Les médecins de première ligne jouent un rôle capital dans le paysage de la prévention du cancer du col de l'utérus, à la fois pour motiver à la vaccination et au dépistage, et pour assurer le suivi des frottis anormaux. Au niveau de la deuxième ligne, nous devons rester vigilants à l'égard du surtraitement, mais aussi du sous-traitement des femmes HPV-positives.
...
La colposcopie et les pathologies liées au HPV font partie des spécialités du Pr Philippe De Sutter, du service de Gynécologie et Gynéco-oncologie à l'UZ Brussel et à l'AZ St-Maria à Halle. Pour le JM Academy, il commente certains sujets de préoccupation concernant le dépistage du cancer du col de l'utérus et signale les nouveautés à venir en 2025. La méthode actuelle de dépistage du cancer du col de l'utérus recommande de réaliser un frottis tous les trois ans chez les femmes âgées de 25 à 65 ans. Les échantillons sont d'abord examinés au niveau cytologique, et ce n'est que si des cellules anormales sont trouvées en laboratoire que l'on recherche (parfois) la présence de HPV à haut risque [1]. Début 2025, l'approche pour les femmes âgées de 30 à 65 ans changera. Chez elles, nous passerons alors au dépistage primaire du HPV, à l'aide d'un test HPV tous les cinq ans. Bientôt, nous procéderons dans le sens inverse: si le statut HPV à haut risque revient positif, une cytologie réflexe pourra être réalisée sur le même échantillon. Nous devons encore attendre l'annonce officielle du nouvel algorithme (et de sa date d'entrée en vigueur), mais la proposition implique que: 1. En présence d'un HPV de type 16 ou 18, la patiente sera immédiatement référée pour une colposcopie ; 2. En présence d'un autre type d'HPV (autre que 16 ou 18), l'indication de colposcopie sera limitée aux patientes chez qui des anomalies cytologiques sont détectées lors de la cytologie réflexe. En cas de cytologie normale, il sera conseillé de réaliser un nouveau test HPV l'année suivante. "Au sein de la profession de gynécologue, comme dans d'autres pays, nous préconisons cette nouvelle politique de dépistage depuis des années", déclare le Pr De Sutter. "Le dépistage primaire des types de HPV de haut risque augmentera considérablement la sensibilité du dépistage au sein de la population. Nous connaissons tous des patientes dont le frottis était normal, mais chez qui un carcinome cervical invasif a été diagnostiqué après quelques temps. Un dépistage du cancer qui échoue, c'est très regrettable." Par ailleurs, surtout chez les femmes les plus jeunes, il faut se méfier du surtraitement d'infections à HPV transitoires, banales. Par conséquent, les modalités de dépistage ne changent pas pour les femmes de moins de 30 ans. Pour elles, c'est toujours le dépistage cytologique qui prime. Aujourd'hui, la grande majorité des frottis sont réalisés par des gynécologues. "Alors que la prévention et le dépistage relèvent en fait de la première ligne", estime le Pr De Sutter. "Les médecins généralistes peuvent également contribuer à assurer une couverture plus large de la population, car tout le monde ne se rend pas régulièrement chez le gynécologue", ajoute-t-il. En Belgique, le dépistage reste insuffisant, surtout dans la tranche d'âge des 25-29 ans et chez les femmes de plus de 60 ans, selon des chiffres récents. "Le message pour ce premier groupe est qu'un frottis tous les trois ans, même après la vaccination contre le HPV, reste important", précise le spécialiste. "Les femmes âgées de 60 ans et plus doivent faire l'objet d'une plus grande attention. Je crois que le programme de dépistage devrait tenir compte de l'allongement de l'espérance de vie et l'augmentation de l'activité sexuelle - je pense ici aux secondes relations plus tard dans la vie et aux éventuelles réinfections par le HPV. Il est certain que les femmes qui ont connu une pathologie cervicale (avec une colposcopie, une biopsie, un statut HPV positif ou une conisation dans les antécédents) ont intérêt à être suivies plus longtemps. Elles restent "à risque" de cancer du col de l'utérus même à un âge plus avancé", souligne le Pr De Sutter. Dans le nouvel algorithme, un test HPV unique sera également proposé aux femmes qui n'ont pas été dépistées auparavant et qui ont plus de 65 ans. Pour cibler les femmes et éventuellement les inciter au dépistage, les médecins généralistes peuvent surveiller la date du frottis le plus récent de leurs patientes. Des projets pilotes d'autotest HPV, dans lesquels les femmes reçoivent à domicile un kit de test avec un écouvillon vaginal, sont également en cours. De cette manière, on espère atteindre bientôt un plus grand nombre de femmes. Après le test, il est essentiel d'assurer un suivi adéquat. Le protocole du pathologiste est envoyé au médecin traitant. Ce dernier doit interpréter correctement le résultat et contacter pour des examens de suivi les patientes dont les frottis sont anormaux [2]. "Des erreurs administratives sont facilement commises", relève le Pr De Sutter. "Les frottis de qualité insuffisante ne sont souvent pas refaits. Les femmes ne viennent pas toujours nous trouver à temps pour la mise au point requise, alors que le tri pour la colposcopie est justement crucial." Soit la colposcopie ne révèle aucune anomalie et la femme peut être suivie par les examens de contrôle nécessaires. Soit la colposcopie révèle des anomalies et une biopsie est pratiquée. Le suivi ou le traitement immédiat dépendent alors de la nature des lésions, qu'elles soient de bas grade (néoplasie intraépithéliale cervicale ou CIN1) ou de haut grade (CIN3). Pour les lésions intermédiaires, CIN2, une évaluation individuelle du risque est effectuée. Le suivi peut parfois durer des années. "Tant qu'il n'y aura pas de traitement spécifique pour le HPV, il n'y aura malheureusement pas d'autre solution." Et d'ajouter: "Le suivi est essentiel pour les lésions de bas grade ou intermédiaires qui peuvent régresser, mais progressent parfois. Par ailleurs, les femmes doivent être rassurées: il est plutôt rare que les changements induits par le HPV deviennent effectivement cancéreux. La colposcopie continue à relever de la prévention." L'arrêt du tabac peut parfois aider à "éliminer" l'infection par le HPV. "Mais c'est bien la seule chose que les femmes HPV-positives peuvent faire elles-mêmes. L'utilisation de préservatifs n'a pas beaucoup de sens, toutes sortes de traitements locaux n'ont pas suffisamment prouvé leur efficacité et la vaccination n'est pas non plus d'une grande utilité dans le cadre thérapeutique. En revanche, elle permet de prévenir les réinfections par d'autres types de HPV à l'avenir", souligne le Pr De Sutter. Le taux de vaccination des jeunes filles, du moins du côté flamand, est élevé. Dans ces jeunes cohortes, on observe déjà une évolution des types de HPV, qui sont moins agressifs, mais peuvent rester plus latents. Il existe également une relation entre le HPV et le cancer de l'anus et de l'oropharynx. La vaccination des garçons ne sert donc pas exclusivement à protéger les (jeunes) femmes. Pour éviter que les lésions de haut grade (CIN2-3) ne se transforment en cancer invasif du col de l'utérus, une conisation du col de l'utérus est effectuée par excision à l'anse (LEEP ou LLETZ). [3] "Néanmoins, selon les données de l'Inami, en 2020, quelque 4,6% des conisations en Belgique concernaient quand même des femmes de moins de 25 ans. En 2010, ce chiffre était même encore de 10%! Il s'agit de femmes qui n'avaient pas encore besoin d'être dépistées, car le risque de cancer chez elles est minime", indique le Pr De Sutter. Ainsi, dans les populations jeunes, nous avons peut-être tendance à surtraiter les lésions non significatives. La vaccination permettra peut-être de réduire encore ce phénomène. "Dans de nombreux centres, les conisations sont systématiquement réalisées sous anesthésie générale au cours d'une hospitalisation de jour, alors que, selon notre expérience, 95% d'entre elles peuvent être réalisées en ambulatoire, lors de la consultation, sous anesthésie locale", note le Pr De Sutter. Bientôt, beaucoup plus de femmes seront référées pour une colposcopie, sur la base d'un dépistage hrHPV positif. "Cela va probablement surcharger la consultation. Il sera plus difficile d'identifier les lésions significatives", reconnaît le Pr De Sutter. "Là encore, nous devons veiller à ce que cela n'entraîne pas trop de biopsies et trop de conisations pour des infections à HPV non significatives sans risque réel de carcinome cervical. Chez les jeunes femmes qui n'ont pas encore eu d'enfants, nous devrions être suffisamment prudents. Chez les femmes de plus de 60-65 ans, nous ne pouvons pas être trop prudents, parce qu'il arrive que nous leur diagnostiquions une pathologie", conclut-il. Avec l'introduction du dépistage primaire HPV, les examens colposcopiques réalisés par des experts devront également être mieux valorisés. En effet, la profession devra développer des programmes de formation adéquate et de formation continue, tout en procédant au contrôle de qualité des examens et des traitements effectués.