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"La douleur chronique n'a généralement aucun lien avec la lésion causale, mais résulte de la neuromodulation, et même des changements structurels anatomiques dans le système nerveux à différents niveaux. Ce sont ces mécanismes que nous tentons de décrire pour nous aider à orienter le traitement. Le temps du traitement purement symptomatique est révolu. Aujourd'hui, la douleur est toujours traitée de manière multi-modale et pluridisciplinaire. "Une douleur est qualifiée de chronique quand sa durée est désormais de 3 mois, au lieu de 6. Certains disent même qu'après 2 mois déjà, on ne peut plus parler de processus normal. " Une plainte pour une douleur disproportionnée par rapport au facteur déclenchant ou qui n'évolue pas spontanément vers une disparition ou une diminution doit alerter le médecin. "Quels facteurs de risque contribuent à la douleur chronique ?Le meilleur traitement contre la douleur chronique est une bonne approche de la douleur aiguë. Pour éviter que celle-ci n'évolue vers la chronicité, les patients doivent pouvoir aller plus tôt dans un centre de la douleur. Ce n'était souvent pas possible par le passé, comme l'ont dénoncé à juste titre les médecins généralistes. Désormais, ce le sera. " La tendance est de créer des circuits, de prévoir des entrées séparées, des trajets de soins spécifiques pour les patients avec une douleur aiguë, subaiguë et certains facteurs de risque ; ils peuvent alors être pris en charge dans un centre de la douleur où cette dernière sera traitée de manière plus agressive. "Même avant une opération risquée, les patients à haut risque de chronicisation de la douleur peuvent être identifiés : ceux présentant des antécédents de douleur prolongée, qui prennent des antidouleurs sur le long terme, avec des syndromes d'anxiété majeurs... Il existe également des procédures à haut risque : chirurgie de l'épaule, de la hernie, thoracotomie... Chez les patients en chimiothérapie, les troubles sensoriels sont des signes d'alarme importants, qui justifient également une prise en charge rapide. " Ces patients n'auront pas besoin d'un suivi à long terme : après l'élaboration et la mise en place d'un traitement, ils pourront être rapidement référés au médecin généraliste. Mais en tant que centre de la douleur, nous restons disponibles pour intervenir si on nous le demande. "Le mécanisme qui sous-tend cette évolution de la douleur n'est pas encore clair, mais le taux de réussite pour supprimer la douleur en phase subaiguë est nettement supérieur à celui de la phase chronique.Comment prévenir la chronicisation ?L'objectif est d'éliminer le plus possible la douleur périopératoire car c'est à ce moment que débute réellement la chronicisation. " En barrant les voies afférentes, nous essayons de supprimer autant que possible les signaux douloureux vers le cortex somato-sensoriel, pendant l'intervention ainsi que durant la période post-opératoire. Nous voudrions qu'un tel effet préemptif soit considéré comme une norme standard pour tout le monde. Lorsque l'état de conscience n'est plus actif, nous pouvons objectivement observer l'activation des différentes voies de la douleur. Nous sommes régulièrement étonnés de voir la quantité d'activité qui se poursuit malgré notre prise en charge périopératoire standard de la douleur (basée sur la pression artérielle, la fréquence cardiaque, les mouvements). Un signal qui se déclenche à un endroit se poursuit en postopératoire et si des facteurs de risque sont présents, la porte à la chronicisation est ouverte. Nous utilisons donc davantage d'analgésiques pendant l'opération. Ce problème est également connu en réanimation : les patients sont sous sédatifs, mais parfois leur douleur n'est pas soulagée et ils ne sont pas en mesure de le signaler. Mais il est bien connu que cela déterminera leur pronostic, leur morbidité (éventuellement la mortalité, bien que ce ne soit pas encore prouvé), et influencera les processus de guérison. "Peut-on mesurer l'intensité de la douleur ?Mesurer objectivement l'intensité de la douleur est très difficile, voire impossible. " Ce que nous pouvons mesurer, c'est l'intégrité des systèmes ascendant et descendant : comment fonctionnent les nocicepteurs de la peau, la corne dorsale de la moelle épinière (pour obtenir une sensitivité centrale) et le contrôle inhibiteur descendant ? En cas de douleurs chroniques, nous remarquons de plus en plus souvent que ce dernier système est défaillant : au lieu d'essayer de supprimer la douleur, celle-ci est augmentée ; savoir cela est important pour le traitement. "La pupillométrie - à savoir la mesure du réflexe de la pupille pour refléter l'activation du signal ascendant - est un paramètre fiable et reproductible. Le réflexe nociceptif H1 mesuré avant et après une médication peut également fournir des informations sur l'inactivation du système ascendant. " Nous essayons - même si c'est beaucoup plus difficile - de continuer à traiter les patients souffrant de douleur chronique. "Si le patient est sorti de l'hôpital, il peut être contrôlé en permanence par télémétrie : score de douleur, sommeil, nausées, prise de médicaments, mobilisation... sont autant de données transmises via une plate-forme sécurisée. Si l'évolution n'est pas celle escomptée, le patient doit appeler la consultation pour optimiser le contrôle de sa douleur. " Notre salle du personnel est donc devenue une salle de conférences où nous vérifions les informations envoyées du domicile du patient vers la plateforme ; nous pouvons contacter directement le médecin généraliste et l'infirmière à domicile. "Utilisons-nous trop et trop souvent les opioïdes ?" En Belgique, nous sommes loin de l'engouement pour les opioïdes connu aux États-Unis, mais une tendance se marque. Le problème est que chez nous, dans certains cas, on franchit le pas trop rapidement vers les opioïdes forts (palier 3), alors que l'on devrait plus souvent se demander : est-ce que j'opte pour un opioïde plus faible, de palier 2, ou une approche multimodale ? La combinaison d'un antalgique plus faible avec un anti-épileptique, ou un antidépresseur, ou encore un traitement topique (patch de lidocaïne, de capsaïcine) n'est pas suffisant. " L'électrothérapie (TENS ou EMS) en combinaison avec un antidouleur plus faible peut aussi donner un bon effet analgésique. " D'autant que le cancer est aujourd'hui traité de manière chronique, il faut dès lors envisager des traitements par phases. En cas d'hyperalgésie induite par les opioïdes - lorsque l'opioïde fait persister, voire aggrave, la douleur - en augmenter la dose est la dernière chose à faire. Le message à retenir est qu'il faut les réduire et les alterner. Cette alternance n'est pas habituelle en Belgique. "Le cannabis médical aide-t-il contre la douleur ?Le cannabis à des fins médicales n'a pas d'avenir en tant qu'analgésique ; contrairement aux produits et formes d'administration contenant des concentrations clairement définies de THC et de CBD - deux parmi la soixantaine de cannabinoïdes contenus dans le cannabis. Les études disponibles sont limitées, portent sur un petit nombre de patients et dans des traitements de courte durée... mais elles sont positives.Le THC est la composante psychoactive du cannabis, mais il agit également sur les récepteurs aux cannabinoïdes et fournit ainsi l'effet analgésique. Il faut aussi prendre en compte le CBD, un modulateur de l'effet du THC, qui peut le diminuer ou, au contraire, le renforcer. Les produits aux concentrations connues de THC et de CBD, comme on en trouve aux Pays-Bas, pourraient avoir un avenir. " Je suis convaincu que les cannabinoïdes standardisés peuvent jouer un rôle en tant que traitement médicamenteux : ils peuvent aussi être utiles dans un contexte multimodal, puisqu'ils peuvent réduire la consommation d'opioïdes. " Mais les produits achetés aux Pays-Bas ne peuvent pas franchir la frontière légalement. En Belgique, une préparation à base de cannabis médicinal est disponible via le neurologue et la pharmacie hospitalière contre la spasticité dans la sclérose en plaques.