Du grec "auto" (soi-même) et "phagein" (manger), l'autophagie est un terme qui a été inventé il y a plus d'un demi-siècle par notre compatriote Christian de Duve, lauréat du Nobel de Médecine en 1974. Il désigne le processus complexe par lequel la cellule dégrade et recycle ses propres composants (cytoplasme et protéines), non pour se suicider mais au contraire pour assurer sa survie face aux deux menaces vitales principales que sont les infections et le manque de nourriture.

Ce mécanisme de défense ancestral dont le dérèglement peut entraîner de nombreuses pathologies vient d'être consacré une deuxième fois par le Nobel de Médecine, attribué le 3 octobre dernier à Yoshinori Oshumi pour avoir élucidé les différentes étapes de son déroulement au sein de levures et identifié la quinzaine de gènes impliqués.

Toutefois, le lauréat japonais est passé à côté d'au moins une enzyme, la lactate déshydrogénase B (LDHB), sur laquelle l'équipe du Pr Pierre Sonveaux, du Laboratoire de pharmacologie de l'Université Catholique de Louvain (UCL), vient de mettre le doigt.

Stratégies de survie

Essentiellement, les chercheurs louvanistes ont surtout réussi à établir un lien entre la présence de la LDHB dans les cellules cancéreuses et le phénomène d'autophagie.

" Depuis des années, notre laboratoire traque les différentes stratégies que les cellules cancéreuses utilisent pour survivre quoiqu'il arriveet poursuivre le processus cancéreux ", explique Pierre Sonveaux, professeur à l'Institut de recherche expérimentale et clinique de l'UCL et Maître de Recherche du F.R.S.-FNRS.

" Pour proliférer, ces cellules ont besoin de beaucoup d'énergie et donc elles consomment tous les nutriments qu'il y a dans leur environnement jusqu'au moment où il n'y a plus de nourriture. En situation de disette, une cellule normale meurt. Par contre, une cellule cancéreuse peut s'adapter. Comment ? En coopérant avec ses voisines qu'elles soient normales ou cancéreuses, ou en les mangeant, c'est ce qu'on appelle le cannibalisme cellulaire, ou encore en les mettant en esclavage pour qu'elles lui apportent la nourriture dont elle a besoin. Elle peut aussi s'échapper de la tumeur de départ et former des métastases, entrer en hibernation et contribuer à la résurgence d'une tumeur plusieurs mois, voire plusieurs années après la fin des traitements du cancer initial, ou encore avaler certains de ses propres composants non indispensables à sa survie immédiate, voire nocifs pour son bon fonctionnement, et les transformer en énergie. C'est l'autophagie. "

Pas d'autophagie sans LDHB active

Ce n'est pas tout. Le Pr Sonveaux et son équipe ont aussi découvert qu'il fallait une enzyme bien particulière, la LDHB, pour qu'une cellule cancéreuse puisse se manger elle-même.

" Personne ne soupçonnait que cette enzyme puisse être impliquée dans l'autophagie. Nous avons montré non seulement qu'elle l'est mais aussi que son rôle est essentiel. Elle augmente le recyclage des composants cellulaires abimés en raison de l'oxydation ou superflus, ce qui est primordial pour la survie de cette cellule. En réalité, ce sont les lysosomes, organites présents dans chaque cellule, qui se chargent du recyclage. Ils y parviennent grâce à la LDHB qui convertit le lactate en pyruvate et, de ce fait, produit des protons qui acidifient l'intérieur des lysosomes. L'acidification des lysosomes est nécessaire pour leur fonctionnement. "

Une fois identifié le lien indispensable entre la présence de ce signal enzymatique spécifique et l'autophagie, le Pr Sonveaux et ses collègues ont alors décidé de voir ce qui se passe quand on rend la LDHB inactive. Le résultat est prometteur.

" En la bloquant, nous avons tué tous les types de cellules tumorales que nous avons testées. Celles-ci meurent parce qu'elles sont incapables de pratiquer l'autophagie. Par contre, les cellules normales n'ont pas été affectées. Or, en cancérologie, c'est précisément ce qu'on attend d'un traitement, qu'il puisse avoirune activité sélective dirigée contre les cellules tumorales, tout en épargnant les saines. "

" Enfin nous avons pu établir la preuve de l'efficacité de cette stratégie sur des souris porteuses d'un cancer humain, du col de l'utérus ou du côlon. Les premiers essais ont montré que si on inhibe la LDBH, la maladie recule. "

En quête d'une molécule

Reste à mettre un point un médicament, sachant qu'il existe déjà des traitements anticancéreux capables d'empêcher l'autophagie dans les cellules cancéreuses. Le plus connu est la chloroquine. Mais, selon Pierre Sonveaux, celle-ci souffre d'inconvénients majeurs.

" Déjà fort ancienne, cette molécule est tombée dans le domaine public et reçoit donc peu d'intérêt de la part d'investisseurs privés. En outre, elle n'a pas de cible moléculaire précise et elle peut provoquer des effets secondaires imprévisibles. "

Du coup, le développement d'une nouvelle molécule qui bloquerait efficacement l'enzyme LDBH est plus que le bienvenu.

" C'est le sujet de doctorat d'un étudiant qui, grâce à une bourse du FNRS, a commencé à plancher sur ce projet depuis le début de ce mois d'octobre, " précise encore le Pr Sonveaux. " On s'est donné quatre ans pour mettre au point un premier prototype et obtenir un brevet. "

" Une fois que nous aurons la molécule adéquate, il faudra effectuer des tests sur un grand nombre d'animaux, observer le comportement de la molécule administrée en combinaison ou en séquence avec d'autres anti-cancéreux et vérifier si les effets obtenus sont significatifs. C'est seulement alors que les essais cliniques chez l'Homme pourront débuter. Donc, il y en a encore pour au moins une bonne dizaine d'années... "

Du grec "auto" (soi-même) et "phagein" (manger), l'autophagie est un terme qui a été inventé il y a plus d'un demi-siècle par notre compatriote Christian de Duve, lauréat du Nobel de Médecine en 1974. Il désigne le processus complexe par lequel la cellule dégrade et recycle ses propres composants (cytoplasme et protéines), non pour se suicider mais au contraire pour assurer sa survie face aux deux menaces vitales principales que sont les infections et le manque de nourriture.Ce mécanisme de défense ancestral dont le dérèglement peut entraîner de nombreuses pathologies vient d'être consacré une deuxième fois par le Nobel de Médecine, attribué le 3 octobre dernier à Yoshinori Oshumi pour avoir élucidé les différentes étapes de son déroulement au sein de levures et identifié la quinzaine de gènes impliqués. Toutefois, le lauréat japonais est passé à côté d'au moins une enzyme, la lactate déshydrogénase B (LDHB), sur laquelle l'équipe du Pr Pierre Sonveaux, du Laboratoire de pharmacologie de l'Université Catholique de Louvain (UCL), vient de mettre le doigt.Essentiellement, les chercheurs louvanistes ont surtout réussi à établir un lien entre la présence de la LDHB dans les cellules cancéreuses et le phénomène d'autophagie." Depuis des années, notre laboratoire traque les différentes stratégies que les cellules cancéreuses utilisent pour survivre quoiqu'il arriveet poursuivre le processus cancéreux ", explique Pierre Sonveaux, professeur à l'Institut de recherche expérimentale et clinique de l'UCL et Maître de Recherche du F.R.S.-FNRS." Pour proliférer, ces cellules ont besoin de beaucoup d'énergie et donc elles consomment tous les nutriments qu'il y a dans leur environnement jusqu'au moment où il n'y a plus de nourriture. En situation de disette, une cellule normale meurt. Par contre, une cellule cancéreuse peut s'adapter. Comment ? En coopérant avec ses voisines qu'elles soient normales ou cancéreuses, ou en les mangeant, c'est ce qu'on appelle le cannibalisme cellulaire, ou encore en les mettant en esclavage pour qu'elles lui apportent la nourriture dont elle a besoin. Elle peut aussi s'échapper de la tumeur de départ et former des métastases, entrer en hibernation et contribuer à la résurgence d'une tumeur plusieurs mois, voire plusieurs années après la fin des traitements du cancer initial, ou encore avaler certains de ses propres composants non indispensables à sa survie immédiate, voire nocifs pour son bon fonctionnement, et les transformer en énergie. C'est l'autophagie. "Ce n'est pas tout. Le Pr Sonveaux et son équipe ont aussi découvert qu'il fallait une enzyme bien particulière, la LDHB, pour qu'une cellule cancéreuse puisse se manger elle-même. " Personne ne soupçonnait que cette enzyme puisse être impliquée dans l'autophagie. Nous avons montré non seulement qu'elle l'est mais aussi que son rôle est essentiel. Elle augmente le recyclage des composants cellulaires abimés en raison de l'oxydation ou superflus, ce qui est primordial pour la survie de cette cellule. En réalité, ce sont les lysosomes, organites présents dans chaque cellule, qui se chargent du recyclage. Ils y parviennent grâce à la LDHB qui convertit le lactate en pyruvate et, de ce fait, produit des protons qui acidifient l'intérieur des lysosomes. L'acidification des lysosomes est nécessaire pour leur fonctionnement. " Une fois identifié le lien indispensable entre la présence de ce signal enzymatique spécifique et l'autophagie, le Pr Sonveaux et ses collègues ont alors décidé de voir ce qui se passe quand on rend la LDHB inactive. Le résultat est prometteur." En la bloquant, nous avons tué tous les types de cellules tumorales que nous avons testées. Celles-ci meurent parce qu'elles sont incapables de pratiquer l'autophagie. Par contre, les cellules normales n'ont pas été affectées. Or, en cancérologie, c'est précisément ce qu'on attend d'un traitement, qu'il puisse avoirune activité sélective dirigée contre les cellules tumorales, tout en épargnant les saines. "" Enfin nous avons pu établir la preuve de l'efficacité de cette stratégie sur des souris porteuses d'un cancer humain, du col de l'utérus ou du côlon. Les premiers essais ont montré que si on inhibe la LDBH, la maladie recule. "Reste à mettre un point un médicament, sachant qu'il existe déjà des traitements anticancéreux capables d'empêcher l'autophagie dans les cellules cancéreuses. Le plus connu est la chloroquine. Mais, selon Pierre Sonveaux, celle-ci souffre d'inconvénients majeurs." Déjà fort ancienne, cette molécule est tombée dans le domaine public et reçoit donc peu d'intérêt de la part d'investisseurs privés. En outre, elle n'a pas de cible moléculaire précise et elle peut provoquer des effets secondaires imprévisibles. "Du coup, le développement d'une nouvelle molécule qui bloquerait efficacement l'enzyme LDBH est plus que le bienvenu." C'est le sujet de doctorat d'un étudiant qui, grâce à une bourse du FNRS, a commencé à plancher sur ce projet depuis le début de ce mois d'octobre, " précise encore le Pr Sonveaux. " On s'est donné quatre ans pour mettre au point un premier prototype et obtenir un brevet. "" Une fois que nous aurons la molécule adéquate, il faudra effectuer des tests sur un grand nombre d'animaux, observer le comportement de la molécule administrée en combinaison ou en séquence avec d'autres anti-cancéreux et vérifier si les effets obtenus sont significatifs. C'est seulement alors que les essais cliniques chez l'Homme pourront débuter. Donc, il y en a encore pour au moins une bonne dizaine d'années... "