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À froidLa santé, cette " vie dans le silence des organes " comme la définissait René Leriche1, est un acquis de tout instant. Dans l'environnement ouvert qui est le nôtre, des pathogènes luttent aussi pour leur survie et leur prolifération. Virus et bactéries notamment sont de ceux-là. Et on ne sait que trop à quel point, dans des conditions saisonnières, métaboliques ou liées à l'état dans lequel on se trouve à un moment donné, on peut s'y montrer particulièrement sensible. Par bonheur, les hasards de l'évolution nous ont dotés de mécanismes de défense qui, globalement, sont ceux du processus inflammatoire. Ce sont les envahisseurs pathogènes eux-mêmes, parce qu'ils induisent la transcription, dans nos cellules, de quelques-uns des gènes qui sont nécessaires à leur prolifération, qui déclenchent les réactions en cascade menant, dans le meilleur des cas, à leur élimination. Sauf que dans certaines situations, la réaction inflammatoire est telle que c'est l'organisme envahi et trop réactif qui en fait les frais. Il s'épuise dans la débauche d'énergie nécessaire, un épuisement qui peut lui être fatal. Et ce n'est pas anecdotique: 20 à 50% des individus infectés qui entrent en sepsis n'y survivent pas. Ce qui conduirait à une échéance létale 250 à 500.000 personnes chaque année rien que sur le sol des Etats-Unis2; ce qui ferait du sepsis la 10e cause de mortalité, devant le sida et le cancer du sein. Le moyen de lutte - visiblement insuffisant - est classique; c'est celui qui vise à faire disparaître la cause et/ou les symptômes. Il est notamment antibiotique quand cela se justifie, l'intention étant de définir la dose et la formulation les plus adaptées. Mais la démarche s'avère donc insuffisante dans les cas les plus aigus. D'où l'émergence d'une alternative: tenter de réduire la réponse trop importante de l'organisme à l'infection, puisqu'il s'avère que cela devient, en seconde intention, l'élément déterminant. Étonnant? Dans son principe et au regard du fondement de la pratique thérapeutique " classique " peut-être, mais pas dans les résultats; appliqué à des souris infectées avec le virus Ebola ou le staphylocoque doré, ce traitement a permis la survie de 70 et 90% des animaux traités, la variation dans le taux de succès étant liée au pathogène, au degré d'infection et aux organes atteints. Ces valeurs méritent pour le moins qu'on s'y arrête. La stratégie mise en oeuvre par la méthode est la suivante: court-circuiter les réactions naturelles de défense pour donner à l'organisme davantage de temps pour lutter contre les pathogènes. Dès son envahissement par ceux-ci, l'organisme déclenche des mécanismes qui entrent en action, aboutissant à l'activation de plusieurs gènes qui, après traduction en ARN, permettent notamment la libération de cytokines. Pour que des gènes soient exprimés, il faut que la portion d'ADN qui les porte soit accessible. Celui-ci ne l'est que si les grains de protéines3 autour desquels il s'enroule de proche en proche se distancient. Quand c'est le cas, la portion de matériel héréditaire comprise entre deux grains successifs devient donc accessible pour une copie en ARN. C'est le début de la traduction en protéine. Et c'est précisément à ce niveau que la stratégie de court-circuit évoquée intervient. On sait que pour être transcrit - à partir d'un seul de ses brins - l'ADN doit d'abord être déspiralisé. C'est ce que permet une enzyme spécialisée: la Topoisomérase 1 (Top1). Et c'est précisément sur cette enzyme que des chercheurs viennent d'agir4. Ils l'ont fait d'abord sur des cellules en culture avant d'en étendre le procédé à des souris. Ils ont retenu deux procédés assez classiques: soit introduire un inhibiteur spécifique de l'enzyme, soit diminuer ou interdire la traduction en protéine de l'ARN à la naissance duquel cette enzyme intervient; la technique retenue étant cette fois l'interférence d'ARN. Les réactions qui suivent se succèdent évidemment en cascade; dans les cellules épithéliales et les macrophages, c'est une ARN polymérase qui est d'abord inhibée, puis c'est au tour des gènes nécessaires à la survie et à la prolifération des pathogènes à n'être plus - ou presque - transcrits. Ce sont le plus souvent des processus épigénétiques5 qui président à ces modifications dans l'expression des gènes, ce que les observations faites sur des cellules en culture ont permis de mettre en évidence. Les mécanismes d'infection et surtout d'inflammation étant réduits in vitro, la tentation était grande d'en vérifier et valider la réalité in vivo. Chez des souris, donc, pour la circonstance. Trois souches d'animaux ont été retenues: soumise à une infection bactérienne d'abord, atteinte d'insuffisance hépatique ensuite, en état de coïnfection bactérienne enfin. Et c'est dans le cadre de ces essais que les pourcentages élevés de survie évoqués plus haut (70 à 90%) ont été observés après un traitement systémique avec un inhibiteur de la Top1. À l'évidence, le traitement donne des résultats plus que prometteurs, chez la souris au moins. Il va de soi que l'étape suivante tient à la validation à grande échelle d'effets identiques chez des humains. Il reste également à rechercher d'autres cibles que Top1 sur lesquelles le même mode de traitement pourrait se montrer sinon plus efficace, au moins plus simple et répétitif, avec un minimum d'effets secondaires. Il va en effet de soi que les effets à long terme, s'ils existent, doivent être connus. Les enzymes et mécanismes visés sont, faut-il le rappeler, des fondamentaux de la cellule. Il faut par conséquent éviter que tout type de traitement inhibiteur aux effets salutaires attendus ne vienne induire dans des cellules en particulier, des dérèglements malencontreux. Comme à chaque fois qu'un traitement affecte des processus vitaux, les chercheurs mis à l'oeuvre en sont bien conscients. Mais on conviendra qu'au regard des centaines de milliers de vies à épargner dans le monde, la nouvelle voie de lutte évoquée ici mérite toute l'attention sinon l'enthousiasme nécessaire. Jean-Michel Debry