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Si la bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe, par contre le mucus de la peau d'une espèce de ce batracien, l'Hydrophylax bahuvistara, pourrait peut-être nous protéger contre une future épidémie de grippe. Une bonne nouvelle à l'heure où les experts s'accordent à penser que les médicaments antiviraux contre cette maladie infectieuse feront bientôt face à la résistance des systèmes immunitaires, certains d'entre eux présentant déjà une efficacité limitée.Vivant dans les forêts du sud-ouest de l'Inde, Hydrophylax bahuvistara est une petite grenouille attendrissante qui se caractérise par de larges yeux rouges, un dos de couleur rouge-orangé et des bandes noires au niveau des parties latérales et des cuisses. Mais surtout, dans certaines conditions, elle sécrète un mucus cutané qui contient un peptide, l'urumin, capable de détruire de nombreuses souches de virus de la grippe humaine, y compris la dangereuse H1N1.C'est la découverte surprenante que vient de faire une équipe de scientifiques indo-américains. Ils ont réussi à isoler ce peptide après avoir provoqué la sécrétion de mucus par de légères stimulations électriques auxquelles ils ont soumis des grenouilles qu'ils avaient capturées avant de les relâcher.En recherche de nouvelles molécules antivirales dans les sécrétions cutanées de cette grenouille, des sécrétions déjà documentées comme protectrices contre les bactéries et les virus, les scientifiques ont en réalité identifié pas moins de 32 peptides qu'ils ont ensuite testés sur des souris vivantes infectées par une forte dose du virus de la grippe.Au final, quatre peptides ont été capables de tuer plus de la moitié d'une charge virale H1N1 mais lorsqu'ils ont été exposés à des globules rouges humains isolés, trois d'entre eux se sont révélés toxiques. Par contre, le quatrième s'est avéré quasiment inoffensif pour les cellules humaines. Ils l'ont baptisé " urumin " en hommage à l'épée indienne traditionnelle nommée " urumi ", fabriquée dans la zone d'origine de la grenouille.In vitro, le peptide sélectionné s'est avéré efficace pour tuer plusieurs variantes de la grippe saisonnière. Il a neutralisé sept souches de H1N1 résistantes aux antiviraux classiques de type Tamiflu, dont celle responsable de la pandémie de la grippe porcine en 2009.Des souris vivantes infectées et non vaccinées auxquelles l'urumin a été administré par voie nasale, ont également été bien protégées face à des doses pourtant mortelles de virus. Comparativement à un groupe de congénères ayant reçu un placebo, leur risque de décès a considérablement baissé : 70 % ont survécu, contre 20 % pour le groupe témoin. Elles ont également perdu moins de poids lors de leur convalescence.Les chercheurs ont aussi mis à jour le processus qui permet au peptide de détruire le virus de la grippe. Contrairement à certains agents qui y parviennent en perçant des trous dans la membrane cellulaire des virus, ce qui les rend toxiques pour les cellules des mammifères, l'uru-min cible la protéine hémagglutinine " H ", la partie stable de la structure du virus de la grippe.Si la démonstration d'efficacité du peptide a été faite in vitro et in vivo chez des souris, la recherche sur l'urumin en est encore à un stade précoce, et il est beaucoup trop tôt pour dire que c'est un " remède " pour la grippe.Toutefois, les premiers résultats obtenus sont prometteurs et apportent un nouvel exemple des vertus thérapeutiques des substances naturelles. De surcroît, ces résultats interviennent alors que les antiviraux actuels se révèlent avoir une efficacité limitée contre la grippe, et a fortiori contre de nouveaux virus émergents.Ravis, les chercheurs ont annoncé qu'ils vont poursuivre leur analyse des détails de fonctionnement de cet urumin et qu'ils vont travailler à stabiliser le procédé et surtout, à le rendre tolérable pour l'être humain. Ils envisagent de mener de nombreux tests complémentaires et essais cliniques dans les années à venir.Le Dr Joshy Jacob, professeur agrégé de microbiologie et d'immunologie au centre des vaccins de la faculté de médecine Emory à Atlanta (Géorgie, Etats-Unis), qui a dirigé cette étude, aimerait aussi savoir si d'autres peptides provenant des muqueuses de grenouilles pourraient être efficaces contre les virus de la dengue, le VIH, Ebola ou encore Zika. Il est vrai que l'urumin n'a eu aucun effet contre ces autres virus humains." Nos travaux suggèrent que les peptides représentent une base en vue de nouveaux médicaments antiviraux ", s'est-il félicité. Selon lui, ces agents pourraient être particulièrement utiles contre les nouvelles souches émergentes de grippe quand il n'y a pas encore de vaccin, et il est convaincu que dans quelques années, l'urumin deviendra une alternative de choix pour lutter contre cette maladie...Source : Immunity, 18 avril 2017, DOI : 10.1016/j.immuni. 2017.03.018