Après deux éditions virtuelles de cette grand-messe de la recherche oncologique, pour des raisons qu'il n'est plus nécessaire d'expliquer, cette année a marqué le retour de la réunion en présentiel à Chicago. Même s'il fut un peu moins fréquenté que par le passé, le congrès a tout de même attiré 31.000 participants, 11.500 autres personnes suivant la réunion en ligne.
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Dans cet article, nous donnons un aperçu de deux des quatre exposés présentés en séance plénière cette année. Le Pr Takayuki Yoshino (National Cancer Center Hospital East, Japon) a présenté les résultats de l'étude de phase III PARADIGM. Il s'agit de la première étude prospective visant à tester la supériorité du panitumumab (PANI) par rapport au bévacizumab (BEVA) associé à une chimiothérapie (CT) standard en 1re ligne chez des patients souffrant d'un cancer colorectal métastatique (mCRC) RAS non muté gauche. Cette étude multicentrique a randomisé ces patients en mode 1/1 vers du PANI vs du BEVA en combinaison à un schéma FOLFOX6 modifié, jusqu'à l'apparition d'une progression retardée ou d'une toxicité inacceptable, au refus du patient de poursuivre le traitement ou une résection curative R0. Dans cette étude, le critère d'évaluation primaire était la survie globale (OS) dans la population souffrant d'un mCRC gauche. Si elle est significative, l'OS est également examinée dans la population globale, regroupant à la fois les tumeurs gauches et droites. Les critères d'évaluation secondaires étaient notamment la survie sans progression (PFS), le taux de réponse (RR) et le taux de résection curative R0. La sécurité a également été évaluée. Les résultats montrent un avantage d'OS chez les patients souffrant d'un mCRC gauche, traités par PANI. Le hazard ratio atteint 0,82 (p=0,031). L'OS médiane pour le PANI est de 38 mois, vs 34 mois pour le BEVA, soit une différence absolue de 3,6 mois. L'analyse de la courbe de Kaplan-Meier montre que la séparation des courbes se produit après une période de 28 mois, et se poursuit ensuite: 6% de différence après 3 ans, 9% après 4 ans et 11% après 5 ans! De même, l'OS dans la population globale était en faveur du groupe traité par PANI (hazard ratio = 0,84, p = 0,03) (Figure 1). La PFS était similaire dans les deux bras. La proportion de patients souffrant d'une tumeur gauche qui ont présenté une réponse était plus élevée dans le groupe PANI que dans le groupe BEVA (80,2% vs 68,6%). Le taux de réponse était également meilleur dans la population traitée par PANI, 86% des patients ayant présenté une diminution du volume tumoral de plus de 30%, contre 74% dans le groupe BEVA. Ces données ont également été confirmées chaque fois pour les tumeurs gauches dans la population globale. Le taux de réponse médiane pour les tumeurs gauches atteint 60% dans le bras PANI vs 44% dans le bras BEVA. Enfin, le nombre de patients ayant subi une résection R0 était également plus élevé dans le groupe PANI (18,3%) que dans le groupe BEVA (11,6%). Le profil de toxicité était conforme aux prévisions dans les deux bras et on n'a pas constaté de nouvelles toxicités. Le Pr Yoshino a conclu que la combinaison PANI + schéma mFOLFOX6 en traitement de 1re ligne pour les patients souffrant d'un mCRC RAS non muté gauche est un traitement plus que valable1. Ces données ont été commentées par la Pr Chiara Cremolini (Université de Pise, Italie), pour qui l'histoire de l'utilisation d'anticorps monoclonaux anti-EGFR (MoAbs) dans le traitement du mCRC est étroitement liée au concept de choix thérapeutiques basés sur les caractéristiques moléculaires des tumeurs. Le statut de la mutation KRAS est le premier biomarqueur utilisé pour le traitement quotidien de ces patients. Depuis 2008, les patients souffrant de tumeurs présentant une mutation de l'exon 2 du gène KRAS ne peuvent recevoir de MoAbs anti-EGFR. Par ailleurs, plus récemment, les patients présentant des tumeurs avec des mutations des exons 3 et 4 du gène KRAS et des exons 2, 3 et 4 de NRAS ont également été exclus, ce qui limite l'utilisation d'agents anti-EGFR pour les patients souffrant d'un mCRC RAS non muté (WT = wild type). En outre, l'utilisation de ces produits dans le contexte avancé a été mise en avant dans la séquence de traitement. Selon la Pr Cremolini, il s'agit maintenant de trouver quel traitement ciblé doit être combiné à la CT chez les patients souffrant d'un mCRC RAS WT. Trois études randomisées, 2 de phase III et 1 de phase II, ont comparé un anti-EGFR au BEVA en association avec un doublet de CT, mais n'ont pas pu donner de réponse concluante. Dans les deux études de phase III, le critère d'évaluation primaire n'a pas été atteint. Entre-temps, on sait également que la localisation de la tumeur primaire est importante. Le pronostic des tumeurs droites est moins bon. Une analyse de sous-groupes post hoc non planifiée dans ces trois études a montré une interaction significative entre l'effet du traitement et la localisation de la tumeur primaire. D'un point de vue méthodologique, la Pr Cremolini estime qu'il faut reconnaître qu'une analyse de sous-groupes non planifiée d'une étude randomisée doit davantage être considérée comme génératrice d'hypothèses que d'un changement de pratique, d'où l'importance de l'étude PARADIGM. Elle a également souligné l'OS médiane de 38 mois, qui dépasse de loin les 30 mois considérés depuis longtemps comme la limite d'espérance de vie pour les patients souffrant d'un mCRC RAS WT. L'incohérence interne des résultats de cette étude, en l'occurrence le bénéfice en termes d'OS et de pourcentage de réponse, sans qu'on puisse montrer de différences sur le plan de la PFS, avait déjà été constatée précédemment dans l'étude FIRE-3. On avait en effet observé un bénéfice significatif en termes d'OS et de pourcentage de réponse en faveur du cétuximab, mais toujours sans différences en termes de PFS. Une autre similitude entre ces deux études est que la stratégie anti-EGFR est chaque fois associée à un taux de réponse plus élevé. La Pr Cremolini a approuvé la conclusion des investigateurs qui ont affirmé que les résultats de l'étude PARADIGM justifient l'utilisation de PANI + mFOLFOX6 en traitement de 1re ligne chez les patients souffrant d'un mCRC RAS non muté gauche. Elle a replacé ces résultats dans le contexte général du traitement de 1re ligne du mCRC et a déclaré que l'association PANI + mFOLFOX6 a une place chez les patients souffrant d'un mCRC RAS et BRAF WT gauche sans instabilité microsatellitaire (MSS). En fait, selon elle, les patients présentant une instabilité des microsatellites élevée (MSI-H) devraient initialement recevoir de l'immunothérapie. Les patients porteurs d'une mutation BRAF tirent des bénéfices minimes d'un traitement par un anti-EGFR, qui ne devrait être utilisé qu'après la progression de la maladie, mais en combinaison avec des inhibiteurs de BRAF. Chez les patients particulièrement réticents à cause des éruptions cutanées, il faut savoir que le choix d'un doublet de CT + BEVA serait associé à une perte d'OS de 3,6 mois et à une moins bonne réponse au traitement. La Pr Cremolini a également attiré l'attention sur les résultats de cette étude dans le sous-groupe de patients souffrant d'un mCRC droit, chez qui on n'a pas rapporté de différences en termes d'OS et chez qui la durée médiane de cette OS est beaucoup plus courte que dans le sous-groupe de tumeurs gauches. Pour ces patients, une méta-analyse récente de 5 études randomisées portant sur la combinaison FOLFOXIRI + BEVA vs un doublet de CT + BEVA montre un avantage particulièrement important pour l'intensification de la chimiothérapie initiale. Le Pr Modi (Memorial Sloan Kettering Cancer Center, New York) a présenté les résultats de cette étude vivement attendue, portant sur le T-DXd, un conjugué anticorps-médicament (ADC) anti-HER2. Le statut HER2 du cancer du sein est actuellement défini dans un modèle binaire dans lequel les cancers du sein (BC) HER2-positifs (HER2-pos) peuvent se traiter avec les thérapies ciblées anti-HER2, actuellement disponibles. En cas de BC HER2-négatifs (HER2-nég), ce n'est pas possible. Toutefois, au sein de la population HER2-nég, il existe des tumeurs qui expriment faiblement HER2, que nous appelons HER2-Low. Les thérapies ciblées sur HER2 actuellement disponibles ne semblent pas efficaces chez les patientes de ce sous-groupe, mais il est possible que ce faible niveau de HER2 puisse être ciblé par une génération d'ADC plus récente. Un BC HER2-Low est défini par des scores d'immunohistochimie (IHC) de 1+ ou 2+ sans amplification génique (ISH-). Historiquement, nous avons traité les BC HER2-Low comme s'ils étaient HER2-nég, le traitement étant déterminé par le statut des récepteurs hormonaux. En fin de compte, chez toutes les patientes souffrant d'un BCm HER2-Low, qu'il soit positif (HR+) ou négatif (HR-) pour les récepteurs hormonaux, les options sont limitées en traitement tardif, et ces patientes reçoivent généralement une monothérapie palliative, qui n'offre que des avantages modestes. Le T-DXd est un ADC anti-HER2 de la nouvelle génération et, grâce à ses propriétés et à son mécanisme d'action uniques, il montre une activité dans un certain nombre de tumeurs exprimant HER2. Dans une étude de phase I 'proof of principle', on a déjà rapporté une efficacité prometteuse du T-DXd chez les patientes souffrant d'un BC HER2-Low lourdement prétraité. L'étude DESTINY-Breast 04 est une étude ouverte, multicentrique. Les patientes pouvaient être incluses si elles souffraient d'un BC HER2-Low confirmé de manière centralisée et pour lequel elles avaient déjà reçu 1 ou 2 lignes de CT dans le contexte métastatique. En outre, les patientes HR+ devaient présenter une maladie réfractaire au traitement hormonal. Le statut HER2-Low était défini comme IHC 1+ ou IHC2+/ISH- selon les recommandations ASCO/CAP. La randomisation a été effectuée selon le principe 2/1, soit vers du T-DXd à la dose approuvée, soit vers un traitement au choix du médecin (capécitabine, éribuline, gemcitabine, paclitaxel ou nab-paclitaxel). Le critère d'évaluation primaire de l'étude DESTINY-Breast 04 était la PFS, évaluée de manière centralisée, indépendante et aveugle, chez les patientes souffrant d'un BC HR+, HER2-Low. Les principaux critères d'évaluation secondaires étaient la PFS pour toutes les patientes et l'OS pour le groupe HR+ et pour toutes les patientes de l'étude. En tout, 540 patientes devaient être incluses dans l'étude, dont environ 480 patientes HR+ et 60 patientes HR- pour refléter la prévalence normale du statut des récepteurs dans la population HER2-Low. L'analyse primaire de la PFS était planifiée après 318 événements. Au moment de la clôture des données, on comptait 321 événements de PFS chez les patientes HR+ et 370 chez toutes les patientes. Le suivi médian était de 18,4 mois. 61 patientes sont restées dans l'étude, 58 dans le bras T-DXd et 3 dans le bras CT. Par conséquent, ceci est considéré comme une analyse finale. L'étude a inclus 557 patientes, dont 373 ont été randomisées vers du T-DXd et 184 vers une CT. La majorité (51%) a reçu de l'éribuline. Les caractéristiques initiales étaient bien équilibrées entre les 2 bras de l'étude. 58% des patientes avaient un statut HER2 IHC 1+, et 42% un statut IHC2+/ISH-. En tout, 89% des participantes avaient un BC HR+. Les résultats de la PFS sont présentés à la figure 2. Dans la cohorte HR+, on observe une séparation précoce des 2 courbes en faveur du T-DXd, qui se maintient sur toute la durée du suivi. Le hazard ratio (HR) pour la PFS est de 0,51 avec une valeur p significative < 0,0001. La PFS médiane atteint 10,1 mois pour le T-DXd, contre 5,4 mois pour la CT standard. Étant donné le résultat positif dans ce groupe HR+, l'analyse de la PFS pour la population totale a également pu être calculée. Les résultats sont presque identiques. La figure 3 montre les résultats de l'OS. Pour la cohorte HR+, le HR pour l'OS était de 0,64 avec une valeur p statistiquement significative de 0,0028. L'OS médiane est passée de 17,5 mois avec la CT standard à 23,9 mois avec le T-DXd, soit un gain de survie de plus de 6 mois. Les résultats pour la population globale de l'étude étaient comparables, avec un HR statistiquement significatif de 0,64 et un gain de survie de 6,6 mois en faveur du T-DXd. L'analyse des sous-groupes a montré un bénéfice constant pour le T-DXd dans toutes les catégories, tant IHC1+ que IHC2+/ISH-. Le résultat du traitement était également influencé par l'existence ou non d'un traitement préalable avec un inhibiteur de CDK 4/6 ou par le nombre de traitements de CT reçus précédemment. Le taux de réponse était 3 fois plus élevé avec le T-DXd (52,6% vs 16,3%). Le bénéfice clinique, y compris une maladie stable pendant au moins 6 mois, était également 2 fois plus élevé avec le T-DXd (71,2% vs 34,3%). Les résultats dans la cohorte HR- étaient similaires à ceux de la cohorte HR+ (RR: 50% vs 16,7%). Dans l'ensemble, on n'a pas noté de nouveaux signaux de sécurité pour le T-DXd dans cette population HER2-Low et le profil de sécurité global est conforme à celui des études précédentes. On a observé un taux élevé de neutropénie dans la population sous CT, avec une incidence de 41% d'événements de grade III/IV. Les nausées étaient significativement plus fréquentes avec le T-DXd, mais elles étaient généralement de grade 1 ou 2, de sorte qu'elles pouvaient être soulagées par des antiémétiques prophylactiques. Dans le bras CT, il a plus souvent été nécessaire de réduire la dose. Par ailleurs, on y a observé davantage de toxicités de grade III. En revanche, le traitement par T-DXd a dû être interrompu plus souvent, principalement suite à une toxicité pulmonaire. Le Pr Modi a signalé que la toxicité pulmonaire constitue une toxicité majeure du T-DXd et qu'elle requiert une grande vigilance et une intervention précoce. Dans cette étude, les patientes étaient surveillées à la recherche de symptômes respiratoires. 12% d'entre elles ont présenté une toxicité pulmonaire qui est apparue généralement entre le 4e et le 5e mois du traitement. La plupart des cas étaient de grade I ou II, mais on a toutefois noté une incidence de grade V dans 0,8% des cas, avec 3 décès. Les problèmes cardiaques étaient minimes. Une diminution asymptomatique de la fraction d'éjection (4,3%) et une insuffisance cardiaque (0,5%) ont été observées dans le bras T-DXd, mais elles étaient réversibles dans les 2 cas. Dans sa conclusion, le Pr Modi a déclaré que cette étude DESTINY-Breast 04 démontre pour la première fois qu'un traitement anti-HER2, le trastuzumab déruxtécan, entraîne une amélioration statistiquement et cliniquement significative de la PFS et de l'OS chez les patientes souffrant d'un BCm HER2-Low. À la suite de ces résultats, les bénéfices d'un traitement anti-HER2 s'étendent désormais à une nouvelle population de patientes souffrant d'un cancer du sein, et nous avons établi que le trastuzumab déruxtécan est la nouvelle norme de soins pour les patientes souffrant d'un BCm HER2-Low. Ces résultats pourraient influencer la survie d'environ 1 patiente sur 2, chez qui on diagnostique actuellement un cancer du sein métastatique. Les résultats de cette étude ont suscité une standing ovation sans précédent du public présent à Chicago2.