La maladie de Huntington se situe au carrefour de symptômes moteurs, cognitifs, comportementaux et psychiatriques.
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Initialement appelée chorée de Huntington, alors que les manifestations choréiques qui la caractérisent ne constituent qu'un volet d'une triade de symptômes où elles côtoient des dysfonctionnements cognitifs et des troubles comportementaux et psychiatriques, la maladie de Huntington est une affection neurologique rare et héréditaire dont la prévalence moyenne, identique chez les hommes et les femmes, serait, selon une méta-analyse, de 4,8/100.000. Elle se déclare le plus souvent entre 35 et 50 ans, mais il en existe néanmoins une variante juvénile, la variante de Westphal (avant l'âge de 20 ans), qui représente moins de 10% des cas. "Le tableau clinique de ces formes infantiles peut suggérer, sur le plan moteur, une sorte de maladie de Parkinson", rapporte le neurologue Gaëtan Garraux, professeur à l'ULiège et maître de recherches honoraire du FNRS au sein du GIGA-CRC in vivo imaging. L'origine de la maladie de Huntington est établie. Elle est génétique: une mutation du gène HTT (appelé également IT15), codant pour la protéine huntingtine, localisé sur le chromosome 4. Ce gène comprend théoriquement une séquence de 35 répétitions du triplet de nucléotides CAG. "Le seuil généralement accepté pour le potentiel de développement de la maladie est de 36 répétitions. Les allèles avec 36 à 39 répétitions de CAG ont une pénétrance réduite et un phénotype plus typiquement caractérisé par un dysfonctionnement cognitif avant l'apparition de la chorée, ce qui peut entraîner un retard de diagnostic. Un individu dont l'allèle se situe entre 36 et 39 répétitions est exposé à un risque accru de développer la maladie mais peut ne pas exprimer de symptômes. La pénétrance complète se produit au-delà de 40 répétitions", précise Gaëtan Garraux. On estime généralement que, outre son effet sur l'âge d'apparition de l'affection, le nombre de répétitions CAG est positivement corrélé à la vitesse de progression de la maladie. L'affection est à transmission autosomique dominante, de sorte que les porteurs du gène muté ont un risque de 50% de le transmettre à leur descendance. Les transmissions intergénérationnelles sont associées soit à de légères augmentations d'une à quatre répétitions CAG, soit à de légères diminutions d'une à deux. "Cependant", signale le Pr Garraux, "la transmission paternelle peut parfois produire des augmentations beaucoup plus importantes, de l'ordre de sept répétitions CAG ou plus." Le diagnostic ne pouvant être posé qu'à partir du moment où le patient est symptomatique, ce qui n'advient le plus souvent qu'à l'âge adulte, il n'est pas rare que des enfants aient vu le jour entre-temps et développent ultérieurement la maladie. Dès lors qu'un cas a été diagnostiqué dans une famille, d'autres de ses membres peuvent se plier à un test génétique dont la décision doit être laissée au libre arbitre de chacun, notamment parce que certains "ne souhaitent pas savoir". "Pour des raisons éthiques évidentes, aucun test génétique ne peut être réalisé chez des sujets de moins de 18 ans qui sont asymptomatiques", souligne le Pr Garraux. En revanche, un diagnostic prénatal ou préimplantatoire peut être demandé selon certains critères. Les symptômes de la maladie sont donc de trois ordres: moteurs, cognitifs ainsi que psychiatriques et comportementaux. Parmi les premiers, la chorée est le plus évident. Elle se traduit par des mouvements brefs, brusques, involontaires et non stéréotypés du visage, du tronc et des membres. Au départ, elle est localisée, des secousses se manifestant par exemple au niveau d'un doigt ou d'un membre, puis elle peut s'étendre à tous les segments corporels. Chez de nombreux patients, la chorée atteint un pic environ dix ans après le début de la maladie, suivi d'un plateau et d'un déclin, tandis que la bradykinésie et la rigidité deviennent progressivement plus importantes aux stades avancés de la maladie. "Un phénomène parfois évocateur de la maladie est que les patients peuvent ne pas être conscients des mouvements et intégrer la chorée dans des actions volontaires", indique le Pr Garraux. La chorée peut s'accompagner d'autres troubles moteurs: une ataxie provoquant des pertes d'équilibre, des phénomènes de dystonie avec torsion des membres et des troubles du contrôle de saccades oculaires. L'impersistance motrice, c'est-à-dire l'incapacité à maintenir certains actes volontaires simples, comme la langue en protrusion hors de la bouche pendant plus de quelques secondes, est une autre manifestation courante. La maladie étant dégénérative, les troubles moteurs cheminent vers une incapacité à effectuer les mouvements requis pour se déplacer seul, se vêtir, se laver, se nourrir, voire communiquer. L'autonomie des patients s'en trouve quasi anéantie. Sur le plan cognitif, les dysfonctionnements, parfois précoces, évoluent vers un tableau de démence sous-corticale. La dégénérescence neuronale se situant au niveau des ganglions de la base, ces troubles s'expliqueraient par une déconnexion entre le noyau caudé et le cortex, spécialement le lobe frontal avec lequel ce noyau entretient une communication assidue. Aussi les fonctions exécutives (prise de décision, planification, etc.) sont-elles particulièrement impactées. "Des troubles du langage, de la perception visuelle peuvent apparaître et on observe souvent un ralentissement du traitement de l'information qui se traduit par un allongement du temps de réaction à une stimulation extérieure. Ce déclin cognitif aboutit généralement à une démence sévère dans les stades avancés de la maladie", peut-on lire de surcroît sur le site Internet de l'Institut du Cerveau (ICM - Paris). "Dans la maladie de Huntington, il y a une grande variabilité phénotypique dont les raisons demeurent assez énigmatiques", dit le Pr Garraux. "Le mode d'entrée dans l'affection peut être moteur, mais également cognitif ou psychiatrique et comportemental." Précisément, il n'est pas rare que des troubles psychiatriques et comportementaux précèdent les symptômes moteurs. De l'impulsivité, de la désinhibition comportementale évoquant celle des patients souffrant d'une démence frontale, bien qu'ici l'origine soit sous-corticale, sont fréquentes. De l'anxiété, de la dépression ou des accès de colère, aussi. En outre, des états psychotiques apparentés à la schizophrénie, avec des délires (chez 10% des patients environ), des hallucinations (rarement) ou des troubles obsessionnels (dans plus de 15% des cas) ne sont pas à exclure. "Les enfants sont plus susceptibles de présenter des caractéristiques psychiatriques et/ou cognitives importantes au moment de l'apparition de la maladie. La chorée est notablement absente", ajoute Gaëtan Garraux. D'autres symptômes peuvent encore se greffer à la triade clinique susmentionnée. Des troubles du sommeil et un dérèglement du rythme circadien en font partie, de même qu'un important amaigrissement, souvent précoce, en dépit d'apports caloriques normaux. Malgré des chiffres très variables d'un malade à l'autre, l'évolution de l'affection s'étend en moyenne sur une période d'une quinzaine d'années entre l'apparition des premiers symptômes et le décès du patient. Dégénérative, la maladie conduit à une perte d'autonomie, mais dont l'origine dépendra du phénotype clinique. Ainsi, des patients présentant peu de symptômes cognitifs et comportementaux seront dans l'incapacité de réaliser des gestes élémentaires de la vie quotidienne (s'habiller, mettre une cuiller en bouche...) en raison des phénomènes choréiques qui les tenaillent. Chez d'autres, par contre, où les symptômes moteurs sont peu prononcés, ce sont de sévères troubles cognitifs ou psychiatriques qui restreindront drastiquement leur autonomie. La plupart du temps, les patients finissent leurs jours dans un état grabataire, ou presque, et décèdent des complications d'une chute ou d'une infection. Le diagnostic de la maladie de Huntington se fonde dans un premier temps sur les symptômes exprimés par le patient et peut être conforté par la connaissance d'antécédents familiaux. Par ailleurs, la neuroimagerie est susceptible de permettre d'écarter l'occurrence d'une pathologie aux symptômes similaires. Enfin, le diagnostic clinique peut être confirmé de façon irréfutable par un test génétique visant à quantifier le nombre de répétitions du triplet CAG au sein du gène HTT. Purement symptomatiques, les traitements médicamenteux déployés dans le cadre de la maladie de Huntington dépendent du phénotype clinique et du stade d'évolution de la maladie. Des antipsychotiques ont souvent voix au chapitre: ils atténuent la chorée et les troubles comportementaux et psychiatriques, mais leurs effets secondaires potentiels sont nombreux, surtout s'il s'agit d'agents de première génération, tels que l'halopéridol ou la chlorpromazine, principalement utilisés dans les cas de chorée sévère. Si l'accent est mis sur la chorée, une autre molécule, la tétrabénazine, fait partie des médicaments préconisés en première ligne. Elle évite nombre d'effets secondaires des antipsychotiques mais expose le patient à un risque de dépression, notamment. Des antidépresseurs, des anxiolytiques ou des modulateurs de l'humeur sont fréquemment prescrits contre la dépression et l'anxiété. Chez des patients au stade avancé, qui peut durer cinq ans ou plus, les soins palliatifs multidisciplinaires sont importants. Une prise en charge par une équipe pluridisciplinaire est nécessaire pour le bien du patient, mais aussi de son entourage familial, eu égard au mode de transmission autosomique dominant de la maladie. De rares centres de référence conventionnés existent en Belgique. Ils travaillent en étroite collaboration avec la Ligue Huntington. Tandis que des thérapies géniques sont à l'essai, les tentatives de greffes de cellules souches au niveau du noyau caudé se sont soldées par des résultats décevants. De même que l'administration de facteurs de croissance.