...

La fibromyalgie a toujours fait couler beaucoup d'encre, tant certains, y compris au sein du corps médical, ont mis sa réalité en doute. Sur le plan clinique, il n'existe pas, en effet, de mesure objective qui la caractériserait ni de handicap visible qui en démontrerait l'existence. Aussi la fibromyalgie fut-elle longtemps considérée par la plupart des praticiens comme un trouble somatoforme, un trouble mental s'exprimant à travers des symptômes physiques échappant à toute explication médicale. Vu la faible efficacité des analgésiques usuels sur les douleurs musculo-squelettiques décrites, elle fut d'ailleurs appréhendée durant les années 1970 et 1980 comme une maladie psychiatrique comportant un versant dépressif.Spécialiste de médecine physique et réadaptation, algologue, le docteur Étienne Masquelier est chargé d'enseignement à l'UCL ainsi que chef de clinique aux centres de la douleur de Mont-Godinne (Yvoir) et de Saint-Luc (Bruxelles). Il précise que la fibromyalgie n'a pas été découverte récemment, mais que l'on retrouve déjà des descriptions de patients dans la littérature médicale du 17e siècle. " Ce syndrome, dont la principale caractéristique est la présence de douleurs diffuses, a sans doute toujours existé ", indique-t-il.Les symptômes de la fibromyalgie sont à la fois nombreux et variables dans l'espace et dans le temps. La majorité des patients se plaignent de douleurs localisées essentiellement au niveau du cou, des épaules, des genoux, des coudes, des régions dorsales hautes et basses et des hanches. La manifestation la plus évidente de la fibromyalgie est constituée par ces douleurs, lesquelles peuvent être spontanées et diffuses ou provoquées par une simple pression, une posture prolongée ou des mouvements répétitifs. Au gré des jours, elles se révèlent souvent fluctuantes tant sur le plan de leur intensité que sur celui de leur localisation. En outre, elles sont généralement plus prononcées le matin. " Plusieurs facteurs physiques et psychologiques participent à leur modulation. Par exemple, le surmenage, le mauvais temps, l'état hormonal, le stress ou l'anxiété ", précise le Dr Masquelier.Les patients fibromyalgiques peuvent manifester d'autres symptômes douloureux, tels des céphalées de tension, des migraines, des douleurs thoraciques, etc. Aux symptômes douloureux peuvent s'en ajouter d'autres, indolores. Des raideurs musculaires, une intolérance à l'effort, une instabilité posturale, une hypersensibilité à la lumière ou au bruit, des plaintes cutanées, mais surtout un état de fatigue, un sommeil non réparateur et des déficiences cognitives.Dans la fibromyalgie, le patient est fréquemment en proie à une fatigue anormale lors de l'exécution de tâches physiques ou mentales anodines. Il s'agit d'un des éléments cardinaux pour le diagnostic. " La fatigue chronique, dit le professeur Marie-Élisabeth Faymonville, anesthésiste, chef du service d'algologie du CHU de Liège, est un phénomène complexe qui, pris dans sa globalité, peut avoir différentes origines. Dans le cas des patients fibromyalgiques, il est difficile de démêler l'écheveau, de spécifier l'origine de la fatigue, car, en l'absence de marqueurs biologiques, le syndrome est régulièrement diagnostiqué tardivement, au grand dam des malades. L'anxiété et la dépression les guettent, de sorte qu'il est malaisé de déterminer si les perturbations de leur sommeil et leur fatigue sont premières ou sont la conséquence d'un parcours épuisant sur le plan psychologique. " Cette fatigue chronique peut aussi résulter d'une importante dépense d'énergie déployée pour lutter contre la douleur.L'anxiété est fréquente chez les patients fibromyalgiques, notamment parce qu'ils tendent à se focaliser sur leurs sensations douloureuses, à l'instar de la plupart des personnes souffrant de douleurs chroniques, mais aussi parce que les incertitudes entourant le diagnostic de fibromyalgie, du moins dans un premier temps, les conduisent à s'interroger sur la gravité et la pérennité de leur état. Ainsi, en Amérique du Nord, on estime qu'il faut 5 ans et une dizaine de visites médicales avant qu'un diagnostic de fibromyalgie soit prononcé. Aux yeux du Pr Faymonville, l'anxiété fait le lit de la douleur chronique.Selon le site www.rhumato.info destiné aux professionnels de la santé, des antécédents de dépression seraient présents dans 50 à 70% des cas de fibromyalgie, mais le pourcentage de patients souffrant à la fois de ce syndrome et d'un état dépressif oscillerait, lui, entre 18 et 36%. Pour Étienne Masquelier, la perte d'autonomie et le sentiment d'être incompris seraient à l'origine de dépressions et de dysthymies.Les déficiences cognitives associées à la fibromyalgie affectent principalement la mémoire de travail, particulièrement dans sa sphère visuo-spatiale. Les ressources attentionnelles sont également fortement érodées. " À telle enseigne que les patients fibromyalgiques sont très sensibles à la distraction, surtout lorsque l'intensité de la tâche est élevée ", commente le Dr Masquelier. Il ajoute que la vitesse de traitement semble diminuée dans les tâches complexes, tandis que les modalités de traitement automatique de l'information prendraient le pas sur les processus contrôlés.Le diagnostic de fibromyalgie n'est pas aisé à poser : le tableau douloureux est diffus et peut être partiellement partagé par d'autres entités morbides - polyarthrite rhumatoïde, syndrome de fatigue chronique, côlon irritable... Ce diagnostic nécessite d'abord que toutes les autres pathologies compatibles avec la symptomatologie aient été écartées, entre autres par l'absence de biomarqueurs qui leur sont associés.En 1987, la fibromyalgie fut reconnue par l'American Medical Association comme une " maladie handicapante ". " Et en 1990, rapporte Étienne Masquelier, l'American College of Rheumatology (ACR) a établi des critères de classification pour la recherche. Ils caractérisent la fibromyalgie comme entité associant des douleurs diffuses et une hypersensibilité à la pression de certaines zones corporelles. "Il fallut attendre 1992 pour que l'OMS reconnaisse la fibromyalgie comme une maladie de l'appareil locomoteur. Le point positif était que le " mal " était extrait de son carcan psychiatrique, mais la classification proposée était loin de recouvrir toutes les facettes du syndrome.L'ACR a défini 18 points, baptisés points de Yunus, caractéristiques de la fibromyalgie. Les critères diagnostiques proposés en 1990 par l'association américaine sont de deux ordres. Primo, il faut que le patient éprouve une douleur diffuse depuis plus de trois mois, laquelle doit se manifester des côtés gauche et droit du corps, en haut et en bas, ainsi qu'au niveau de la colonne vertébrale. Secundo, il doit ressentir une sensation de douleur sur au moins 11 des 18 points de Yunus lorsqu'un médecin y exerce une pression d'environ 4 kg par cm². Bien sûr, ces critères ne permettent pas de faire l'économie de l'écoute du patient, de son anamnèse, ainsi que d'examens complémentaires. On estime qu'ils ont une sensibilité de plus de 80%. Ils sont cependant critiqués, car certains spécialistes jugent que le nombre de 11 points douloureux est arbitraire. De surcroît, chez une fraction des patients, les douleurs ne se limitent pas aux 18 points évoqués.En 2010, de nouveaux critères ont été proposés et ont reçu l'aval de l'ACR. Ils se fondent sur un index de douleur généralisée conjugué à une échelle de sévérité des symptômes. Non seulement cette échelle se réfère au nombre de parties du corps où le patient dit avoir éprouvé de la douleur au cours de la semaine précédente, mais elle inclut également le sommeil non réparateur, la fatigue et les troubles cognitifs. La sensibilité de ce nouvel outil serait supérieure. Dans la pratique, néanmoins, les critères de 1990 restent généralement en vigueur. Philippe Lambert