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Accomplir à vélo l'équivalent de la distance Terre-Lune, soit 356 375 km (au périgée). Voilà l'ambition particulière que nourrit le médecin français Jean-Pierre de Mondenard. Il n'en est plus très loin, puisqu'il a déjà avalé 312 000 km sur sa bicyclette. Pour " boucher le trou ", il continue à rouler plus de 1 000 km par mois, malgré ses 73 ans. Sa grande passion consiste à gravir des cols. Pas moins de 30 l'an dernier. " Une paille ! ", pourrait-il nous dire, en souriant devant nos moues admiratives. Une paille, en effet, quand on sait qu'en 1991, par exemple, il en a franchi 160 en trois semaines. Pourtant, il n'a pas le profil du grimpeur avec son mètre nonante et ses 80 kilos. " Les gens affirment que le Tour de France est trop dur, c'est de la foutaise ! assène-t-il. Quand on s'entraîne plus de 30 000 km par an, monter des cols n'a rien de difficile. Ce qui est dur, c'est d'essayer de suivre quelqu'un qui est plus rapide que vous. "Jean-Pierre de Mondenard est né à Nîmes le 18 mars 1943. Entre 3 et 14 ans, il vit à Marrakech, où son père, pasteur protestant travaillant comme aumônier militaire, a été affecté par l'armée. De retour du Maroc en 1957, Jean-Pierre de Mondenard, son père, sa mère et ses trois frères s'installent à Toulouse. Dépaysement total ! " Moi qui n'avais jamais porté que le short jusque-là, je débarque en France dans le froid et la neige. Au Maroc, nous vivions dans la rue, au soleil, et les études passaient au second plan. "Mais une météo clémente n'explique pas à elle seule sa scolarité un peu chaotique. À l'âge de 6 ans, il est frappé par la tuberculose et envoyé plusieurs mois en Lozère pour " prendre l'air de la campagne ". Cinq ans plus tard, alors qu'il participe pendant les vacances scolaires à des vendanges près de Calvisson, dans le Gard, il glisse sous un tombereau. Résultat : une disjonction pubienne, dont il a toujours gardé des séquelles. " Mon apophyse xiphoïde demeure saillante sous la peau ", précise-t-il. Mais ce dont il se souvient surtout, c'est des 250 km qu'il parcourait chaque semaine en voiture avec son père pour se rendre à Casablanca. Victime de violentes migraines, il y consultait un ORL réputé qui lui ponctionnait les sinus.Adolescent, Jean-Pierre de Mondenard se retrouve dans un collège toulousain - une " boîte à cancres ", dit-il aujourd'hui. Et d'ajouter : " Jusqu'au bac, je n'ai rien foutu. " De nature rebelle, peu convaincu par les préceptes religieux véhiculés par son père, il quitte la cellule familiale à 18 ans et exerce de petits boulots - serveur dans une boîte de nuit, vendangeur, contrôleur des moisissures sur les tomates dans une fabrique de conserves alimentaires... " C'est à cette époque, se rappelle-t-il, que je me suis réveillé en me disant : "Mais où vas-tu ?". Du jour au lendemain, je me suis investi à fond dans des études de médecine. "La médecine, mais pourquoi ? Selon lui, pour deux raisons. D'abord, parce qu'il avait été en proie à de nombreux problèmes de santé durant son enfance et son adolescence. Ce qui avait aiguisé son intérêt pour l'art de guérir. Ensuite, par défi, en réaction au statut de cancre dont sa famille et ses connaissances l'affublaient. " Défi ", un terme qui, depuis, semble lui coller à la peau. Car s'il s'est mis ensuite à escalader des cols, au point d'en compter plus de 1 500 à son " palmarès ", c'est aussi, selon ses dires, pour prouver qu'il en était capable.Jean-Pierre de Mondenard a pratiqué le rugby à Rodez, mais, depuis le début de ses études de médecine, le cyclisme est devenu omniprésent dans sa vie. " Un dérivatif très important pour m'équilibrer ", insiste-t-il. Est-ce pour cela que son intérêt se porta rapidement sur la médecine du sport, dont il obtint par ailleurs le certificat d'aptitude sans en passer les examens ? Il se souvient : " Après quelques cours, j'ai été voir le responsable de ce CES, un pédagogue hors pair, et je lui ai dit : "Vos enseignants sont nuls. Ils se contentent de débiter ce qu'ils ont recopié dans des bouquins dépassés." Alors, il m'a convié à donner moi-même des cours. À la fin de l'année, j'ai été désigné meilleur enseignant du CES de médecine du sport de l'université de Toulouse par les étudiants et dispensé de passer les examens. "À l'époque déjà, diplôme de médecine générale en poche, le docteur de Mondenard avait mis le pied à l'étrier. Ou plutôt dans le cale-pied. À force de croiser régulièrement des férus de la petite reine sur les routes de la région toulousaine, il s'affilia à leur club et en devint le médecin, puis celui de la Fédération française de cyclisme pour la région des Pyrénées. " Nous nous rendions, le conseiller technique régional et moi-même, dans des arrière-salles de café pour y rencontrer des cyclistes à qui nous parlions de vaccination contre le tétanos, de fractures de la clavicule ou de furoncles, se rappelle Jean-Pierre de Mondenard. Au début, nos auditeurs regardaient les mouches voler au plafond. Il fallait changer de tactique. Je me suis alors souvenu de la limpidité des exposés du responsable du CES de médecine du sport. Et je suis parti du principe que même les moins avertis devaient pouvoir comprendre. À partir de ce moment-là, j'ai injecté des anecdotes dans mes exposés. Le succès fut immédiat. "C'est cette " philosophie de la lumière " que le médecin sportif applique, depuis 1973 et une première collaboration à Cyclisme Magazine, quand il rédige articles et livres sur le cyclisme et sur le dopage. Il a signé dans de multiples journaux et magazines et est l'auteur de quelque 50 livres, dont une douzaine sur le dopage. " L'exercice d'écriture ne m'intéresse pas en soi, mon plaisir est de transmettre des connaissances en essayant de les diffuser le plus clairement possible ", commente-t-il.Son action en tant que médecin de la Fédération française de cyclisme pour la région des Pyrénées avait été remarquée. Aussi, en 1974, avait-il reçu une proposition d'engagement à l'Institut national des sports (INS), situé à proximité du bois de Vincennes. Y ayant répondu favorablement, il déménagea en région parisienne. Sa collaboration avec cet organisme rebaptisé en 1975 Institut du sport et de l'éducation physique (INSEP) puis, en 2009, Institut du sport, de l'expertise et de la performance, s'achèvera en 1979. Jean-Pierre de Mondenard ne quittera pas pour autant la région parisienne. Dès février 1975, il avait ouvert un cabinet de médecine du sport à Sucy-en-Brie, avant de s'installer, à partir de 1980, à Chennevières-sur-Marne dans le Val-de-Marne.Autres cordes à son arc : il sera médecin de la Fédération royale marocaine de cyclisme (1974-1985), de l'équipe de France de judo (1975-1979) ou encore du Tour de France moto (1976-1979). Il sera également chargé de cours dans plusieurs universités françaises. Ainsi, de 2003 à 2010, il dispensa sur le site de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, un enseignement s'inscrivant dans le cadre du diplôme interuniversitaire Dopage et toxicomanie : lutte et prévention.La biographie du docteur de Mondenard est indissociable des grandes épreuves cyclistes. C'est à travers elles qu'il a commencé à s'immiscer dans les méandres de la problématique du dopage, dont il est devenu l'un des spécialistes les plus réputés. En 1972, il devient en effet médecin du Tour de l'Avenir, réservé aux coureurs amateurs, puis, dans la foulée, de la plupart des grandes épreuves cyclistes françaises, dont le Tour de France où il officiera de 1973 à 1975 en tant que médecin chargé du contrôle médical. " Dans la plupart des autres épreuves, j'avais une double mission : apporter une aide médicale aux coureurs blessés ou malades durant la course et procéder aux contrôles antidopage. C'est là que j'ai compris la caractéristique de la lutte antidopage menée par les fédérations sportives : donner l'impression qu'on agit tout en attrapant le moins de monde possible ", dit-il.Il parle d'affaires étouffées, de fédérations plus soucieuses de l'image de leur sport et de rentabilité que d'éthique, de dirigeants et de médecins prêts à se compromettre pour être dans la lumière des champions - manger à leur table, assister à leur mariage... Pour lui, la lutte antidopage est et restera un échec cuisant tant que ce seront les fédérations, par définition juges et parties, qui la conduiront. " Je n'ai jamais fermé les yeux sur des cas de dopage, déclare-t-il. Ça dérangeait le milieu. Ce n'était pas "politiquement correct", et on me l'a fait comprendre. Je ne compte plus le nombre de confrères qui se laissaient acheter pour un maillot dédicacé ou un peu de gloriole. En 1976, j'ai mis les voiles. "Le vent qui le porte aujourd'hui n'est pas celui d'une croisade, car Jean-Pierre de Mondenard sait par avance qu'elle serait vouée à l'échec. Ses livres et ses articles, il les écrit pour informer, pour tordre le cou à la naïveté et à l'angélisme. Car il serait peut-être temps qu'on sache de quoi on parle exactement quand on parle de sport de compétition...