Quel rôle joue l'IA dans la radiologie aujourd'hui, et quelles en sont ses limites? Le Pr Lennart Jans, maître de conférences à la faculté de médecine et radiologue à l'U(Z)Gent, met en lumière un certain nombre d'applications médicales et explique pourquoi l'IA est en plein essor justement dans sa spécialité.

DICOM

Les images médicales sont stockées et échangées dans le même format informatique depuis les années 1970. Cette norme mondialement acceptée a été baptisée DICOM (Digital Imaging and Communications in Medicine) - le PDF de la radiologie, en quelque sorte. "Les images radiologiques se prêtent donc particulièrement bien à l'apprentissage automatique", explique le Pr Jans. "Les algorithmes doivent certes être formés pour un diagnostic ou une application spécifique, dans une modalité d'imagerie spécifique. Mais cela fonctionne parce que nous pouvons y introduire de grandes quantités de données uniformes et de données d'apprentissage. Les données non structurées, telles que le texte libre des rapports médicaux ou les images vidéo des examens neurologiques, se prêtent beaucoup moins à l'apprentissage d'un tel modèle", explique-t-il.

L'assistance de l'IA a depuis longtemps cessé d'être un luxe en radiologie.

La toute première application clinique de l'IA en radiologie était une forme d'aide au triage pour les situations urgentes. Le logiciel intelligent recherchait un certain nombre d'affections urgentes et potentiellement mortelles, et nous permet d'identifier plus rapidement les cas importants. Les images sont placées en tête de notre liste de travail, ce qui nous permet de vérifier immédiatement le diagnostic proposé."

Une deuxième application diagnostique à venir est le suivi des tumeurs. "Un outil d'IA peut identifier la tumeur et surveiller son volume, par exemple pendant et après un traitement oncologique. Ces mesures sont plus précises, plus simples et plus efficaces que si nous les réalisions manuellement", indique le Pr Jans. D'ailleurs, l'assistance de l'IA a depuis longtemps cessé d'être un luxe en radiologie. Les examens sont de plus en plus étendus et détaillés. Il s'agit parfois de milliers d'images pour un seul examen, alors que le spécialiste dispose d'à peine dix minutes pour rédiger son rapport. "Nous cherchons ce que nous devons chercher ; nous n'avons pas de temps pour le reste."

Dépistage

C'est pourquoi justement, à l'heure actuelle, l'IA peut également servir de deuxième paire d'yeux, pour dépister des choses qui ne sont pas nécessairement attendues, mais pour lesquelles un traitement précoce est très utile. "Par exemple, nous avons mis au point un algorithme d'IA qui recherche des anomalies rhumatismales sur des images de CT réalisées pour une autre raison. Le logiciel peut détecter des lésions caractéristiques dans les articulations sacro-iliaques, telles que des érosions et des déformations osseuses, avant même que les patients ne présentent des symptômes cliniques. Nous en tirons de grands bénéfices, car un traitement précoce de rhumatismes peut prévenir des lésions structurelles graves et améliorer considérablement la qualité de vie de ces patients", commente Lennart Jans.

Grâce à cette application, les maladies rhumatismales telles que la spondylarthrite risquent moins de passer inaperçues. En effet, même chez les personnes présentant des symptômes, le diagnostic n'est pas toujours évident. Dans une étude à grande échelle [1] portant sur des patients atteints de la maladie de Crohn et souffrant de douleurs dorsales, un seul diagnostic de polyarthrite rhumatoïde a été posé sur le scanner abdominal, alors que 24 patients présentaient des "biomarqueurs iconographiques" de cette maladie inflammatoire. "En raison de l'énorme flux de données que les radiologues doivent traiter dans un court laps de temps, des zones d'ombre apparaissent. L'IA peut nous aider à voir plus clair", ajoute-t-il.

Investir sélectivement

Ne verrons-nous pas trop d'anomalies dans le futur, y compris celles que nous ne devrions pas voir? "L'utilisation de l'IA en radiologie présente trois avantages", explique le Pr Jans. "Contrairement à un test de laboratoire, par exemple, les algorithmes nous permettent de définir nous-mêmes la sensibilité et la spécificité. En fonction du type d'affection ou des besoins de dépistage, vous pouvez choisir une spécificité plus élevée (si le logiciel détecte quelque chose de suspect sur l'imagerie, on peut se fier à son diagnostic) ou une sensibilité plus élevée (si quelque chose de suspect peut être vu sur l'imagerie, le logiciel le détectera effectivement). Vous pouvez ajuster ces valeurs en fonction de l'importance qu'il y a à éviter les faux positifs ou justement les faux négatifs. C'est une énorme valeur ajoutée."

"Deuxièmement, nous pouvons tout vérifier visuellement. Nous demandons les images et nous confirmons ou infirmons ce que l'IA a 'signalé'. Nous évitons ainsi que le patient soit contacté prématurément ou subisse des examens complémentaires inutiles. Pour le diagnostic, c'est toujours l'avis du radiologue qui est décisif. Le radiologue prend en compte l'ensemble complet des données du patient, intègre toutes les informations et assume toujours la responsabilité finale", souligne le Pr Jans.

"Enfin, nous pouvons choisir de ne construire que les algorithmes dont nous pouvons tirer un bénéfice médical, économique ou social. Si un scanner de l'épaule permet de détecter une tumeur pulmonaire à un stade précoce, le patient en bénéficiera certainement. Je pense également à la détection automatisée de l'ostéoporose: l'IA peut dépister les fractures de la colonne vertébrale, ces personnes peuvent être traitées et éviter ainsi une fracture de la hanche. Ce sont des applications qui peuvent vraiment faire la différence. Dans les applications d'IA moins pertinentes, il vaut mieux ne pas investir", conclut Lennart Jans.

BoneMRI

Viennent ensuite les "applications non diagnostiques". Le Pr Jans et son équipe ont mis au point un algorithme permettant de générer des images synthétiques de CT à partir d'images d'IRM. "Pour l'évaluation des structures et des lésions osseuses, nous avons normalement besoin du scanner. Mais il y a des patients et des parties du corps que nous préférerions ne pas exposer à des radiations radioactives. Avec l'aide de l'IA, nous pouvons désormais générer des images de CT à partir d'un examen IRM, qui n'utilise que des ondes magnétiques inoffensives." Cette technique, appelée "BoneMRI", produit des images aussi qualitatives et fiables sur le plan diagnostique que les images de CT classique.

L'application est utilisée chez les patients présentant des contre- indications aux examens par CT, ainsi que pour diagnostiquer des fractures, des inflammations ou des tumeurs du dos, des hanches et des articulations du sacrum - des régions qui devraient être idéalement épargnées par les rayonnements ionisants. "Nous prévoyons que cette technique jouera un rôle important dans la planification de certaines procédures", déclare le radiologue. "Pour visualiser une hernie discale, il faut une IRM, mais si une intervention chirurgicale doit suivre, il faut aussi un scanner, pour voir si la structure osseuse est suffisamment solide pour supporter les vis. Aujourd'hui, un seul examen par scanner suffit. Outre le confort pour le patient, c'est aussi une économie de taille pour la Sécurité sociale."

Certaines applications contribuent à rendre les techniques d'imagerie plus efficaces et plus sûres. L'IA peut filtrer le bruit sur les images de CT pour augmenter la valeur du signal. Les examens par scanner peuvent ainsi être réalisés plus rapidement, avec moins de radiations ou une dose plus faible de produit de contraste, sans sacrifier la qualité de l'image.

App store

Les applications de l'IA deviendront de plus en plus nombreuses et performantes. "Nous évoluons peut-être vers une sorte de "app store" de l'IA médicale, où les hôpitaux et les médecins peuvent faire leur choix en fonction de leur expertise et de leurs besoins", relève le Pr Jans. "Il est vrai qu'un cadre de remboursement devrait être mis en place, pour que les patients puissent continuer à bénéficier des derniers développements et que l'achat de ces logiciels reste abordable pour les hôpitaux."

À terme, le spécialiste s'attend également à des applications 'translationnelles', où l'IA créera des liens entre le dossier médical d'un patient, ses résultats sanguins, les tests génétiques, l'imagerie, etc. "L'IA reconnaîtra des schémas que les humains ne voient pas (encore) et sera capable d'établir des diagnostics ou des pronostics. Mais ce n'est pas encore pour demain", ajoute-t-il en riant. "Il faut énormément de temps pour créer des algorithmes, et chacun d'entre eux ne peut être utilisé que pour une indication très spécifique. En outre, les lois et réglementations strictes en matière de protection de la vie privée, telles que la loi sur l'IA, constituent un important facteur de retard dans son développement. Toutefois, une chose est sûre: l'IA est là pour rester. Autant en tirer parti", estime Lennart Jans.

[1] De Kock I, et al. Prevalence of CT features of axial spondyloarthritis in patients with Crohn's disease. Acta Radiol. 2017 ; 58(5): 593-599.

Objectifs d'apprentissage

La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec:

?? Les facteurs pouvant expliquer l'essor de l'IA précisément dans le domaine de la radiologie ;

?? La capacité d'utiliser l'IA pour reconnaître et diagnostiquer les urgences à partir d'images radiologiques ;

?? La possibilité de suivre le volume d'une tumeur grâce à l'IA ;

?? La possibilité d'utiliser l'IA pour détecter des affections rhumatologiques sur des images réalisées pour une autre raison.

?? Les mesures visant à éviter la collecte de données à l'aide d'outils d'IA sur des images sans pertinence clinique.

?? La capacité de générer des images synthétiques de CT à partir d'images d'IRM.

Quel rôle joue l'IA dans la radiologie aujourd'hui, et quelles en sont ses limites? Le Pr Lennart Jans, maître de conférences à la faculté de médecine et radiologue à l'U(Z)Gent, met en lumière un certain nombre d'applications médicales et explique pourquoi l'IA est en plein essor justement dans sa spécialité. Les images médicales sont stockées et échangées dans le même format informatique depuis les années 1970. Cette norme mondialement acceptée a été baptisée DICOM (Digital Imaging and Communications in Medicine) - le PDF de la radiologie, en quelque sorte. "Les images radiologiques se prêtent donc particulièrement bien à l'apprentissage automatique", explique le Pr Jans. "Les algorithmes doivent certes être formés pour un diagnostic ou une application spécifique, dans une modalité d'imagerie spécifique. Mais cela fonctionne parce que nous pouvons y introduire de grandes quantités de données uniformes et de données d'apprentissage. Les données non structurées, telles que le texte libre des rapports médicaux ou les images vidéo des examens neurologiques, se prêtent beaucoup moins à l'apprentissage d'un tel modèle", explique-t-il. La toute première application clinique de l'IA en radiologie était une forme d'aide au triage pour les situations urgentes. Le logiciel intelligent recherchait un certain nombre d'affections urgentes et potentiellement mortelles, et nous permet d'identifier plus rapidement les cas importants. Les images sont placées en tête de notre liste de travail, ce qui nous permet de vérifier immédiatement le diagnostic proposé."Une deuxième application diagnostique à venir est le suivi des tumeurs. "Un outil d'IA peut identifier la tumeur et surveiller son volume, par exemple pendant et après un traitement oncologique. Ces mesures sont plus précises, plus simples et plus efficaces que si nous les réalisions manuellement", indique le Pr Jans. D'ailleurs, l'assistance de l'IA a depuis longtemps cessé d'être un luxe en radiologie. Les examens sont de plus en plus étendus et détaillés. Il s'agit parfois de milliers d'images pour un seul examen, alors que le spécialiste dispose d'à peine dix minutes pour rédiger son rapport. "Nous cherchons ce que nous devons chercher ; nous n'avons pas de temps pour le reste."C'est pourquoi justement, à l'heure actuelle, l'IA peut également servir de deuxième paire d'yeux, pour dépister des choses qui ne sont pas nécessairement attendues, mais pour lesquelles un traitement précoce est très utile. "Par exemple, nous avons mis au point un algorithme d'IA qui recherche des anomalies rhumatismales sur des images de CT réalisées pour une autre raison. Le logiciel peut détecter des lésions caractéristiques dans les articulations sacro-iliaques, telles que des érosions et des déformations osseuses, avant même que les patients ne présentent des symptômes cliniques. Nous en tirons de grands bénéfices, car un traitement précoce de rhumatismes peut prévenir des lésions structurelles graves et améliorer considérablement la qualité de vie de ces patients", commente Lennart Jans. Grâce à cette application, les maladies rhumatismales telles que la spondylarthrite risquent moins de passer inaperçues. En effet, même chez les personnes présentant des symptômes, le diagnostic n'est pas toujours évident. Dans une étude à grande échelle [1] portant sur des patients atteints de la maladie de Crohn et souffrant de douleurs dorsales, un seul diagnostic de polyarthrite rhumatoïde a été posé sur le scanner abdominal, alors que 24 patients présentaient des "biomarqueurs iconographiques" de cette maladie inflammatoire. "En raison de l'énorme flux de données que les radiologues doivent traiter dans un court laps de temps, des zones d'ombre apparaissent. L'IA peut nous aider à voir plus clair", ajoute-t-il. Ne verrons-nous pas trop d'anomalies dans le futur, y compris celles que nous ne devrions pas voir? "L'utilisation de l'IA en radiologie présente trois avantages", explique le Pr Jans. "Contrairement à un test de laboratoire, par exemple, les algorithmes nous permettent de définir nous-mêmes la sensibilité et la spécificité. En fonction du type d'affection ou des besoins de dépistage, vous pouvez choisir une spécificité plus élevée (si le logiciel détecte quelque chose de suspect sur l'imagerie, on peut se fier à son diagnostic) ou une sensibilité plus élevée (si quelque chose de suspect peut être vu sur l'imagerie, le logiciel le détectera effectivement). Vous pouvez ajuster ces valeurs en fonction de l'importance qu'il y a à éviter les faux positifs ou justement les faux négatifs. C'est une énorme valeur ajoutée.""Deuxièmement, nous pouvons tout vérifier visuellement. Nous demandons les images et nous confirmons ou infirmons ce que l'IA a 'signalé'. Nous évitons ainsi que le patient soit contacté prématurément ou subisse des examens complémentaires inutiles. Pour le diagnostic, c'est toujours l'avis du radiologue qui est décisif. Le radiologue prend en compte l'ensemble complet des données du patient, intègre toutes les informations et assume toujours la responsabilité finale", souligne le Pr Jans. "Enfin, nous pouvons choisir de ne construire que les algorithmes dont nous pouvons tirer un bénéfice médical, économique ou social. Si un scanner de l'épaule permet de détecter une tumeur pulmonaire à un stade précoce, le patient en bénéficiera certainement. Je pense également à la détection automatisée de l'ostéoporose: l'IA peut dépister les fractures de la colonne vertébrale, ces personnes peuvent être traitées et éviter ainsi une fracture de la hanche. Ce sont des applications qui peuvent vraiment faire la différence. Dans les applications d'IA moins pertinentes, il vaut mieux ne pas investir", conclut Lennart Jans. Viennent ensuite les "applications non diagnostiques". Le Pr Jans et son équipe ont mis au point un algorithme permettant de générer des images synthétiques de CT à partir d'images d'IRM. "Pour l'évaluation des structures et des lésions osseuses, nous avons normalement besoin du scanner. Mais il y a des patients et des parties du corps que nous préférerions ne pas exposer à des radiations radioactives. Avec l'aide de l'IA, nous pouvons désormais générer des images de CT à partir d'un examen IRM, qui n'utilise que des ondes magnétiques inoffensives." Cette technique, appelée "BoneMRI", produit des images aussi qualitatives et fiables sur le plan diagnostique que les images de CT classique. L'application est utilisée chez les patients présentant des contre- indications aux examens par CT, ainsi que pour diagnostiquer des fractures, des inflammations ou des tumeurs du dos, des hanches et des articulations du sacrum - des régions qui devraient être idéalement épargnées par les rayonnements ionisants. "Nous prévoyons que cette technique jouera un rôle important dans la planification de certaines procédures", déclare le radiologue. "Pour visualiser une hernie discale, il faut une IRM, mais si une intervention chirurgicale doit suivre, il faut aussi un scanner, pour voir si la structure osseuse est suffisamment solide pour supporter les vis. Aujourd'hui, un seul examen par scanner suffit. Outre le confort pour le patient, c'est aussi une économie de taille pour la Sécurité sociale."Certaines applications contribuent à rendre les techniques d'imagerie plus efficaces et plus sûres. L'IA peut filtrer le bruit sur les images de CT pour augmenter la valeur du signal. Les examens par scanner peuvent ainsi être réalisés plus rapidement, avec moins de radiations ou une dose plus faible de produit de contraste, sans sacrifier la qualité de l'image. Les applications de l'IA deviendront de plus en plus nombreuses et performantes. "Nous évoluons peut-être vers une sorte de "app store" de l'IA médicale, où les hôpitaux et les médecins peuvent faire leur choix en fonction de leur expertise et de leurs besoins", relève le Pr Jans. "Il est vrai qu'un cadre de remboursement devrait être mis en place, pour que les patients puissent continuer à bénéficier des derniers développements et que l'achat de ces logiciels reste abordable pour les hôpitaux." À terme, le spécialiste s'attend également à des applications 'translationnelles', où l'IA créera des liens entre le dossier médical d'un patient, ses résultats sanguins, les tests génétiques, l'imagerie, etc. "L'IA reconnaîtra des schémas que les humains ne voient pas (encore) et sera capable d'établir des diagnostics ou des pronostics. Mais ce n'est pas encore pour demain", ajoute-t-il en riant. "Il faut énormément de temps pour créer des algorithmes, et chacun d'entre eux ne peut être utilisé que pour une indication très spécifique. En outre, les lois et réglementations strictes en matière de protection de la vie privée, telles que la loi sur l'IA, constituent un important facteur de retard dans son développement. Toutefois, une chose est sûre: l'IA est là pour rester. Autant en tirer parti", estime Lennart Jans.