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Le journal du Médecin : C'est actuellement l'Euro de football. Le 9 avril, Le Journal du Dimanche consacrait sa une aux révélations du médecin britannique Mark Bonar qui, filmé à son insu par des journalistes du Sunday Times, affirmait avoir prescrit des produits dopants (EPO, stéroïdes anabolisants, hormone de croissance) à plus de 150 sportifs britanniques et étrangers, dont des footballeurs d'Arsenal, de Chelsea et de Leicester City. On ignore si ses déclarations sont le juste reflet de la réalité, mais, contrairement à un certain angélisme ambiant, vous n'avez jamais douté de l'implication du dopage dans le football ?...Dr de Mondenard : Il n'y a aucune raison morphologique, technique, tactique, psychologique ou physiologique qui pourrait expliquer que le football soit épargné par le dopage. À chaque fois, on vous chante la même rengaine : à quoi bon se doper puisqu'on ne peut pas transformer un joueur aux "pieds carrés" en un joueur doué techniquement. Pourtant, les basketteurs américains prennent des drogues de la performance - plusieurs cas ont défrayé la chronique -, et cela ne semble pas perturber leur gestuelle au moment de réaliser un panier à trois points. Il suffit de choisir ses drogues... Tout le monde s'accorde pour dire que le football est un sport de plus en plus physique, que les joueurs sont de plus en plus des athlètes et que leurs homologues des années 60 à 80 ne tiendraient pas dix minutes devant les professionnels d'aujourd'hui.Le discours que tenait quelqu'un comme Sepp Blatter, le président déchu de la FIFA, était hallucinant de bêtise. Il prétendait que le dopage n'aurait pas de sens dans un sport collectif comme le football. Améliorer la vitesse de course du joueur, son endurance, sa détente verticale, la puissance de sa frappe... ne profiterait donc pas à l'équipe ? A-t-on oublié, par exemple, le procès dit "de la Juventus", qui se déroula de 2002 à 2004 après une instruction faisant suite aux propos tenus en 1998, dans la foulée de l'affaire Festina, par Zdenek Zeman, l'entraîneur de l'AS Roma: "Il est temps pour le football de sortir des pharmacies" ?En août 1998, 281 sortes de médicaments furent retrouvés au stade communal de Turin lors d'une perquisition ! Certes, des produits ne figurant pas sur la liste des substances interdites du Comité international olympique, mais qui, utilisés en dehors de leur cadre thérapeutique, permettent néanmoins d'améliorer les performances. Aussi le procureur adjoint de Turin parla-t-il de l'existence, à la Juventus, d'un dopage dit "intelligent" ou "scientifique". D'autre part, les experts de l'accusation démontrèrent, à travers les modifications des analyses sanguines des joueurs, que ces derniers utilisaient de l'EPO et des transfusions sanguines.À la fin des années 50, une enquête révélait déjà que le football était fortement contaminé par le dopage ?...Effectivement. En 1958, Gerardo Ottani, un ancien footballeur professionnel de Bologne devenu président de la Société médico-sportive italienne, mène une enquête sur le dopage dans le Calcio. Que révèle-t-elle ? Que 27% des joueurs italiens prennent des amphétamines, 62% des stimulants du coeur ou de la respiration et 68% des stéroïdes anabolisants. Nous sommes en 1958, à une époque où les équipes n'ont que deux ou trois entraînements et un match par semaine. Et on voudrait nous faire croire qu'en 2016, alors que les joueurs s'entraînent au moins une fois par jour et disputent deux matches par semaine, ils carbureraient au Vittel-cassis !...Dans la majorité des sports, mais peut-être encore davantage dans le football, on ne lutte pas contre le dopage, mais contre ceux qui en parlent. Et le plus souvent, les journalistes, à l'image de nombre de médecins de club ou de fédération, entretiennent des relations de copinage avec les sportifs. En octobre 2003, Johnny Hallyday participe à une émission sur Canal+. Il dit avoir subi une transfusion sanguine dans une clinique, à Merano, pour retrouver une pêche d'enfer. Il ajoute que son ami Zinedine Zidane lui a renseigné l'établissement. Zidane qui, rapporte-t-il, "y va deux fois par an". Personne n'a réagi, ni la presse, ni le ministère des Sports, ni la Fédération française de football. Il faut croire que personne n'a la télé en France !Tournons la page du football et de l'Euro 2016. L'actualité est également marquée par l'affaire dite du meldonium. Qu'en pensez-vous ?On a su dès 1952 qu'il existait un dopage d'État en Union soviétique. Il est toujours en vigueur en Russie. En novembre 2014, puis en 2015, Ioulia Stepanova, coureuse russe de 800 mètres exilée aux États-Unis, et son époux Vitali Stepanov, ancien contrôleur de l'Agence russe antidopage, l'ont révélé sur la chaîne de télévision allemande ARD. Confirmées par Grigory Rodchenkov, ex-directeur du laboratoire antidopage de Moscou, leurs assertions ont abouti en novembre 2015 à la suspension des athlètes russes par la Fédération internationale d'athlétisme.En mars 2016 est venue se greffer à ce scandale l'affaire du meldonium. Elle en rappelle une autre, celle d'un produit stimulant et masquant : le bromantan. Cette molécule était fabriquée par un laboratoire russe dans les années 1990 à destination des seuls athlètes, cosmonautes et agents des services spéciaux. Il se chuchotait que si l'on avait contrôlé l'ensemble des athlètes de la délégation russe lors des Jeux d'Atlanta, en 1996, tous auraient été positifs.Le meldonium, qui est vendu exclusivement dans les pays de l'Est, est un produit dont les indications concernent la sphère cardiovasculaire. Le laboratoire qui le fabrique précise en outre qu'il améliore les performances physiques. En 2003, la police avait trouvé ce médicament dans les bagages de nageurs russes ayant participé à une compétition en France. Mais, à l'époque, il n'était ni interdit ni recherché par les fédérations sportives. En 2015, il fut enfin placé sur la liste de surveillance de l'Agence mondiale antidopage (AMA), puis prohibé pour 2016.Quand Maria Sharapova annonce le 8 mars qu'elle a subi un contrôle positif au meldonium deux mois plus tôt, lors de l'open d'Australie, elle prétend qu'elle ignorait que ce produit était prohibé, soi-disant parce qu'elle n'avait pas ouvert ses mails en provenance de la fédération de tennis. Cet argument n'est évidemment pas recevable lorsqu'on sait que le dopage est le sujet de conversation numéro un des athlètes de haut niveau... Sharapova se défend également en déclarant notamment qu'elle souffre d'arythmie cardiaque et qu'il y a des diabétiques dans sa famille. Mais voilà, on a appris un peu plus tard qu'une centaine d'athlètes russes avaient été contrôlés positifs au meldonium. Alors, quelle est ma conclusion ? Je conseille aux clubs et aux fédérations d'aller recruter les athlètes dans les hôpitaux puisque, apparemment, il faut être malade pour être performant !Selon vous, cette affaire est emblématique de l'inefficacité la lutte antidopage ?...Absolument. D'un côté, vous avez un pays qui dope tous ses athlètes et de l'autre, l'AMA qui interdit une substance sans en avoir étudié sérieusement la cinétique. En effet, elle l'a placée sur la liste des produits interdits sans avoir fait procéder à la moindre étude relative à son temps d'élimination.Aujourd'hui, les athlètes ont beau jeu de dire que les traces de meldonium retrouvées en 2016 dans leurs urines provenaient d'une consommation du médicament en 2015, alors qu'il était encore autorisé. Récemment, différents sportifs ont été blanchis et je pense qu'ils le seront tous.De façon générale, l'AMA et toutes les agences antidopage sont inefficaces. Et d'ailleurs, on s'aperçoit le plus souvent que ceux qui sont nommés à leur tête n'ont pas les compétences voulues pour mener à bien leur mission. En caricaturant, je dirais que la veille de leur nomination, la plupart d'entre eux ne savaient pas si le mot "dopage" s'écrit avec un ou deux "p".