Le syndrome de Gilles de la Tourette associe presque toujours des tics moteurs et vocaux à une ou plusieurs comorbidités psychiatriques.
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Trois à quatre fois plus fréquent chez l'homme que chez la femme, le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) touche environ une personne sur 200. Son diagnostic reste clinique. Selon les critères du DSM-5, il débute avant l'âge de 18 ans et se caractérise par des tics moteurs et vocaux apparaissant de manière régulière durant plus d'un an, et sans que la cause en soit la prise de drogue ou une autre affection neurologique. Les symptômes se manifestent avant l'âge de 11 ans chez 96% des individus et la sévérité des tics, qui peut être mesurée objectivement par la Yale Global Tic Severity Scale (YGTSS), atteint généralement un pic entre 10 et 12 ans. Les tics ne représentent cependant qu'une facette du syndrome, dans la mesure où ils sont presque toujours associés à une ou plusieurs comorbidités psychiatriques - un déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité, des troubles obsessionnels compulsifs ou encore un trouble du spectre autistique. "En outre, des crises de colère, des assuétudes à des substances ainsi que de l'anxiété sont possibles. En revanche, les patients sont dotés d'une intelligence normale, et il n'y a pas de risque d'une évolution du syndrome vers un état démentiel", signale le neurologue Gaëtan Garraux, professeur à l'ULiège et maître de recherches honoraire du FNRS au sein du GIGA-CRC in vivo Imaging. Et d'ajouter: "Toutefois, les tics, les comorbidités psychiatriques, leurs conséquences psychosociales et leur traitement pharmacologique sont susceptibles d'interférer avec les apprentissages scolaires."En première approximation, on peut considérer qu'à l'âge adulte, un tiers des tics disparaissent complètement, un tiers s'améliorent et un tiers continuent sans s'atténuer. D'où l'intérêt des études visant à déterminer pourquoi les tics s'évanouissent spontanément chez nombre de patients, l'élucidation de cette "mécanique libératoire" étant susceptible d'ouvrir des pistes thérapeutiques pour les cas persistants. À l'heure actuelle, les examens neuropathologiques n'ont détecté aucune anomalie cérébrale reproductible dans le SGT, même si les circuits moteurs et limbiques des noyaux gris centraux sont fortement impliqués dans la physiopathologie de la maladie. Il semble établi par ailleurs qu'il existe une prédisposition génétique au SGT. "50% des jumeaux monozygotes et environ 8% des apparentés de premier degré montrent une concordance pour ce syndrome. Cependant, les gènes de prédisposition à la maladie, probablement nombreux et agissant en interaction, n'ont pas encore été identifiés, rendant un diagnostic moléculaire pour l'instant impossible", soulignent les chercheurs de l'Institut du Cerveau (ICM), à Paris. À ces gènes de prédisposition se grefferaient d'autres facteurs, déclencheurs du syndrome. "On a évoqué l'hypothèse d'une réaction auto-immune en relation avec une infection par les streptocoques de groupe A et le développement d'anticorps antistreptolysine. Cela reste flou: il pourrait s'agir d'un facteur de risque, mais non de la cause de la maladie", rapporte le Pr Garraux. L'exposition à des toxiques pouvant se manifester pendant le développement in utero et après la naissance a également été évoquée. Mouvements brusques, involontaires et répétés, les tics moteurs pourraient être confondus avec des secousses musculaires d'une autre origine, dont une maladie de Huntington débutante. Toutefois, les tics, tant moteurs que vocaux, sont souvent précédés d'une sensation prémonitoire qui permet de les différencier d'autres types de secousses musculaires, ce qui constitue un critère important pour le diagnostic clinique. "Dans ce contexte, le sujet peut bloquer temporairement un tic, durant quelques secondes, voire quelques dizaines de seconde", explique Gaëtan Garraux. "Cependant, une sensation de tension interne irrésistible qui s'impose à l'individu apparaît alors et s'amplifie tant que le tic n'a pas été libéré."Les tics peuvent être classés en moteurs ou vocaux, simples ou complexes. Parmi les tics moteurs simples figurent par exemple des clignements palpébraux ou des haussements d'épaule et parmi les autres, plus complexes, notamment le fait de se mettre à sautiller, de reproduire des mouvements effectués devant soi par d'autres personnes (échopraxie), de se livrer à des gestes obscènes (copropraxie), etc. Dans de rares cas, les tics moteurs exposent le patient à d'éventuelles conséquences dramatiques. Le Pr Garraux cite l'exemple de mouvements de bascule répétés de la tête vers l'arrière qui finissent par induire une compression de la moelle épinière par déformation osseuse et discale. Les tics vocaux, eux aussi, sont tantôt élémentaires - raclements de gorge, toussotements, vocalisations brèves... - tantôt plus complexes, comme dans le cas de la répétition de mots orduriers ou scatologiques (coprolalie), de syllabes ou de mots sans connotation grossière (palilalie) ou encore de paroles ou chutes de phrases d'un interlocuteur (écholalie). Parmi les autres caractéristiques des tics, citons la présence de facteurs précipitants, la capacité à les supprimer temporairement, un degré de sévérité variable et l'évolution du répertoire de tics en poussées-rémissions. Certains tics disparaissent pour être remplacés par de nouveaux ou par de plus anciens qui étaient en rémission. On ignore la cause de ces vagues et de ces creux. Comme susmentionné, le diagnostic de SGT demeure clinique. Ainsi que le souligne l'ICM, il est différentiel, dans la mesure où il convient d'éliminer l'éventualité de pathologies telles que l'épilepsie, la maladie de Huntington, certaines dystonies, de simples TOC ou une lésion cérébrale traumatique ou infectieuse. Néanmoins, des examens complémentaires comme l'IRM ou l'électroencéphalographie s'avèrent rarement nécessaires. Les approches thérapeutiques du SGT sont symptomatiques. Elles se déclinent en trois catégories: cognitivo-comportementales, pharmacologiques et chirurgicales. Dans tous les cas, il est important d'informer le patient, sa famille, ses enseignants ou ses employeurs et tous ceux qui interagissent avec lui, sur le SGT, ses comorbidités et son évolution naturelle. Pour chaque cas individuel, une première question se pose: faut-il initier un traitement, sachant que, la plupart du temps, le syndrome entre en rémission à l'âge adulte et que si l'on recourt à des médicaments, ils ne sont pas sans effets secondaires? Une intervention est indiquée lorsque les symptômes du SGT interfèrent avec les interactions sociales, les performances scolaires ou professionnelles, les activités de la vie quotidienne, ou lorsqu'ils causent un inconfort subjectif, une douleur ou des blessures. Cependant, le traitement des tics conduit rarement à leur disparition. Compte tenu de l'évolution naturelle en poussées-rémissions, l'indication de poursuivre un traitement doit être continuellement remise en question. Selon l'ICM, l'utilisation des thérapies cognitivo-comportementales vise à déconstruire l'association existant entre la sensation prémonitoire qui précède la survenue du tic et sa réalisation, le but étant que l'envie de tiquer disparaisse à terme. Une des techniques consiste à apprendre de façon semi-automatique à se focaliser sur une autre partie du corps que celle où l'on sent que le tic va émerger. "Les techniques cognitivo- comportementales sont validées scientifiquement pour le SGT mais, malheureusement, peu de thérapeutes les maîtrisent actuellement en Belgique", regrette le Pr Garraux. L'approche médicamenteuse est celle qui a été la moins étudiée. Comme le SGT est une pathologie hyperkinétique, l'utilisation de molécules antidopaminergiques comme les neuroleptiques est fréquente. Antipsychotique atypique, l'aripiprazole est destiné à l'enfant. "Par rapport à d'autres neuroleptiques, il présente l'avantage d'effets secondaires métaboliques moindres", fait remarquer le Pr Garraux. De surcroît, en cas de présence d'un déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité comme comorbidité associée aux tics, l'aripiprazole est de nature à accroître les troubles attentionnels. Un antihypertenseur, la clonidine, est recommandé à petites doses lorsque ces derniers coexistent avec les tics. Effet secondaire principal: une certaine somnolence. La tétrabénazine, elle, peut être envisagée comme un substitut des neuroleptiques, mais est susceptible d'engendrer des troubles de l'humeur. "En outre, des antiépileptiques ont été essayés. Il s'agit toutefois de traitements mal codifiés et peu standardisés", précise Gaëtan Garraux. Enfin, les tics vocaux peuvent aussi être améliorés par des injections de toxine botulique. L'utilisation de dérivés du cannabis peut éventuellement être envisagée chez l'adulte. Encore faut-il - on y revient - que le rapport bénéfices-risques soit suffisant pour proposer un traitement par médicaments. La question ne se pose pas face aux formes sévères du syndrome et, à intensité égale, une thérapie médicamenteuse se justifie davantage pour les tics vocaux, plus invalidants sur le plan des relations sociales, que pour les tics moteurs. Il existe une troisième voie de prise en charge: la stimulation cérébrale profonde (SCP), qui n'est pas reconnue par l'Inami dans le cadre du SGT. Plusieurs cibles ont été testées, principalement le thalamus et le pallidum. Pour l'heure, en l'absence de vastes études comparatives, aucune cible ne semble avoir montré une supériorité par rapport aux autres. A priori, la SCP s'adresse préférentiellement à des patients adultes réfractaires aux approches cognitivo-comportementales et médicamenteuses, surtout lorsque leur intégrité physique est en danger. Par exemple, en présence de tics consistant en des mouvements de bascule répétés de la tête vers l'arrière.