adjuvante. Les résultats de l'étude MINDACT après 8,7 années de suivi, présentés lors du congrès de l'ASCO de cette année, offrent un nouvel éclairage. Cette étude a évalué le risque clinico-pathologique de 6693 femmes à l'aide de l'outil " Adjuvant ! Online " ainsi que leur risque génomique à l'aide de la " signature à 70 gènes " (MammaPrint). Lorsque ces deux tests indiquaient un faible risque ( C-low/G-low), les patientes ne recevaient pas de chimiothérapie adjuvante, la plupart d'entre recevant tout de même une hormonothérapie adjuvante. En revanche, si le résultat des deux tests indiquait un risque élevé ( C-high/G-high), les patientes étaient mises sous chimiothérapie. Les patientes dont les deux classifications de risque étaient différentes ont quant à elles été randomisées soit à recevoir une chimiothérapie adjuvante, soit à ne pas en recevoir. Le Pr Piccart s'est concentrée sur le groupe de risque C-high/G-low randomisé à ne pas recevoir de chimiothérapie. Le critère de jugement principal de l'étude MINDACT visait à démontrer que les femmes de ce groupe auraient une survie sans métastases à distance (DMFS) à 5 ans de 95 %. Plus de 90 % des patientes du groupe de risque C-high/G-low ne recevant pas de chimiothérapie ont été suivies pendant une période de cinq années ou plus, et leur DMFS à 5 ans était de 95,1 % (IC : 93,1 - 96,6 %), ce qui confirme l'hypothèse initiale. Une analyse des autres sous-groupes après 8,7 ans montre un excellent pronostic et une DMFS supérieure à 90 % dans chaque groupe, sauf dans le groupe C-high/G-high. Le critère de jugement secondaire de l'étude MINDACT consistait à évaluer si la chimiothérapie adjuvante apportait un avantage aux patientes présentant un risque C-high/G-low. Après 8 années de suivi, une différence statistiquement significative a été constatée en faveur de la chimiothérapie (HR 0,66 - IC à 95 % : 0,48 - 0,92). Ceci se traduisait par une petite différence absolue de 2,6 % (± 1,6 %), ce qui peut être précieux pour certaines patientes. Le résultat le plus remarquable de l'étude MINDACT a été constaté lorsque l'effet de la chimiothérapie a été analysé en fonction de l'âge des patientes dans le groupe de risque C -high/G-low. Chez les femmes de moins de 50 ans, la chimiothérapie a apporté un avantage de 5 % au niveau de la DMFS après 8 années de suivi, tandis que chez les femmes de plus de 50 ans, elle n'apportait aucun bénéfice. Le Pr Piccart a conclu que le critère de jugement principal de l'étude MINDACT est encore toujours atteint après 8,7 ans chez les femmes non traitées par chimiothérapie présentant un profil de risque C-high/G-low, confirmant le caractère positif de l'étude MINDACT en faveur de la désescalade. L'administration d'une chimiothérapie adjuvante dans le groupe de risque C-high/G-low induit un bénéfice de 2,6 % au niveau de la DMFS après 8 années de suivi. Ne pas administrer de chimiothérapie aux femmes ménopausées de ce groupe de risque est une option sûre puisqu'aucun bénéfice n'est perceptible au niveau de la DMFS. Dans ce groupe de patientes, on peut se baser sur les résultats du MammaPrint pour déterminer si une chimiothérapie adjuvante apporte une plus-value. En revanche, chez les femmes non ménopausées, il existe bel et bien une différence pouvant être considérée comme cliniquement significative. Celle-ci peut être un effet direct de la chimiothérapie ou une conséquence de la suppression de la fonction ovarienne induite par la chimiothérapie. Le Pr Piccart a également communiqué les résultats du groupe de risque C-low/G-high. Dans ce groupe, il n'y a pas d'avantage à baser le traitement sur les résultats obtenus au MammaPrint. Ces résultats sont valables aussi bien pour les sous-groupes à ganglions négatifs que pour les sous-groupes à ganglions positifs (1-3). Le Pr Piccart a également abordé quelques études intéressantes portant sur des biomarqueurs potentiellement utiles dans un futur proche. Ainsi, le facteur de transcription MAF est impliqué dans les métastases osseuses. Une présence accrue de MAF - observée chez 20 % des patientes - anéantit l'effet des bisphos- phonates adjuvants. Une présence normale de MAF après un test FISH identifie les femmes qui tireront un bénéfice d'un traitement adjuvant par bisphosphonates, et ce indépendamment de leur statut de ménopause. Ce biomarqueur pourrait être intéressant pour déterminer quelles femmes sans perte osseuse mais avec un risque élevé pourraient tirer un bénéfice de bisphosphonates adjuvants. De gros progrès ont été réalisés au cours des dernières années dans le traitement du cancer du sein HER2+ de stade précoce. Un traitement par double blocage HER2 permet d'éviter une chimiothérapie chez les patientes. L'étude espagnole PHERGain a été présentée lors du congrès de l'ASCO 2020. Elle a notamment examiné dans quelle mesure un PET-scan au FDG est capable d'identifier les patientes susceptibles de manifester une réponse pathologique complète (pCR) après deux cycles de trastuzumab et pertuzumab. Et les résultats montrent effectivement qu'une réponse pathologique complète de 40 % était atteinte en présence d'une valeur de fixation normalisée (SUV) de 40 %. Le congrès de l'ASCO de cette année a par ailleurs également présenté plusieurs études se penchant sur le traitement combiné de trastuzumab et lapatinib comme traitement néoadjuvant en cas de cancer du sein HER2+, dans lesquelles on avait tenté d'identifier des biomarqueurs dès le départ. La conclusion ? Lorsque l'on constate la cumulation d'un ratio très élevé au test FISH (≥ 4,6) et d'une forte expression HER2 (% ICH3+ ≥ 97,5) avec un phénotype PAM50 HER2-enriched sans mutation PIK3CA, la probabilité d'atteindre une pCR sans chimiothérapie est quand même de 50 %. Le Pr Piccart espère qu'une combinaison de ces deux approches pourra mener à l'identification de biomarqueurs permettant de prédire, dans 60% de cette population, quelles patientes peuvent s'attendre à une pCR sans recevoir de chimiothérapie classique. La recherche de biomarqueurs pour le carcinome du sein avancé s'est concentrée sur l'ADN tumoral circulant. Ainsi, l'étude PEARL de 2014, comparant la capécitabine à l'exémestane ou au fulvestrant en association avec le palbociclib, n'a pas montré de différence du point de vue de l'efficacité pour les deux schémas de traitement. Cette étude, qui a également rassemblé des données relatives aux mutations du gène ESR1 : elle montre que 29 % de ces patientes qui présentaient logiquement une résistance aux inhibiteurs de l'aromatase, présentaient aussi une mutation ESR1 s'accompagnant d'une moins bonne survie globale (OS) indépendamment du traitement qu'elles recevaient. L'étude PADA-1 s'est elle aussi concentrée sur ces mutations ESR1. Des patientes atteintes de métastases ont reçu un traitement de religne comprenant un inhibiteur de l'aromatase et du palbociclib, faisant l'objet d'une surveillance de l'ADNtc après 1 mois, 3 mois, 5 mois... En présence d'une augmentation des mutations ESR1, les patientes étaient randomisées soit à poursuivre le même traitement, soit à recevoir du fulvestrant à la place de l'inhibiteur de l'aromatase. Pour l'heure, les résultats de cette modification au niveau de l'hormonothérapie ne sont pas encore connus mais des données sur la mutation ESR1 ont néanmoins été présentées lors de ce congrès de l'ASCO. Au moment de l'instauration du traitement, l'incidence des mutations ESR1 était très faible (3,2 %). Tout comme dans l'étude PEARL, la présence d'une mutation ESR1 constituait aussi un facteur pronostique défavorable dans cette étude. La survie sans progression (PFS) était moins bonne (11 mois versus 27 mois) par rapport aux patientes chez qui aucune mutation n'avait été détectée. Un élément remarquable a été la constatation d'une clairance de la mutation à un stade précoce chez certaines patientes. La PFS chez ces patientes s'élevait à 27 mois contre 7,4 mois chez les patientes sans clairance de cette mutation. Le Pr Piccart a mentionné quatre études cliniques dans le domaine du carcinome du sein de type luminal. Deux études, ALTERNATE & FELINE, ont été réalisées en situation néoadjuvante. Ces études visaient à répondre aux questions suivantes : quelle est la meilleure stratégie hormonale et quel est le rôle d'un inhibiteur de CDK4-6 lorsqu'il est administré en association avec une préparation hormonale ? Les deux autres études, PARSIVAL et BY-Lieve, ont été réalisées dans le domaine du carcinome du sein métastatique. Celles-ci ont tenté d'apporter une réponse aux questions suivantes : quel est le meilleur partenaire hormonal pour un inhibiteur de CDK4-6 et l'alpélisib est-il encore efficace après un inhibiteur de CDK4-6 ? Le Pr Piccart nous a rappelé que de précédentes études sur l'hormonothérapie néoadjuvante nous ont appris qu'un Ki67 persistant ≥ 10 % après 4 à 6 semaines de traitement indique un mauvais pronostic et qu'il est préférable de traiter ces patientes avec une chimiothérapie. Un autre biomarqueur permettant de déterminer le résultat du traitement est le score PEPI, établi au moment de la chirurgie après quelques mois d'hormonothérapie. Les patientes présentant une tumeur invasive de taille relativement petite (pT1-T2), des ganglions négatifs, une expression de récepteurs hormonaux et un Ki67 ≤2,7 % ont un score PEPI égal à zéro et ne nécessitent pas de chimiothérapie. Sur base de ces biomarqueurs, il est possible de déterminer l'ESDR (" endocrine sensitive disease ratio ") qui reflète la proportion de patientes qui présentent une pCR ou un score PEPI égal à zéro au moment de la chirurgie. L'essai ALTERNATE est une étude à trois bras dans laquelle plus de 1000 patientes atteintes d'un cancer du sein T2-4 M0 ont été randomisées à recevoir soit de l'anastrozole, soit du fulvestrant, soit de l'anastrozole + fulvestrant. Les attentes étaient que l'association des 2 hormonothérapies augmenterait l'ESDR d'au moins 10 %. Mais les résultats n'ont pas confirmé cette hypothèse. L'ESDR était d'environ 20 % dans chaque bras. Les résultats de l'étude FELINE - une étude à trois bras elle aussi et évaluant le létrozole en association ou non avec le ribociclib comme traitement néoadjuvant - ne sont pas concluants puisque 120 patientes seulement ont participé à cette étude. En situation métastatique, l'étude PARSIFAL a examiné quelle hormonothérapie (fulvestrant ou létrozole) il est préférable d'associer au palbociclib (un inhibiteur de CDK4-6). Il ressort des résultats que le choix du partenaire hormonal n'a pas d'importance. En effet, on n'a pas constaté de supériorité ni d'infériorité du fulvestrant. Les résultats de l'étude BY-Lieve révèlent que l'association d'alpélisib et de fulvestrant est très efficace, même après un traitement préalable avec un inhibiteur de CDK4-6, chez les patientes atteintes d'un cancer du sein avancé HR-positif, HER2-négatif avec une mutation PIK3CA. Il est à noter cependant qu'il a fallu mettre fin au traitement par alpélisib chez 20 % des patientes en raison d'effets indésirables. Lors de ce congrès de l'ASCO, plusieurs études très intéressantes ont également été présentées sur le cancer du sein HER-2+ dans presque chaque situation. L'étude néerlandaise Train 2 a examiné quelle était la valeur d'une chimiothérapie à base d'anthracycline lorsqu'un double blocage HER2 était administré comme thérapie néoadjuvante pour un cancer du sein HER2+. Les patientes ont été randomisées en 2 groupes. Le premier a reçu 9 cures PC (paclitaxel, carboplatine) en association avec du trastuzumab et du pertuzumab. Le second a reçu 3 cures FEC-90 (5-fluorouracile, épirubicine, cyclophosphamide) en association avec un double blocage HER2, puis encore 6 cures PC également en association avec un double blocage HER2. Les résultats ont révélé une pCR quasi identique au moment de la chirurgie. La survie sans événement (EFS) à 3 ans était elle aussi quasiment identique dans les deux groupes. (93,5 % versus 92,7 %), ce qui permet de conclure que les anthracyclines ne semblent pas apporter de plus-value en cas de double blocage HER2. Dans l'étude KAITLIN, des patientes ont été randomisées après la chirurgie soit à une chimiothérapie à base d'anthracycline (AC) suivie de trastuzumab emtansine (T-DM1) et de pertuzumab, soit à une AC suivie d'un taxane, de trastuzumab et de pertuzumab. Le remplacement d'un taxane par le T-DM1 donne des résultats identiques mais la qualité de vie est meilleure en cas d'utilisation du T-DM1. Depuis la présentation de l'étude HER2-CLIMB lors du SABCS 2019, on sait que le tucatinib - un inhibiteur puissant de la tyrosine kinase très sélectif pour le HER2 exerçant en outre une inhibition minime de l'EGFR - en association avec la capécitabine et le trastuzumab est un traitement très efficace pour les patientes atteintes d'un cancer du sein HER2-positif métastatique lourdement prétraité. Lors de ce congrès de l'ASCO, l'attention s'est focalisée sur un sous-groupe de l'étude HER2-CLIMB composé de 290 patientes atteintes de métastases cérébrales et il a été évalué si l'ajout de tucatinib leur apportait également un bénéfice. Il ressort des résultats que le tucatinib induit également une meilleure PFS au niveau du système nerveux central (CNS-PFS de 9,9 mois versus 4,2 mois) et une meilleure survie globale (OS de 18,1 mois versus 12 mois) chez les patientes atteintes de métastases cérébrales. Le Pr Piccart a également souligné deux études menées chez des femmes atteintes d'un cancer du sein triple négatif. La première était une étude chinoise en situation adjuvante qui a évalué l'effet d'une année de capécitabine "métronomique" après la fin d'une chimiothérapie et radiothérapie standard. Cette étude montre un bénéfice impressionnant de 10 % au niveau de la DFS à 5 ans (HR 0,63 ; IC 0,42-0,96). L'étude KEYNOTE-355 a été menée chez des patientes atteintes d'un cancer du sein triple négatif métastatique. Les patientes ont été randomisées à recevoir soit du pembrolizumab et une chimiothérapie, soit seulement une chimiothérapie. Cette étude révèle que les patientes ayant une expression de PD-L1 et un score CPS élevé (≥ 10) présentent une meilleure PFS lorsque le pembrolizumab est ajouté à la chimiothérapie (HR 0,65 ; p =0,0012). On attend à présent les résultats de l'OS de cette étude. L'étude TBCRC 048 est une étude de phase II menée chez des patientes présentant des mutations au niveau de gènes différents du gène BRCA, qui sont impliqués dans les voies de réponse aux dommages de l'ADN. Cette étude a démontré une activité élevée de l'olaparib en présence de mutations germinales de PALB2, avec un taux de réponse très élevé de 82 %. Comme chaque année, le Pr Piccart a souligné les points essentiels. En cas de carcinome primaire du sein, il faut uniquement demander un MammaPrint chez les patientes qui présentent un risque clinique élevé. Chez les patientes ménopausées présentant un faible risque génomique après le MammaPrint, il n'est pas nécessaire d'administrer une chimiothérapie. Dans le cas des femmes non ménopausées, on peut discuter avec la patiente si le bénéfice attendu avec une chimiothérapie ou une suppression ovarienne justifie ce traitement. En cas de cancer du sein HER2+ primaire, les anthracyclines peuvent vraisemblablement être laissées de côté lors d'un traitement par double blocage HER2. Dans le traitement d'un cancer du sein triple négatif primaire, une étude chinoise démontre un net effet positif de la capécitabine mais cette étude a été réalisée en Asie et le Pr Piccart peut difficilement évaluer si des résultats similaires seront obtenus chez les patientes européennes. Le Pr Piccart a encore cité quelques autres points essentiels en cas de carcinome du sein métastatique. Premièrement, il existe un besoin urgent de réaliser des études cliniques spécialement conçues pour les patientes qui présentent des mutations ESR1, qui n'obtiennent pas de bons résultats avec les traitements actuels. Par ailleurs, il existe un besoin urgent en Belgique de pouvoir disposer de tucatinib pour le traitement du cancer du sein HER2+. Dans le cas du cancer du sein triple négatif, l'étude KEYNOTE-355 a été la deuxième étude randomisée à soutenir l'ajout d'un inhibiteur du PD-L1 à une chimiothérapie. Et enfin, il faut retenir que l'olaparib est très actif en présence de mutations germinales de PALB2.