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L'enquête internationale menée à l'initiative du CHU de Liège montre que les craintes étaient grandes pour le devenir des patients : 64% des 109 répondants estimaient que le risque principal pour les patients oncologiques était davantage le sous-traitement suite à un arrêt ou une adaptation de leur traitement, que la Covid même. Le questionnaire leur a demandé les modifications qui ont concerné, dans leur centre, au moins 10% des patients. C'est la chirurgie qui a été la première touchée : 34% des répondants affirment qu'elle a dû être adaptée chez au moins 10% de leurs patients. Viennent ensuite la chimiothérapie, pour 22% des répondants, la radiothérapie (13.7%), l'immunothérapie (9.1%), les traitements par anticorps (9%) et les thérapies ciblées par voie orale (3.7%). "Par exemple, pour la radiothérapie, le schéma de fractionnement a dû être adapté dans certains cas. Ici, au CHU Sart-Tilman, nous avons opté pour des traitements plus courts, mais toujours dans des schémas validés sur le plan scientifique. Les schémas pour les personnes âgées ont ainsi été généralisés", explique le Pr Jerusalem, qui a dirigé cette étude. L'enquête montre néanmoins que dans 13.7% des services dans lesquels pratiquent les oncologues interrogés, au moins 10% des patients ont vu leurs séances annulées ; dans 8.3% des cas, les séances avaient été retardées.Le changement du mode d'administration des traitements a également été une option pour bon nombre des oncologues interrogés : plus de la moitié d'entre eux (51.6%) ont préféré un mode d'administration réalisable à domicile pour limiter les hospitalisations ou visites à l'hôpital ; 15.6% ont remplacé les traitements par voies intraveineuse ou sous-cutanée à un mode oral. Des choix ont dû également être opérés : 39.5% des intervenants ont admis que le schéma ou le régime de traitement ont été modifiés et 21% affirment que l'immunothérapie a été retardée chez les patients stables. "Au Sart-Tilman, nous avons tout fait pour ne pas postposer de traitement. Nous avons dès lors traité davantage en hôpital de jour et parfois changé le mode d'administration", insiste le Pr Jerusalem.L'effet le plus marquant est à noter dans les traitements à visée palliative : 32.1% des oncologues interviewés ont affirmé que ces soins ont été stoppés prématurément pour plus de 10% des patients dans le service où ils pratiquent... Une évolution à suivre de prèsQuant à une augmentation des décès à terme, l'oncologue se veut optimiste : "Nous n'avons pas encore de données, ni en Belgique, ni dans le reste du monde. Uniquement des projections. Mais je ne pense pas qu'il y aura un impact important, bien qu'il y aura certainement un impact : le cancer est une maladie qui, dans la plupart des cas, évolue relativement lentement. En particulier pour les cancers solides : quelques mois ne devraient pas faire une grande différence sur une évolution qui prend en général dix ans environ depuis le première cellule cancéreuse. Cependant, il est possible qu'il y ait eu un shift dans les stades dans certains cas, mais il faudra plus de recul pour le savoir..." L'étude recommande néanmoins de garder ces données à l'oeil à l'avenir... Une nouvelle manière de pratiquer ?La pandémie a provoqué de grandes modifications dans la pratique : par exemple, la téléconsultation a connu un essor sans précédent. L'étude montre en effet que 81.7% des oncologues interrogés y ont recouru pour au moins 20% de leurs patients ; ils n'étaient plus que 21.1% après la première vague. Ces téléconsultations sont réalisées en particulier pour les patients suivis depuis longtemps (94.5%), ceux qui prennent leur traitement par voie orale (92.7%), qui reçoivent une immunothérapie (57.8%) ou qui sont en chimiothérapie (55%). Mais la téléconsultation n'est pas une panacée, selon le Pr Jerusalem : "L'avantage était que nous pouvions voir leur visage en entier, contrairement aux consultations à l'hôpital, avec le masque qui cache la moitié de leur visage. Nous pouvons donc voir s'ils étaient amaigris, par exemple. En revanche, des éléments très révélateurs nous échappaient, comme leur démarche, leur posture... Nous perdions en outre tout l'aspect humain de l'échange, en particulier lorsque la consultation à distance ne se faisait que par téléphone, et non par visioconférence ! Nous ne pouvions évidemment pas examiner le patient. Et tout était plus compliqué : nous n'avions pas l'aide des infirmiers de liaison, nous devions envoyer tous les documents par mail... L'étude montre que 81.7% entendent bien poursuivre les téléconsultations. Mais c'est très variable selon les pays : au Sart-Tilman, cela n'a pas vraiment persisté, les patients n'étant pas demandeurs. Les téléconsultations ne devraient donc pas augmenter, sauf en complément des consultations. Il faut dire qu'en Belgique, il n'est pas nécessaire pour les patients de se déplacer très loin : il y a toujours un hôpital à une relative proximité de chez eux. Aux Etats-Unis, ils sont plus enclins à recourir aux téléconsultations, vu les distances plus importantes à parcourir. Même les familles participent aux consultations par visioconférence !", précise Guy Jerusalem.Tous ces événements ont été autant d'épreuves à surmonter pour les médecins, avec un impact sur leur santé mentale : la moitié des oncologues interrogés affirment que leur bien-être général a été fortement impacté lors du pic de la première vague ; 29% disaient encore en souffrir après ce pic... Cependant, peu d'entre eux ont recouru à une aide professionnelle : alors que 62.7% des hôpitaux qui emploient les répondants avaient organisé une aide psychologique, seulement 10.3% y ont recouru ou avaient l'intention de le faire...Référence : 1. Concetta E.O et al, Expected Medium- and Long-term impact of the COVID-19 Outbreak in Oncology. JCO Global Oncol 7:162-172, 2021