La cardiomyopathie est une maladie du muscle cardiaque, qui présente des anomalies structurelles et fonctionnelles, alors que le patient ne présente pas d'affections telles qu'une coronaropathie, une hypertension, une valvulopathie ou une malformation cardiaque congénitale suffisamment sévère pour pouvoir expliquer la souffrance du muscle cardiaque. Comme il existe un grand nombre de tableaux différents, les cardiomyopathies sont souvent désignées au pluriel.
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Récemment, les cardiomyopathies ont fait l'objet d'une attention croissante, principalement en raison d'une amélioration du diagnostic, ce qui est en partie liée aux progrès de la génétique. En outre, d'importants développements thérapeutiques permettent de mieux traiter et stabiliser les cardiomyopathies. En 2023, pour la première fois, la Société européenne de cardiologie a publié des lignes directrices pour la prise en charge de la cardiomyopathie. "Il est important de sensibiliser à la fois les médecins et les patients à l'existence des cardiomyopathies car ce groupe de maladies est plus fréquent qu'on ne le pensait", déclare le Pr Steven Droogmans (département de cardiologie, UZ Brussel). La prévalence globale est estimée entre 1/500 et 1/250 personnes. Les symptômes peuvent varier d'un patient à l'autre, ou être totalement absents. Les patients peuvent se présenter avec une cardiomyopathie soit à l'occasion de plaintes évocatrices, soit sur la base d'une découverte fortuite à l'examen clinique ou lors d'un examen complémentaire, ou encore dans le cadre d'un dépistage familial. Les symptômes évocateurs sont l'essoufflement, les douleurs thoraciques, les palpitations, la (pré)syncope ou l'arrêt cardiaque. Parfois, le problème présenté est d'une nature différente, non cardiaque, mais une cardiomyopathie est mise en évidence parce qu'elle fait partie d'une maladie systémique sous-jacente. Les découvertes fortuites peuvent inclure un souffle cardiaque, un trouble du rythme cardiaque, des anomalies à l'ECG, etc. Les symptômes varient en fonction de l'âge du patient et du type de cardiomyopathie. La cardiomyopathie hypertrophique, par exemple, peut se manifester chez les jeunes par un arrêt cardiaque entraînant une mort subite. Plus tard dans la vie, la maladie se manifeste plutôt par des symptômes typiques de l'insuffisance cardiaque ou, par exemple, par un accident vasculaire cérébral dû à un trouble du rythme cardiaque. La cardiomyopathie résulte souvent d'une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux. La transmission génétique peut se faire selon un large éventail de schémas: autosomique dominant ou récessif, dominant ou récessif lié au chromosome X, mitochondrial, multifactoriel, etc. Les facteurs environnementaux pertinents comprennent: les infections affectant le coeur (myocardite), la consommation excessive d'alcool, l'usage de drogues (amphétamine et cocaïne), de médicaments anticancéreux (cytostatiques). Le diagnostic repose sur une classification basée sur la morphologie et la fonction du muscle cardiaque. Cette classification distingue cinq sous-types ou phénotypes de cardiomyopathie: · Cardiomyopathie hypertrophique (CMH, prévalence 1/500 adultes) · Cardiomyopathie dilatée (CMD, prévalence 1/2.500 - 1/500) · Cardiomyopathie ventriculaire gauche non dilatée (CVGND, prévalence encore inconnue) · Cardiomyopathie arythmogène du ventricule droit (CAVD, 1/2.500) · Cardiomyopathie restrictive (CMR, rare) "Les chiffres de prévalence montrent que la cardiomyopathie hypertrophique et la cardiomyopathie dilatée sont des sous-types particulièrement importants. La cardiomyopathie arythmogène du ventricule droit est plus rare, mais non négligeable", commente le Pr Droogmans. Les taux de prévalence des différents sous-types de cardiomyopathie évoluent et peuvent varier considérablement en fonction de la source, ce qui s'explique par la sensibilisation croissante à ces affections. La forme la plus courante de cardiomyopathie restrictive, par exemple, est l'amylose cardiaque. Les taux de prévalence de cette maladie ont augmenté de manière significative ces dernières années. Sa prévalence est actuellement estimée à 1/1.000 dans la population générale. · La cardiomyopathie hypertrophique (avec ou sans obstruction) est une affection dans laquelle le muscle cardiaque présente un épaississement inapproprié. Souvent, mais pas toujours, cela est dû à une anomalie génétique sous-jacente. Chez 40 à 60% des patients, une anomalie est détectée dans les gènes codant pour les sarcomères (les plus petites unités contractiles du muscle cardiaque). Ces patients peuvent rester longtemps asymptomatiques, mais avec le temps, des troubles du rythme cardiaque, parfois accompagnés d'un accident vasculaire cérébral, et une insuffisance cardiaque peuvent se développer. Typiquement, la maladie est transmise selon le mode autosomique dominant, ce qui signifie que les enfants d'un porteur ou d'une porteuse ont 50% de chances d'être eux-mêmes porteurs du gène anormal. Le statut de porteur ne signifie pas nécessairement que la personne développe une cardiomyopathie hypertrophique, car la pénétrance varie considérablement. "Il est important de ne pas baser le diagnostic uniquement sur la morphologie du muscle cardiaque", prévient Steven Droogmans. "Il existe en effet des pathologies qui provoquent un épaississement du muscle cardiaque, mais qui ne sont pas dues à une anomalie du muscle cardiaque lui-même. Elles résultent, par exemple, de l'accumulation dans le tissu de produits de dégradation, comme c'est le cas dans la glycogénose ou l'amylose. On parle de phénocopies: ces affections imitent la cardiomyopathie hypertrophique mais ont une cause sous-jacente spécifique et souvent un traitement différent. De telles origines sont retrouvées chez environ 10% des patients atteints de cardiomyopathie hypertrophique." Dans les 30 à 40% de cas restants, aucune cause sous-jacente n'est identifiée. · La cardiomyopathie dilatée résulte d'un affaiblissement du muscle cardiaque, ce qui engendre une dilatation de la cavité cardiaque et une réduction de la fonction de pompe du ventricule gauche. Là encore, il peut y avoir une prédisposition génétique sous-jacente, mais moins fréquemment que dans le cas de la cardiomyopathie hypertrophique (environ 30 à 40% des cas). Il est donc d'autant plus important de rechercher d'éventuelles affections sous-jacentes traitables, qui pourraient être à l'origine de la cardiomyopathie. Il peut s'agir d'abus de substances (alcool, cocaïne), de troubles endocriniens (tels que l'hypo- ou l'hyperthyroïdie), de carences nutritionnelles (sélénium, zinc), de maladies auto-immunes, etc. Le traitement de ces affections sous-jacentes peut normaliser la morphologie du muscle cardiaque. · La cardiomyopathie ventriculaire gauche non dilatée: cette affection a été décrite relativement récemment et est diagnostiquée chez des patients présentant des anomalies localisées de la fonction myocardique, sans dilatation du myocarde ni maladie coronarienne. La cause est souvent une infection ou un processus inflammatoire (myocardite, sarcoïdose). · La cardiomyopathie arythmogène du ventricule droit est souvent diagnostiquée à la suite d'un trouble du rythme cardiaque, pouvant entraîner une mort subite. Ces patients ont un coeur droit assez dilaté, parfois accompagné d'un coeur gauche quelque peu dilaté. Des anomalies génétiques sont fréquemment retrouvées chez eux (60% des cas), notamment dans les gènes codant pour les connexines, un groupe de protéines responsables de la dépolarisation coordonnée du muscle cardiaque. Dans ce processus, ce sont surtout les myocytes du coeur (droit) qui sont remplacés par de la graisse et de la fibrose, ce qui augmente le risque d'un trouble du rythme. · La cardiomyopathie restrictive est un tableau dans lequel le muscle cardiaque devient très rigide, sans épaississement. Parallèlement, une dilatation importante des oreillettes se produit. La forme purement primaire, due à une mutation génétique, est très rare. Il existe également des formes secondaires, liées à divers facteurs, tels que l'amylose, la glycogénose ou l'abus de drogues. "Cette énumération permet de réaliser qu'une même cause (comme l'amylose) peut déclencher différents sous-types de cardiomyopathie, ce qui nécessite une investigation diagnostique approfondie", conclut le Pr Droogmans dans sa réflexion. Pour un diagnostic correct, il est important d'intégrer toutes les données disponibles: l'anamnèse et l'examen clinique, en tenant compte non seulement des symptômes cardiaques mais aussi extracardiaques, les antécédents familiaux, une bilan sanguin général et parfois ciblé, un examen des tissus et des tests génétiques. Quelques exemples concrets peuvent clarifier les considérations ci-dessus. La maladie de Fabry est une maladie de surcharge caractérisée par une accumulation de sphingolipides dans différents tissus. La maladie est causée par une anomalie monogénique liée au chromosome X. Les femmes hétérozygotes présentent parfois des signes de la maladie. Le tableau clinique comprend des anomalies cutanées et rénales, mais surtout une neuropathie. Souvent, la maladie s'accompagne d'un phénotype de cardiomyopathie hypertrophique, qui est à l'origine d'anomalies spécifiques à l'ECG. L'amylose cardiaque peut avoir plusieurs causes. Elle peut être due à la précipitation de protéines anormales associées à une autre maladie, comme le myélome multiple. Une autre cause est la précipitation de transthyrétine aberrante (la protéine de transport de la thyroxine et de la vitamine A) causée par un trouble monogénique (ATTR familial ou héréditaire) ou par l'âge avancé (ATTR acquise ou de type sauvage). Les dépôts peuvent se produire dans les poignets, le dos et les tendons. Dix à quinze ans avant que le patient ne développe des symptômes cardiaques, la maladie peut se manifester par un syndrome du canal carpien bilatéral, une sténose lombaire basse et des ruptures spontanées de tendons. Ce sont là des signaux d'alerte qui doivent mettre la puce à l'oreille des médecins qu'une cardiomyopathie pourrait s'installer ultérieurement. "La connaissance des cardiomyopathies est importante à plusieurs titres", résume le Pr Droogmans. "Le diagnostic d'une cardiomyopathie peut inciter les praticiens à se méfier d'une pathologie sous-jacente, dans laquelle d'autres organes peuvent également être touchés. En outre, le nombre de traitements possibles pour la cardiomyopathie augmente, ce qui rend un diagnostic précoce d'autant plus souhaitable. Sur la base du diagnostic, on peut procéder à une stratification de risque, y compris pour les troubles du rythme cardiaque potentiellement mortelles (implanter un défibrillateur), et rester attentif aux complications telles que le risque d'événements thromboemboliques. Les patients diagnostiqués peuvent recevoir des conseils pertinents, par exemple pour la pratique du sport ou la grossesse. Enfin, en cas d'anomalie monogénique, il peut être opportun de dépister les membres de la famille apparentés, éventuellement en vue d'un diagnostic préimplantatoire."